Nous sommes heureux d’accueillir ce texte de Yannick Harrel, auteur confirmé que nous avons déjà reçu et fin connaisseur de la Russie. Un texte qui arrive à point nommé, à la veille de la visite du président Xi à Moscou cette semaine, la première visite à l’extérieur depuis sa réélection.
Le conflit en Ukraine a cristallisé les oppositions géopolitiques. Au point que Russie et Chine sont désormais encore plus liées par leur partenariat stratégique, faisant craindre au bloc occidental une bascule des autorités chinoises vers un appui militaire actif en faveur de leur grand voisin. Certains commentateurs ont jugé bon de lénifier cette alliance, jugée contre-nature et contre-productive pour la Chine. Pourtant, celle-ci s’inscrit dans une logique historique d’apaisement et de renforcement des liens depuis plusieurs décennies.
Nous vivons dans état de crises protéiformes, qui s’enchaînent à devenir interminables et simultanées, créant un climat anxiogène. Or, la guerre est une forme de crise et les militaires sont des spécialistes de la gestion de crise et insistent sur l’importance du moral pour pouvoir les vaincre. Ne faut-il pas s’inspirer du modèle militaire pour affronter les crises actuelles ?
Les déclarations l’autre soir du président Macron sur la dissuasion ont pu être maladroites. Elles amènent pourtant le débat sur une question essentielle, renouvelée par un ordre nucléaire mondial qui se défait, du TIAN à la fin du traité INF, de l’Ukraine à la Corée du Nord. Il est grand temps de reprendre les termes de la discussion.
Nous le pressentions cet été (LV 197), le raidissement chinois s’est accentué à l’occasion de ce XXe congrès du PCC. Rappelons qu’en Chine, le pouvoir appartient au parti. On a vu ainsi la façon humiliante dont Hu Jintao, précédent dirigeant, a été écarté sans ménagement devant les télévisions du monde entier, mais aussi la composition du comité permanent du bureau politique où seuls les affidés de Xi Jinping ont été promus.
Malgré les difficultés ou plus sûrement à cause d’elles, la direction chinoise a choisi de persévérer : aussi bien dans sa délétère stratégie anti-Covid que dans la poursuite d’une politique économique donnant des résultats décevants cette année ou dans l’opposition à Taïwan, inscrite désormais dans la charte du PCC. Ce net durcissement accompagne le pouvoir sans limite de Xi, désigné pour un troisième mandat.
Il faut s’attendre à l’accentuation de la ligne dure, aussi bien dans l’opposition aux États-Unis que dans le soutien à V. Poutine. Or, la possibilité des échecs augmente le risque d’en sortir par une action d’éclat dans la zone, notamment face à Taïwan, en pariant sur un affaiblissement américain à la suite des mid-terms. Inquiétant.
JOCVP
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Aux résultats à la mi-2022, la guerre en Ukraine apparaît comme un accroc majeur dans la trajectoire de la sécurité européenne 30 ans après la Guerre froide: une Ukraine qui souffre, une ligne de front à vif au cœur d’un continent qui se congèle, une réunification européenne ajournée, une Russie qui tourne le dos à l’Europe et s’engage dans de nouveaux horizons asiatiques coopératifs. La France qui ne peut s’en satisfaire doit garder sa liberté de réflexion et de proposition face à cette discontinuité stratégique. Cette guerre est d’abord une question de sécurité européenne, à traiter d’abord entre Européens. Peut-on encore, par un vrai confinement stratégique mieux coordonné, forcer la Russie à accepter un cadre de cohabitation plus coopératif en Europe? C’est en répondant à cette question que la France pourra réviser sa posture militaire et éviter le piège anachronique d’un toilettage capacitaire massif.
La Chine connaît un ralentissement économique soudain, dû en grande partie à une politique brutale de zéro Covid. Cela vient fragiliser un système fondé sur une croissance performante. Cela affecte la posture internationale de Pékin : moins envers l’étranger proche que la mise en œuvre de sa politique mondiale. Ces défis économiques posent des problèmes politiques qui seront au cœur du prochain Congrès du PCC, cet automne.
Que nous dit l’épisode de canicule que viennent de connaître la France et l’Europe ? D’abord, la réalité du changement climatique, désormais mesurable par chacun, à hauteur d’expérience humaine. La nouveauté de l’épisode en cours tient à sa brutalité, ce qui le change radicalement des variations climatiques que la terre a connues dans le passé et qui s’étendaient sur des centaines et des milliers d’années. La cause en est très certainement aussi humaine.
Observons d’ailleurs qu’elle coïncide avec le développement de la mondialisation, dans les années 1980 : la sortie du tiers-monde par l’émergence et la transformation de pays nombreux en ateliers de fabrication a suscité production, échanges et consommation. La canicule est le pendant de notre prospérité. Et si la Chine est à l’origine de 30 % des gaz à effet de serre de la planète, c’est qu’elle produit pour le consommateur occidental.
