La Méditerranée, carrefour de puissances

Jean Dufourcq a participé aux rencontres de Trouville les 25 et 26 septembre dernier, participant notamment à une table ronde sur la Méditerranée et la puissance. Voici la trame de son intervention. LV

Sujet magnifique pour des travaux de géopolitique mais sujet complexe qui ne se laisse pas facilement apprivoiser car la Méditerranée c’est d’abord une dialectique, un mouvement. Culture, histoire et géographie s’y mêlent depuis toujours.

  • Ce qui fait son unité, c’est la mer, le continent maritime, l’espace fluide qui porte et permet les échanges entre riverains et fonde le mythe de la Méditerranée, cœur de civilisation.
  • Ce qui fait sa diversité, c’est la terre qui compartimente la Méditerranée en cinq ou six bassins distincts et trois dynamiques continentales bien différentes, sur les côtes de l’Europe du Sud, de l’Asie de l’Ouest et de l’Afrique du Nord. La Méditerranée, ce sont en fait des Méditerranées.

Ajoutons deux facteurs à ces considérations géopolitiques, la géostratégie qui est la marque de l’histoire dans la géographie et la géoéconomie qui détermine l’impact de la mondialisation en cours sur la région.

  • La géostratégie, ce sont des traces encore vivantes d’empires anciens, d’autres plus récents ; la mémoire active de l’idéologie des blocs de la guerre froide et les pressions qu’exercent sur la région des puissances extérieures au théâtre méditerranéen et qui l’utilisent soit comme couloir de progression ou aire de stationnement stratégique soit comme espace de diffusion de la géoéconomie.
  • La géoéconomie très attentive au segment de la grande artère commerciale qui relie la mer de Chine, et demain peut-être l’Arctique, au cœur continental de l’Europe ; c’est la cause principale des interactions actuelles.

Voilà ce qu’est aujourd’hui la Méditerranée : une grande plaque tournante du jeu des puissances, le nœud de leurs frictions et l’affirmation de Méditerranées diverses.

Détaillons un peu.

  • La Méditerranée ne fait pas ou plus système. Typologie complexe, regards multiples, « à chacun sa Méditerranée ».
  • Les six  sept Méditerranées: les trois du cœur méditerranéen (Medor, Medcent, Medoc), les quatre périphériques (mer Noire, mer Rouge, Golfe arabo-persique, médAtlantique).
  • Les riverains : ceux de l’Europe pensent surtout Nord-Sud vers l’Afrique ; ceux de l’Asie, pensent gaz et pétrole, questions syrienne et israélo-palestinienne, péninsule arabique et corne de l’Afrique ; ceux de l’Afrique du Nord pensent à la fois à la chevauchée arabe vers le couchant (Maghreb), à la route du grand pèlerinage vers les lieux saints (Machrek), à la difficile transition politique en cours, au grand Maghreb et à l’UMA perdus.
  • Les outsiders, anglais gardiens de tout temps la route de l’Inde (Gibraltar, Malte, Chypre, Suez) ; américains, aujourd’hui la priorité d’Israël, celle du pétrole d’Arabie et de l’Asie Centrale jusqu’aux confins de la Chine à confiner ; russes, songeant de tout temps au désenclavement au Sud et à nouveau aux marchés africains (le mythe des mers chaudes), turcs, pensant aujourd’hui à l’Afrique et à ses marchés en se souvenant du passé ottoman et en portant la dynamique actuelle de l’Islam politique ; chinois, installés au débouché
  • Les systèmes stratégiques connectés. Via la Mednoire, la question ukrainienne, celle de Crimée, de Géorgie, la libre circulation ; l’avenir des détroits, le rôle de la Turquie dans l’Otan  ; via la Médor, les questions syrienne et kurde; la double tension sunnite/chiite et arabo-perse, la rivalité sino-américaine ; via la MedRouge, la question yéménite et celle du Tigré ; via la Medcent, la question de l’exploitation du gaz maritime, celle de la tension stratégique entre Grèce, Turquie et Chypre, l’actuelle question Sud-Nord du Nil et du barrage de la Renaissance ; la viabilité de la Lybie entre Méditerranée et Sahel ; via la Medoc, la transition politique en Tunisie et Algérie, l’expansion marocaine en Afrique, le terrorisme endémique de la bande saharo-sahélienne ; via la Médatlantique, à la circulation des routes commerciales et des migrants par Gibraltar, couloir lié au système transatlantique … Et pour tous la politique de voisinage de l’UE, la stratégie de l’Otan, ses partenariats et ses crispations.
  • Tour d’horizon actuel, mi 2021. Résumé.
  • A l’Est, enjeux énergétiques (gaz), normalisation israélienne ; affirmation iranienne ; corrélation turco-russe et retrait américain. Interactions extérieures.
  • Au Sud, questions migratoires aigues, changements politiques et tensions sécuritaires induites par les déséquilibres et les mutations dans la bande saharo-sahélienne. Pas de vision commune.
  • Au Nord, des Européens divisés en quatre blocs N/S (frugaux vs Club Méd), E/O, (libéraux vs nationalistes), une UE erratique, une Otan avec reprise en main américaine. Méditerranée vue comme une ligne de front. Pas de projet.
  • Résumé
  • Politiques régionales via des contrôles des bassins par leurs riverains.

