Seigneur, gardez-nous de nos amis… (Le Cadet 101)

On pensait que l’invasion de Irak et le fiasco en Libye leur avaient servi de leçon : que nenni ! Les néocons sont de retour, avec le même discours copié-collé de leur vieille antienne : il faut aller à Beyrouth, il faut bombarder Téhéran, il faut marcher sur Damas ! Que Tsahal gendarme la région et ressuscite le nation building ! Et après…?

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50 numéros du Cadet

Depuis 2018, Le Cadet nous gratifie d’un billet d’humeur (de mauvaise humeur, convenons-en) plein d’esprit -de mauvais esprit, convenons-en également).

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Pour vous souhaiter la nouvelle année, La Vigie vous propose cette repris de tous le snuémros du Cadet, publiés sur La Vigie. Vous pourrez notamment relire les six tribunes à propos de la Russie, où le Cadet, s’est révélé pertinent. Borodino vient immédiatement à l’esprit, comme dans le Guerre et paix de Tolstoï…

Quand on joue à qui perd gagne. Merci à lui.

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La Vigie

Suicide assisté pour mort cérébrale (Le Cadet, n°100)

Alors que les chars allemands s’enlisent dans les champs de mines du Donbass comme leurs anciens à Bir-Hakeim, et que les condottières moscovites rejouent le complot de la Grande Duchesse de Gerolstein, profitons du répit que nous accordent l’impasse ukrainienne et le renoncement français pour revenir trois siècles en arrière.

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Lorsque Maurepas, figure emblématique d’un lignage de ministres-courtisans, est nommé secrétaire d’État à la Marine en 1723 à l’âge de 22 ans, lui qui n’a jamais vu la mer dont on lui a rapporté qu’elle était salée, il s’en amuse et il n’est pas le seul. Il n’en va pas moins remettre en selle, dans le conflit planétaire entre la France et l’Angleterre, ce qui survit de la Royale de Colbert. Pour ce faire, vu les perspectives de paix pour au moins une décennie, vu la dynamique des fluides, vu les contraintes des constructions en bois, vu le rejet par nos capitaines des trois-ponts, vu ceci et vu cela, Maurepas décide qu’on va prendre un peu de temps pour concevoir le navire idéal à défaut d’être parfait. Ce sera le 74 canons, quintessence de l’art de la guerre à la française, arbitrage entre poids (on va même supprimer les mantelets de sabords en bordée haute), vitesse et puissance de feu (on renonce aux 24 livres en bordée haute pour du 18, et ça rabaisse le centre de gravité), navire polyvalent qui deviendra le vaisseau de la ligne, mais aussi une super-frégate en maraude ou l’escorte des premiers convois dans l’Atlantique lors de la reprise des hostilités en 1740.

La LPM de 2023 nous fait regretter la Régence. Passons sur le désarmement de nos unités de combat à qui on retire la proie de l’expéditionnaire pour l’ombre d’une guerre continentale dont on ne voit pas, depuis que les armées russes n’existent plus que sur le papier, contre qui nous sommes supposés la faire. Restons au PANG, projet conditionné non par les besoins de la Marine mais par le fantasme de furtivité, l’illusion de la coopération européenne et les impératifs d’une interopérabilité totale avec l’US Navy, et au marronnier des débats depuis maintenant un demi-siècle, la question d’un sister-ship une fois encore refusé. C’est qu’il ne faut pas opposer arguties budgétaires et nécessités opérationnelles mais déplacer ces dernières outre-Atlantique. Les amiraux américains veulent douze task forces aéronavales, pas une de moins, ils les ont de nouveau depuis l’entrée en service du Gérald Ford, mais les vieux Nimitz arrivent en fin de parcours et le Congrès rechigne à budgétiser leur remplacement un pour un.

Alors n’attendez pas un second PANG, il s’agit d’en faire un seul qui soit une doublure des CVN et compense les éventuelles surcharges et les trous de disponibilité de l’US Navy. Il faut faire notre deuil de l’indépendance et de la souveraineté, sacrifiées à la cohérence atlantiste. On passait naguère du statut de courtisan à celui de ministre, avec l’OTAN la France prend, avec la même affectation zélée, le chemin inverse. Rendez-nous Monsieur de Maurepas !