Symboliquement, cette canicule est aussi le reflet du dérèglement politique et économique du monde. Guerres et conflits font toujours rage (Ukraine, Yémen, Sahel) et les émeutes populaires se multiplient (Sri Lanka, Panama). Partout, la planète connaît un coup de chaud.
C’est inquiétant.
JOCVP
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La Chine connaît un ralentissement économique soudain, dû en grande partie à une politique brutale de zéro Covid. Cela vient fragiliser un système fondé sur une croissance performante. Cela affecte la posture internationale de Pékin : moins envers l’étranger proche que la mise en œuvre de sa politique mondiale. Ces défis économiques posent des problèmes politiques qui seront au cœur du prochain Congrès du PCC, cet automne.
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Dans les premiers jours de juin 1989, vivant à San Francisco, je n’avais comme source d’information que BBC World Service qui relatait en direct les massacres de Tien-An-Men avant d’enchîiner, sans transition, sur les premières notes guillerettes d’Outof the Blue qui servent depuis 1948 à annoncer les résultats sportifs de la veille. Les Godons ne seront jamais des gens sérieux. Et puis ce fut le silence des agneaux. Deux mois plus tard pourtant, durant un séjour à Hong Kong, plusieurs banquiers m’annoncèrent une crise financière pour le 2 juillet 1997 en début de matinée : on ne fait pas entrer une dictature sanguinaire au cœur du système financier sans tout casser. Huit ans passèrent, et au jour et à l’heure dite d’ouverture de la bourse de Hong Kong, surlendemain de la rétrocession (la veille avait été férié), tous les marchés d’Asie dévissèrent.
Or en 2021 les analyses argumentées venant d’organismes prestigieux mettent sous cette crise de multiples prétendues causes, bulle immobilière japonaise ou manipulations du bath thaïlandais, mais omettent, y compris dans la chronologie des événements, de rappeler que le 30 juin 1997 à minuit, un régime militaire communiste mit la main sur Hong Kong. La cécité reste totale, l’aveuglement complet, le déni permanent. Tocqueville relevait déjà la fascination pour la Chine des économistes libéraux, ces inventeurs du despotisme moderne [1]. Et il aura fallu plus de trente ans, la crise du Covid et l’impudence des diplomates de Pékin, pour que les Occidentaux fassent semblant de redécouvrir que la Chine, ce n’est jamais que la Corée du nord avec l’électricité [2]. Et encore.
Car avec un EPR qui fuit, des métros sous l’eau, des barrages sur le point de céder, un rationnement et des coupures d’énergie, un immobilier qui s’effondre, une démographie qui fait de même, une population majoritairement hors du temple de la consommation, comment ne pas sourire au spectacle ridicule d’une armée d’opérette qui se vante de pouvoir prochainement réussir dans le détroit de Formose ce que Napoléon et Hitler ratèrent naguère dans le Channel ? Nombreux sont d’ailleurs les Chinois qui prédisent une chute prochaine [3].
Mais ce sera trop tard pour Hong Kong sacrifié à un remake inversé du péril jaune de nos arrières grands-parents, tout aussi fantasmé, par des Occidentaux qui, pour reprendre le mot d’un personnage emblématique de l’humour britannique, le Colonel Blimp de David Low, ont depuis longtemps fait le choix irrévocable de se laisser guider d’une main ferme par les circonstances.
Le Cadet
[1]L’Ancien régime et la Révolution, Livre III Chapitre III, 1856.
[2] Voir Le Cadet, dans la Revue Défense Nationale n° 768, « Le monde d’avant-demain », mars 2014 ; sur La Vigie, « Le grand bond en arrière », n° 68, février 2020 ; « L’empire de la déraison », n° 72, juin 2020.
[3] Lire du professeur Xu Zhangrun, Alerte virale, quand la colère est plus forte que la peur, R&N Editions, 2021.
Notre fidèle correspondant, X. d’Abzac, qui nous avait déjà éclairé sur les débats en Chine (voir billet), nous propose ici une fiche de lecture du dernier ouvrage d’Anne Cheng. Mille mercis à lui. LV
En 2007, Anne Cheng présentait La pensée en Chine aujourd’hui (ici), un ouvrage collectif d’auteurs choisis pour leur compétence et leur indépendance. Plus de dix ans après, la réunion d’un nouveau collectif, nourri par la somme des mutations de la Chine, nous offre Penser en Chine, un ouvrage de synthèse sur l’état de ce pays qui a envahi notre paysage médiatique au quotidien dans tous les domaines.
Alors que les États-Unis ressoudent leurs alliés à travers le monde, notamment ceux de l’OTAN, afin de présenter un front uni face à la Chine, celle-ci montre un visage vindicatif et triomphant qui manifeste une fierté retrouvée : mais cet apogée ne marque-t-il pas un “point culminant”, celui que Clausewitz décrit comme le point maximum de l’offensive ?
Les historiens militaires étudient les batailles. Mais qu’est-ce qui définit réellement une “grande” bataille ? Est-ce que le génie tactique déployé suffit ? Et est-ce que le commandant militaire peut en tirer une conclusion à son niveau ?