Pour la France, enjeu majeur en Médoc, potentiel labo de la mondialisation et entretien de verticale géopolitique vertueuse Med/Golfe de Guinée. 5+5+5.

La Vigie n° 147 : Pays média, pays réel | Au sud | Lorgnette : Ministère de la mer

Lettre de La Vigie du 22 juillet 2020

Pays média, pays réel

Les médias contemporains sont décevants, pris dans l’étau de l’instantanéité, de l’émotion, de l’indignation morale. Ils contribuent donc largement à l’ère de “post-vérité” et constituent désormais une classe déconnectée et assujettie. Pire, ils éloignent les responsables politiques de leur mission de long terme et renforcent les dérives de polarisation, au risque de la radicalisation et donc de la division. Le stratégiste ne peut rester indifférent à cette évolution délétère.

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Au sud

Un vide stratégique s’est installé en Méditerranée dont la Turquie et la Russie ont tiré parti en arbitrant à chacune leur façon l’inextricable question libyenne. C’est le moment pour les Sud-européens de prendre la main et de conduire avec leurs vis-a-vis une stratégie véritablement transméditerranéenne pour préserver leurs intérêts et contribuer au développement et à la sécurité d’un flanc Sud porteur de risques qui se rapprochent.

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Lorgnette : ministère de la mer

Après deux tentatives infructueuses (81/83 et 88/91), la récente création d’un ministère de la Mer porte les espoirs d’un secteur dynamique au service d’une stratégie maritime globale. Les atouts maritimes de la France sont connus (LV 145), tout comme les écueils sur lesquels se sont échoués les ministères précédents.

La grande complexité ainsi que la transversalité des questions maritimes nécessite un rôle ministériel et politique fort, s’appuyant sur les acquis, alors qu’enjeux et opportunités offertes par les océans sont considérables :

  • bien commun à protéger, étudier et exploiter durablement ;
  • prospérité économique et développement de notre société tirés de nos ZEE par un engagement éco-responsable ;
  • intégration de nos filières maritimes, pour entraîner le monde dans le sillage de notre croissance bleue, en bâtissant une force économique et écologique innovante (pêche, alimentation, construction, transport, propulsion, énergies marines, ports, secteur fluvial) ;
  • garantir la sécurité et la sûreté de nos activités et de nos espaces maritimes au regard du droit international.

Ces objectifs tirés du discours du PR (Montpellier, 3/12/19) transparaissent dans les attributions du nouveau ministère (15/7/20). Puisse-t-il devenir, avec l’aide de tous, l’accélérateur stratégique recherché.

JOCV

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Crédit photo : Kris Olin on Visual hunt / CC BY-NC-SA

Au sud (LV 147)

Un vide stratégique s’est installé en Méditerranée dont la Turquie et la Russie ont tiré parti en arbitrant à chacune leur façon l’inextricable question libyenne. C’est le moment pour les Sud-européens de prendre la main et de conduire avec leurs vis-a-vis une stratégie véritablement transméditerranéenne pour préserver leurs intérêts et contribuer au développement et à la sécurité d’un flanc Sud porteur de risques qui se rapprochent.

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La Vigie 135 : L’Europe et son Sud | Le Brexit et la fin de l’UE | Lorgnette : Coronavirus : chinois ?

Lettre de La Vigie du 5 février 2020

L’Europe et son Sud

Longtemps considéré comme pré carré des pays européens méridionaux, le rivage du Sud de la Méditerranée et son hinterland deviennent aujourd’hui un enjeu qui concerne tous les pays européens, quels qu’ils soient. Seule une stratégie multilatérale à long terme permettra de résoudre les crises nombreuses de cette région qui menacent l’Europe.