Le Cadet

Dilatation stratégique (Le Cadet n°99)

Alors que le ministre, celui qui annonçait il y a un an qu’il mettrait la Russie à genoux, publie un libelle de pornographie qu’on n’ose qualifier de ferroviaire par respect pour nos cheminots, la France de Sciences-Po peut se vanter d’avoir inventé le concept de stratégie de gare. L’impair présidentiel commis au retour de Chine n’est que le signe de cette pensée dilatée comme jamais jusqu’à l’insignifiance. Un psychanalyste parlerait d’abréaction, pour autant qu’il suffit de remplacer le mot Taïwan par Ukraine ; satisfaire la Chine et afficher là-bas un prétendu non-alignement sur le suzerain américain, tout en s’aveuglant ici du bourbier où nous précipite notre aveuglement atlantiste, n’est plus de l’en-même-temps mais du contretemps.

Sur le fond, si la France était vassalisée au point de brader Alstom ou Latécoère à l’Amérique, d’affecter un tiers du budget du PANG à l’achat de catapultes américaines tout en intégrant davantage la Royale dans l’US Navy ou de contraindre, sous couvert d’interopérabilité numérique, nos armées à choisir du matériel standardisé OTAN où les consultants de la SAIC lisent à livre ouvert sans bouger de leur écran de Sunset Hills Road, en un mot si, pour paraphraser le Ruy Blas de Victor Hugo, la France ne se contentait pas d’endosser la livrée du laquais mais s’en était également forgé l’âme, ça se serait vu, n’est-ce pas ?

« Je crois que rien n’inspire plus de mépris à de Gaulle, écrivait Mauriac, que ce besoin, cette idée fixe chez certains Français, de nouer la France devenue faible et petite dans un grand ensemble où elle deviendrait en quelque sorte invisible. » C’est surtout une nasse où nous conduit le principe de pensée complexe et de dilatation stratégique, qui ne débouche que sur la paralysie et un jeu à somme nulle, comme l’avaient déjà prédit un Valéry ou un Bergson il y a un siècle. On le voit sur la question des retraites : que la loi soit retirée au risque de fâcher Bruxelles ou que les troubles perdurent et l’incertitude politique dissuade les investisseurs, la note de la France sera de nouveau dégradée. Il faut revenir au vouloir démocratique et retourner au vote de ceux qui ont pris la Bastille et gagné sur la Marne, les urnes étant bien moins incertaines que le management à la McKinsey, y compris pour les fonds souverains et les agences de notation.

Quant à la bouillie d’une LPM qui s’obstine dans l’apriorisme d’un discours insignifiant et dilaté dans le cyber, l’espace et même géographiquement jusqu’à l’Indopacifique, la loi, alors qu’on s’étripe à l’ancienne au Donbass, reportera les livraisons de blindés et de Rafale, réduira les unités combattantes et refusera de nouvelles frégates. Répétons, pour les stagiaires du MinArm qui travaillent sur ChatGPT, que la stratégie, comme la démocratie, c’est penser local pour agir global et pas l’inverse. Mais, répondent ces troupiers de gare, il faudra bien rester à Mayotte, en Nouvelle Calédonie et en Polynésie pour y conserver des atterrages. Encore faudra-t-il avoir une flotte et qu’elle soit toujours française !

Le Cadet n° 99

Mauvais genre (Le Cadet n° 98)

« Qui aurait pu prévoir » que la France se réchauffe plus vite que calculé par les modèles déterministes, pour citer les vœux du président Macron, mais aussi que Poutine agresse l’Ukraine ? La secte managériale, qui conteste avoir tout raté même quand elle ne réussit plus rien, a trouvé l’explication : nous n’avons rien vu venir parce que nous n’avons pas accordé d’attention aux signaux faibles.

Signal faible, le discours de Lavrov de novembre 2021 sur une redéfinition de la sécurité en Europe ? Signal faible, la mise en ligne le 21 décembre suivant de la réunion tenue le jour même autour de Poutine au Kremlin (« On est sur le pas de notre porte, nous ne pouvons pas reculer […] nous allons prendre des mesures militaires et techniques adéquates de représailles ») ? Signal faible, le rappel de Poutine à Macron le 7 février 2022 que la Russie, puissance nucléaire, ne peut perdre ses guerres ?

Qui donc y a répondu et y répond toujours par une théâtralisation débile, à l’image d’un des plus fervents soutiens – à l’époque – de l’invasion de l’Irak qui répétait encore en début d’année, dans les colonnes du Figaro, que l’Ukraine « lutte pour la liberté de l’Europe et des États-Unis et pour le salut de la démocratie en général » (même narratif au même moment du chef de cabinet de Zelensky), sans comprendre qu’il s’agit du terrain militaire et de langage dans lequel nous ont piégés les Russes : ne sont-ils pas nos ennemis puisqu’eux-mêmes disent que nous sommes les leurs ? Mais l’ennemi est bête, ironisait Pierre Desproges, il croit que l’ennemi c’est nous alors que c’est lui.