Il y a un an, lors du grippage du marché mondial à cause de la crise sanitaire, nous avions feint de découvrir à quel point nous étions dépendants d’une mondialisation qui avait fini par nous priver de moyens manufacturiers, rendant notamment impossible la fabrication de simples masques chirurgicaux de protection. L’heure était venue à la réindustrialisation de la France.
Aujourd’hui, une nouvelle crise de Suez (accidentelle cette fois) empêche à nouveau la circulation des marchandises dans ce canal entre Asie et Europe, par lequel transitent 12 % du commerce mondial.
Outre la volatilité traditionnelle des prix du baril de pétrole, des difficultés d’approvisionnement sur des produits électroniques s’annoncent déjà, en sus des coûts directs et indirects liés aux retards de livraison, surtout à une heure où les conteneurs sont déjà en flux tendus.
Retenons qu’après un an, on peut toujours tirer les mêmes conclusions relatives à l’insuffisante résilience de notre économie, dépendante du trafic maritime ; l’importance de réindustrialiser et de retrouver une forme d’autosuffisance. Et si là résidait la vraie « autonomie stratégique » ?
JOCV
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Xavier d’Abzac, fidèle lecteur de la Vigie,pratique la Chine depuis plus de quarante ans. Il nous propose ici un très intéressant texte décrivant les débats intellectuels nourris parmi les élites chinoises, qui sont finalement si peu connus en Europe. Aller écouter l’autre pour comprendre son point de vue, quelle bonne idée ! Merci à lui. LV
Les hasards d’une vie extravagante m’ont fait connaître la Chine rouge sous plusieurs couleurs d’uniforme : le col blanc cravaté de l’homme d’affaires en 1972 ; le T-shirt multicolore du touriste pendant 36 ans ; le bleu du costume strict du ministre cambodgien de 1993 à 2008. Ainsi, j’ai connu la Chine des embouteillages de vélos emblématiques de la Révolution culturelle, des chambres d’hôtels sans serrure mais avec paillasse, thermos d’eau chaude antiques et douche froide jusqu’à celle de la mondialisation, urbanisée et numérique du XXIe siècle. Je connais beaucoup de choses sur la Chine mais je ne connais pas la Chine comme je connais, ou pense connaître, la France, le Cambodge ou l’Allemagne. J’ai appris à fuir les spécialistes qui commencent leurs phrases par « La Chine est… » ou encore « les Chinois sont…, ont…, pensent…, font…, disent… ». Amalgamer près d’un milliard et demi d’hommes et de femmes ressort de l’entourloupe. La diversité est partout en Chine, notamment dans les esprits.
Pays membres du G7 de rangs comparables, liés par un partenariat d’exception, la France et le Japon sont confrontés de la même façon aux conséquences économiques de la crise du coronavirus. A la recherche de nouveaux leviers de relance de leurs économies, ils figurent parmi les toutes premières puissances océaniques du monde et peuvent compter sur leurs stratégies maritimes nationales pour tirer le meilleur parti de leurs atouts. Le dialogue maritime global, bilatéral et interministériel, ouvert à Nouméa en septembre 2019, constitue un outil précurseur leur permettant de lancer des projets ouverts à l’échelle des espaces maritimes d’Europe et d’Indo-Pacifique, au service du développement raisonné et de la préservation de l’océan mondial.
L’argument central de cette réflexion est le retour à la haute intensité. Il va sans dire qu’après trente ans d’opérations terrestres de toute nature (maintien de la paix, contre-insurrection, …) on observe un durcissement des conflits armés terrestres à l’extérieur. Pour y faire face, on devra durcir l’armée de terre. On relèvera que cette vision globale n’aborde pas le territoire national.
La Chine et l’Inde se sont affrontées le 15 juin dernier dans une haute vallée du Ladakh, aux confins himalayens des deux pays, sur les bords du Cachemire, lui-même objet de frictions entre l’Inde et le Pakistan (LV 113). Dans une vallée à plus de 4000 m., des garde-frontières désarmés se sont affrontés à coups de pierres et de bâtons, provoquant le décès d’une vingtaine d’Indiens et peut-être d’une quarantaine de Chinois. L’installation de tentes par les Chinois dans une zone contestée serait à l’origine de l’incident. Les deux pays ont multiplié depuis les mesures d’apaisement.
Pourtant, l’affaire est inquiétante : d’abord car le Cachemire est l’autre région explosive d’Asie centrale (outre l’Afghanistan) qui concerne trois puissances nucléaires, dans un contexte d’affirmations étatiques (que nous relevons dans ce numéro). Mais aussi parce que la Chine semble vouloir appliquer sur les rives de la rivière Galwan la politique du fait accompli qu’elle a pratiquée en mer de Chine du sud. À ceci près qu’elle défie ici non pas des puissances moyennes mais l’Inde, elle-même nationaliste et pouvant trouver là un prétexte pour compenser de piètres résultats économiques.
C’est inquiétant.
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Crédit photo : Armée de terre
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