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Le Brexit et la fin de l’UE

Le Brexit est donc entré dans la loi et un pays a, pour la première fois, quitté l’Union Européenne. Certes, il reste encore quelques mois de négociation pour régler les détails des relations futures mais l’essentiel est dit. L’UE perd bien plus qu’un 28ème de ses membres : outre la taille (population, PIB) ou la contribution au budget commun (qui aura des répercussions sur la solidarité envers les pays plus pauvres, souvent les derniers entrés), elle perd un acteur stratégique. Si le Royaume-Uni y perdra peut-être, l’UE voit avec son départ le commencement de la fin.

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Lorgnette : Coronavirus : chinois ?

L’épidémie de Coronavirus surprend l’observateur. Aussi bien pour son traitement en Chine, qui témoigne de la fébrilité du gouvernement alors que le rythme de croissance s’étiolait et que la reprise en main préalable voulait permettre au président Xi de mieux contrôler. La crise suscite un mécontentement populaire qu’il faut suivre avec attention, surtout si le pou-voir ne réussit pas à endiguer l’épidémie.

Accessoirement, on observe un mouvement massif de quarantaines : il s’agit de villages, de quartiers, de villes entières et même de pays, comme en témoigne la réduction drastique des relations avec la Chine et les fermetures des frontières. On peut y voir la nouvelle phase de la mondialisation, telle que nous la connaissons depuis dix ans : alors que les échanges se sont multipliés incroyablement (y compris de maladies), voici que la réaction aux effets négatifs réside dans la fermeture et le rapatriement local : ici protectionnisme, là isolement sanitaire d’un pays suspect. Le coronavirus est symbolique des temps géoéconomiques et au-delà, géopolitiques. Souhaitons que cette maladie soit contrôlée avant de tout contaminer.

JOCV

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Crédit photo :(Mick Baker)rooster on Visualhunt.com / CC BY-ND

L’Europe et son Sud (LV 135)

Longtemps considéré comme pré carré des pays européens méridionaux, le rivage du Sud de la Méditerranée et son hinterland deviennent aujourd’hui un enjeu qui concerne tous les pays européens, quels qu’ils soient. Seule une stratégie multilatérale à long terme permettra de résoudre les crises nombreuses de cette région qui menacent l’Europe.

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LV 131 : Sahel : juste avant les décombres | Médor et gaz | Lorgnette : défis de la DG Défense

Lettre de La Vigie du 11 décembre 2019

Sahel : juste avant les décombres

Les motifs avancés par les uns (intérêts économiques) ou les autres (lutte contre le terrorisme) peinent à convaincre de la stratégie française au Sahel. Du coup, parce que nous définissons mal l’ennemi, nous piétinons, sachant que les autorités de la région n’ont pas les mêmes priorités que la France. Cette addition de mauvaises perceptions, de faux semblants, de mauvais calculs et de quiproquos entrave beaucoup d’initiatives. Il est temps de reposer un vrai diagnostic et de repartir du bas.

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Médor et gaz

La géopolitique de la Méditerranée orientale est aujourd’hui stimulée par l’abondance du gaz naturel qu’on a récemment trouvé dans ses fonds marins. Les équilibres de la région en sont d’autant plus modifiés que la liquéfaction en GNL de ce gaz permet désormais sa production, sa diffusion et son stockage in situ, moyennant certes de lourds investissements. Cette évolution rapide crée une dynamique stratégique de compétitions, d’alliances et de coopération qui a un fort impact non seulement sur les riverains mais aussi sur la région proche du Levant voire sur l’économie verte dont elle modifie la donne régionale.

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Lorgnette : défis de la DG défense

La nouvelle Commission européenne enfin installée présente ses innovations. Parmi celles-ci, une « DG industrie de la défense et de l’espace », baptisée Défis (Defense Industry & Space) et déjà nommée « DG Défense » comme la PECSD qui fut vite érigée en défense européenne. Mais la défense collective relève toujours de l’Otan pour la plupart des États membres de l’UE (LV 129), ce qu’a rappelé la présidente de la Commission.

Issue de la partition de la DG Industrie, cette DG sera pour les industriels de défense de l’UE un stimulant et un arbitre. On la voit comme le fer de lance d’une reconquête par les Européens de leur autonomie stratégique, une étape décisive sur la route d’une Union de sécurité et de défense, bien évidemment complémentaire de l’Otan. Avec la Coopération structurée permanente des 25/27, le FEDEF de 13 G€ sur 7 ans et Galileo, on aura ainsi un catalogue de structures qui viendront compléter le COPS, l’EMUE, l’AED et préparer l’armée européenne que certains voient se profiler.