On ne peut qu’être fort inquiet d’avoir régressé à ce degré zéro de la pensée stratégique, d’autant que les Français attendent, dans ce remake de la Guerre de Succession d’Autriche, qu’on leur explique en quoi la victoire des uns ou des autres changerait notre position. Ça veut dire quoi, parlant de l’engagement des Leclerc et des Mirage 2000, « par définition, rien n’est exclu », devenu une semaine plus tard « rien n’est interdit, par principe » ? Gouverner, par définition, n’est pas faire son marché dans la liste de mariage de Kiev ni travailler pour le roi de Prusse, mais s’interdire d’arbitrer contre nos intérêts et trancher, donc, par principe, et donc exclure toutes les hypothèses fors la nôtre. A l’heure où on apprend que, au prix d’une redéfinition des frontières, les États-Unis cherchent une issue au conflit –ont-ils jamais cessé ? –, ça ferait mauvais genre de dire « la France », nom absent des interminables débats TV qui dissèquent ces combats de rue et de cave que les Allemands, depuis Stalingrad, nomment Rattenkrieg ? La souveraineté française dépendrait-elle de la perte ou de la reconquête d’une salle de bains à mille lieues de Paris ? C’est à se demander s’il n’y a pas davantage de sang-froid manœuvrier dans les caprices du caniche roux des Windsor qu’au Quai d’Orsay, et s’il ne faudrait pas mieux confier tout de suite les codes nucléaires à Meghan.

Le Cadet

L’attaque de la boite à chaussures géante (Le Cadet 97)

Une démographie qui plonge, 60.000 décès du Covid en un mois, une croissance qui patine, une richesse par habitant encore quatre fois inférieure à ses voisins, un pouvoir qui a cédé devant ses Gilets Jaunes et opéré un bord sur bord sanitaire aussi incontrôlé qu’un étage de lanceur Longue Marche rentrant dans l’atmosphère, qui ne peut rien pour aider la Russie et tente de cacher la misère en faisant courir des rumeurs de brouille : nos stratégistes, qui connaissent bien la Chine parce qu’ils y ont passé une semaine en all-inclusive, découvrent un Village Potemkine sur lequel le Cadet, qui la fréquenta il y a plus de trente ans, a déjà écrit [1]. Les mêmes ne s’en excitent pas moins sur l’invasion de Taïwan.

Mais il ne suffit pas, quand on n’a pas de tradition maritime, de copier la classe Forrestal et d’encombrer ses arsenaux comme Napoléon le fit de vaisseaux de 80 canons, sans leurs marins qui pourrissaient sur les pontons de Cornouailles. Et ce n’est pas le folklore chinois sur la croisière de l’Amiral Zheng He et ses navires en bois de 138 mètres – les lois de la physique étant ce qu’elles sont, les puissances européennes n’ont jamais dépassé les 70 mètres – qui peut former des équipages. Quand bien même ces boites à chaussures flottantes seront un jour suffisantes pour projeter une force de débarquement, encore faudra-t-il tenir le corridor et assurer le ravitaillement. Quant à l’aviation chinoise, elle aura le même problème que la Luftwaffe lors de la Battle of Britain, où la supériorité ne se comptait pas en carlingues mais en temps de vol utile au-dessus des objectifs. Les gilets jaunes seront ceux des pilotes pataugeant dans le détroit de Formose, comme barbotaient des Allemands à court de carburant sur le chemin du retour.

On peut toujours fantasmer que la Chine suive les traces de Singapour, qu’un très libéral et mondain chroniqueur du Point décrivait, en 2015, comme un « État fort dont l’indépendance et la probité sont garantis par la revendication de valeurs asiatiques qui font de Singapour, non pas une dictature, mais une démocratie éclairée où les marges de liberté de la société et de l’opposition politique sont strictement contrôlées ». Sauf que Singapour (LV 206) – où le Cadet ne mettait pas plus de cinq minutes pour trouver le micro dans ses chambres d’hôtel – n’est jamais que Pyongyang mais avec le Wifi. « C’est moa que j’suis pour Mao contre Liu Chao Chi, j’ai mon bréviaire de révolutionnaire. Dans tous les bouges moa je bois des quarts de rouge, le quart de rouge c’est la boisson du Garde rouge. » C’est regrettable que Colomb ait buté en 1492 sur ce continent qu’on appelle l’Amérique, ça éviterait d’avoir à redécouvrir Cathay en 2023.