Pour contrer la menace russe et relever le défi chinois ? On jugera sur pièce. Mais ce qui a manqué jusqu’ici, ce sont la volonté et la stratégie ; les structures ne les remplaceront pas.

JOCV

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Source photo : Hibr on Visual hunt / CC BY-NC-SA

Médor et gaz (LV 131)

La géopolitique de la Méditerranée orientale est aujourd’hui stimulée par l’abondance du gaz naturel qu’on a récemment trouvé dans ses fonds marins. Les équilibres de la région en sont d’autant plus modifiés que la liquéfaction en GNL de ce gaz permet désormais sa production, sa diffusion et son stockage in situ, moyennant certes de lourds investissements. Cette évolution rapide crée une dynamique stratégique de compétitions, d’alliances et de coopération qui a un fort impact non seulement sur les riverains mais aussi sur la région proche du Levant voire sur l’économie verte dont elle modifie la donne régionale.

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Chypre et la géopolitique de la Méditerranée orientale (A. Marghelis)

Le Proche-Orient peut se définir comme la région bordant la Méditerranée orientale. Il s’y déroule un grand jeu (question israélo-palestinienne, guerre civile syrienne, foucades turques) où  les grandes puissances extérieures s’affrontent (États-Unis, Russie) au travers de relais locaux. Un des pions de cette partie est Chypre, qui connaît de rapides évolutions ces derniers temps. Aris Marghalis, bon connaisseur de la région et qui a déjà publié dans LV, nous fait le point de ces calculs. Merci à lui. JDOK.

Source

Nous avions abordé précédemment le durcissement du jeu géopolitique sur l’axe Balkans-Méditerranée orientale en évoquant l’intégration sans nuance de la Grèce au projet géopolitique américain. D’une part, pour finir de priver la Russie de ses entrées dans les Balkans, dont la Grèce est l’embouchure naturelle, et pour l’expulser de Méditerranée orientale. D’autre part, pour tenter de briser le tandem Russie-Turquie, de plus en plus insupportable pour Washington. En raison de sa localisation, l’île de Chypre semble ne pas pouvoir se soustraire à cette dynamique. Continue reading « Chypre et la géopolitique de la Méditerranée orientale (A. Marghelis) »

La Méditerranée, conquête, puissance, déclin (J.-P. Gourévitch)

S’agit-il d’un essai ? d’un conte ? en tout cas, Jean-Paul Gourévitch a une très belle plume pour nous raconter des choses sérieuses avec vista et nous emmener de l’Antiquité à nos jours autour de la Méditerranée. L’objectif de l’auteur consiste en effet à reprendre les différents « rêves » de la Méditerranée. Le lecteur retrouve ici l’approche classique de l’école française de géopolitique qui s’interroge toujours sur les représentations géopolitiques. Mais alors que celles-ci sont souvent vues des peuples, J.-P. Gourévitch élargit  la méthode pour s’interroger aussi sur le rêves de certains dirigeants (Justinien, Soliman, Hitler, Nasser ou Sarkozy).

Ainsi, au lieu d’un traité strictement historique ou de géographie politique, l’auteur montre que la Méditerranée échappe à tous les rêves que l’on en fait, à toutes les approches unifiées que l’on en a. Elle ne peut être dominée malgré son unité apparente. Objet de désirs, on ne peut l’obtenir alors pourtant qu’elle ne cesse de les susciter. La Méditerranée devient une tentatrice qu’on ne peut conquérir et pour laquelle on s’épuise.

Tout commence avec Ulysse, premier héros méditerranéen mais qui a la prudence de refuser l’illusion de l’éternité proposée par la nymphe Calypso, afin de retrouver l’Ithaque prosaïque. Les Romains ont un autre rêve, celui du Mare Nostrum, celui du lac intérieur. Il est de courte durée car la bataille d’Actium, qui voit le triomphe d’Octave,  futur Auguste et fondateur de l’empire, marque finalement la coupure de la Méditerranée en deux, cette coupure durable qui court encore de nos jours. Justinien, l’empereur byzantin du VIè siècle (celui de Théodora et de Bélisaire) espère réunifier la mer intérieure : il s’y épuise et échoue. C’est d’ailleurs l’épuisement de l’empire byzantin (qui s’affronte aux Perses) qui permettra la fulgurante razzia musulmane, au siècle suivant. Les rivages est et sud sont dominés, l’ouest également avec la saisie de l’Espagne mais le nord reste chrétien. Le croissant ne dominera pas le pourtour méditerranéen, encore moins la mer qui le définit.

En réaction, la Chrétienté rêve de reprendre le contrôle de ces rivages et notamment de la Terre Sainte : cela sera l’épisode des Croisades qui menèrent chevaliers et servants d’armes de l’Anatolie à la Palestine mais aussi en Égypte ou à Tunis. Des ordres militaires seront créés sur les îles méditerranéennes (à Rhodes ou à Malte) mais le rêve s’évanouira aussi. Venise , du XIIIè au XVè, pense construire avec  ses comptoirs maritimes une autre domination, fondée sur le commerce et l’argent : là aussi, la réussite est transitoire et l’effort vain. Mais un autre empire se lève, celui de Soliman et de l’ottomanisme. Il conquiert de vastes parts des rivages méditerranéens mais l’effort est trop important et peu à peu, l’empire recule. Les Barbaresques prennent la relève : eux ne veulent pas les territoires mais juste contrôler les masses liquides et obtenir un tribut de ce qui y circule. Du XIVè au XIXè siècles, ils rançonnent les mers. La liberté du commerce pousse les Européens à intervenir et à les faire tomber. Mais un autre rêve survient, celui de la colonisation : Anglais, Français, Espagnols et Italiens se partagent les rivages sud…. jusqu’aux décolonisations qui interviennent dès le XXè siècle.

J.-P. Gourévitch évoque ensuite les rêves contemporains, qu’ils soient politiques (Nasser, ligue arabe, Union pour la Méditerranée) ou transversaux (héliotropisme, rêve insulaire).

Ainsi, en 17 chapitres passionnants, l’auteur mélange poésie et lucidité, le tout appuyé sur une connaissance très fine de l’histoire de la Méditerranée. Il permet un regard renouvelé de cette Méditerranée source de tant de fantasmes et dont la réalité géopolitique est au contraire très fragmentée.

Jean-Paul Gourévitch, La Méditerranée, Conquête, puissance et déclin, Desclée de Brouwer, 2018, 367 pages : lien vers le site de l’éditeur

JDOK

 

 

N° 72 : Où va l’Allemagne ? | Aggiornamento | Migrants méditerranéens

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Extrait des articles présents dans cette lettre :

Où va l’Allemagne ?

Par où commencer pour parler de l’Allemagne ? Le 500ème anniversaire de Luther, fondateur de l’Allemagne moderne et de la fameuse « éthique protestante », source du capitalisme rhénan ? La récente loi sur le mariage homosexuel, autorisée par A. Merkel, même si elle a voté contre ? L’excédent commercial record suscitant envie et colère à l’extérieur, satisfaction égoïste à l’intérieur ? Finalement, le mieux est de reprendre cette belle formule du dernier Limes, excellente revue italienne de géopolitique : une puissance ambiguë.  Puissante, l’Allemagne l’est assurément. Ambiguë également, tant elle se joue des anciens canons de la puissance, préférant la réalité d’un pouvoir qu’elle s’évertue à dissimuler sous une moralité post-moderne, profitant d’une mondialisation marchande qui lui permet de favoriser un intérêt national de plus en plus affirmé. La profitable ouverture au monde œuvrant au bénéfice d’un entre-soi sélectif et fermé : la bonne conscience et la rente.. […]

Aggiornamento

L’imprévisibilité indispose les stratégistes autant que les marchés financiers. Pour cadrer leurs projets et limiter l’imprévu, tous deux doivent développer l’intelligence des situations. On comprend l’agacement actuel et le court termisme installé de facto. Si on veut du retour aujourd’hui, c’est que demain s’éloigne. Cela vaut pour la France. Autour d’elle, une forêt vierge d’intérêts imbriqués et de postures indéchiffrables, inconstantes et parfois antagonistes (LV 71). En face d’elle, l’instabilité de compétiteurs, partenaires ou adversaires, étatiques ou non, le plus souvent alarmistes. En France même, une nouvelle donne, vraie surprise politique. Alors pour nous guider dans ce maquis, restent nos intérêts à défendre, nos responsabilités à assumer, nos atouts à valoriser. « Si vous voulez des effets, produisez des causes » avait coutume d’asséner Foch. […].

Lorgnette : Migrants méditerranéens

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Source image : Benedettode via Visual hunt / CC BY-ND

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