Le Cadet

[1] In La Vigie, Le Cadet n° 68 « Le Grand bond en arrière », février 2020 ; n° 72 « Empire de la déraison », juin 2020 ; n° 85 « Mourir pour Hong Kong », octobre 2021 ; n° 86 « Et maintenant… », décembre 2021.

Puisque le château cite le Cadet… (Le Cadet n° 96)

« Un des points essentiels, comme le président Poutine l’a d’ailleurs toujours dit, c’est la peur que l’OTAN vienne jusqu’à ses portes, c’est le déploiement d’armes qui peuvent menacer la Russie… Ce sujet fera partie des facteurs pour la paix et donc il faut aussi le préparer : qu’est-ce qu’on est prêts à faire, comment protégeons-nous nos alliés et les États membres tout en donnant des garanties pour sa propre sécurité à la Russie ? A la fin, dans les discussions de paix, il y aura des sujets territoriaux sur l’Ukraine et il y aura des sujets de sécurité collective sur toute la région. » Vous radotez, Cadet [1] ! Que nenni : ça, c’est un copié-collé des déclarations présidentielles le week-end dernier.

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For the record (Le Cadet n° 95)

J’avais pourtant rempli la moitié des musées,

Inventé l’holomètre, la photo, le ciné.

On jouait Faust et Carmen jusqu’en Patagonie,

Hollywood ne jurait que par Claude Debussy ;

On chantait Véronique, on copiait Figaro,

On exposait Monet, Fragonard ou Moreau.

Il n’était pas une île, il n’était pas une terre

Qui ne connut Valjean et ses Trois mousquetaires,

A laquelle n’ait un jour abordé mon drapeau

Blanc ou les trois couleurs, en frégate ou cargo,

Celui des Bougainville, Cartier ou Lapérouse.

Et jusqu’aux plus falotes des tierces nations, jalouses,

Toutes et tous apprenaient, des izbas aux igloos,

Ces fils de généraux, qui Dumas, qui Hugo.

Et voilà que soudain, comme un roi qu’on détrône,

Dans un concert de cris, d’imprécations de clones,

On me dit tout à trac que je suis la névrose

D’un monde globalisé en pleine métamorphose ;

Que les Lumières françaises, tout ça c’est du bullshit,

Que ça ne sert à rien, que les carottes sont cuites ;

Que l’An II, que Gavroche et le salut de l’Empire

Embellissent l’accompli mais qu’il faut en finir

De Montaigne, Montesquieu, Valéry et Voltaire,

Et de toutes ces Rêveries de promeneur solitaire.

Tout ce qui dit la France, ce nom béni de Dieu,

Ce mot de délivrance célébré en tous lieux,

On le chasse, on le traque, le conspue et le hue,

On n’a plus rien à foutre de toutes ces choses lues,

Choses sues, Choses vues. Et par désenfantement,

Tout doit être effacé et sans discernement.

Aux chiottes le libre arbitre, l’égalité en droits,

Il n’y a plus que le genre, la couleur et la foi.

Oubliés la Commune, Bir Hakeim et Valmy,

Honnis les Nymphéas et l’Encyclopédie,

La Grande Illusion et les dialogues d’Audiard,

Le roquefort, le ris de veau et le magret de canard.

Finis l’alexandrin, les vers de mirliton,

Soyons américains et devenons tous cons !

Et de ce millénaire dont l’Histoire s’est grandie,

Il ne faut rien garder et se penser petits.

Borodino, épisode VI (Le Cadet 94)

Borodino, épisode VI [1]

En conclusion de chaque défilé sur la Place Rouge, l’orchestre s’avance vers la tribune officielle et les musiciens entonnent a capella un chant de La Grande Guerre Patriotique, dont le refrain se traduit ainsi : « Ces mots sacrés, Moscou est derrière nous, nous rappellent l’époque de Borodino » Diantre ! voilà une victoire française célébrée tous les ans au pied du tombeau de Lénine ? Sauf que pour les Russes, cette bataille fut certes une défaite tactique mais une victoire stratégique car, venant après les très durs combats de Smolensk, les Français entrèrent dans Moscou épuisés, sans vivres et sans fourrage. On sait la suite.

Les Russes en fêtent ces jours-ci le 210ème anniversaire et leur armée ne compte plus le nombre de chars détruits et les pertes humaines dans le Donbass. Mais leurs banques croulent sous les liquidités et, si leur industrie est en panne du fait des sanctions et ses perspectives totalement bouchées, ils auront cet hiver de quoi se chauffer, s’éclairer, et leurs magasins d’alimentation seront garnis y compris de porc chinois. Nous ne pouvons en dire autant. Les effets en cascade (les mauvais esprits diront : de ruissellement) de décisions inconséquentes prises sans débat et sans concertation, sur des considérations prétendument historiques où les fantasmes d’empire russe et de panslavisme ont volé au secours du sempiternel joker de Munich (« Il est des idées d’une telle absurdité que seuls les intellectuels peuvent y croire », disait George Orwell) n’ont servi à des anecdotiers de Franprix qu’à se monter le bourrichon sur les plateaux TV pour tenter de faire oublier que ce n’est pas l’invasion qui nous met en danger, c’est notre surréaction qui nous revient dans la gueule.

 

Mais nous devons bien « ça » à l’Ukraine ! a dit le président de la République, sans qu’on comprenne ce que cette diplomatie du « ça » recouvre. Et rien ne dit que la Russie ne parvienne à négocier ce glacis stratégique, cette zone tampon de maîtrise de l’escalade et d’arbitrage entre ses armées et celles de l’Otan, qu’elle réclamait en décembre dernier et que n’importe qui de censé peut tracer sur une carte dans son agenda.

Comme tous les dix ans, Normandie-Niémen a repeint un de ses Rafale pour célébrer la création, en 1942, de l’escadrille, avec une livrée blanche tachetée de motifs épars comme on en trouvait sur les housses de couette du catalogue de la Redoute à Roubaix. Mais pas une seule étoile rouge. Maurice de Seynes, qui se sacrifia pour tenter de sauver la vie de son mécanicien Vladimir Belozub, apprécie sûrement, du haut du paradis des héros, que l’Armée de l’Air se prête à ce genre de mesquinerie. Or s’il est un « ça », c’est à eux que nous le devons.

[1] Voir : n° 88, « Le retour de Folamour », février 2022 ; n° 89, « Leur joueur de poker et nos joueurs de billes », mars 2022 ; n° 90, « Touché Coulé », avril 2022 ; n° 91, « Une connerie », mai 2022 ; n° 92, « La brigue des egos (sotie européenne) », juin 2022.

Le Cadet n° 94

Comment faire un budget ? (Le Cadet 93)

Ukraine et inflation : le budget post-covid des Armées va donner lieu aux chamailleries habituelles avec Bercy. Le logiciel comptable des LPM n’est pourtant plus de mise, dette irremboursable ou pas, et il faut remettre du gras dans les casernes comme les hôpitaux, les arsenaux comme les universités, faute de quoi tout va disparaître et à brève échéance. Revenons deux siècles en arrière.

Lorsque le baron Portal prit le portefeuille de la Marine fin 1818, celle-ci portait encore beau grâce à l’Empire, mais « les progrès de la destruction s’étendaient avec une telle rapidité, beaucoup plus vite que l’entretien et les nouvelles constructions, que si l’on persévérait dans le même système, après avoir consommé 500 millions de plus, il ne nous resterait dans dix ans presque plus ni un vaisseau ni une frégate. C’est dire que sans perdre des moments qui nous coûtaient cher, il fallait abandonner l’institution pour épargner la dépense, ou augmenter la dépense pour maintenir l’institution. Nous n’avions pas d’autre alternative ». Le budget de la Marine, fixé à 45 millions de francs par an, était la cause du dépérissement : il fallait au moins 65 millions « pour obtenir un approvisionnement de réserve et une puissance maritime de 40 vaisseaux, 50 frégates et 80 corvettes, bricks ou goélettes ». Car pour les trois-quarts d’un budget on n’a pas trois-quarts d’armée, on n’a pas d’armée du tout.

Mais injecter, comme le font les Allemands, 100 milliards dans un matériel qui n’a pas été redéfini à l’aune de l’Ukraine nous ramènerait au dilemme du Front Populaire, lorsqu’il s’agissait de produire en masse les engins existant, ou d’attendre les nouveaux mais retarder le réarmement. Et ne parlons pas de la mauvaise volonté, comme en 1936, d’industriels plus soucieux de dividendes et de technologisme que de défense nationale. C’est à nos militaires de fixer leur besoin en hélicoptères lourds, en avions de transport tactique ou en roues-canon de 120, matériels indispensables qui pourtant leur font aujourd’hui défaut.

Il s’agira ensuite de trouver l’argent ; ce n’est pas le plus difficile. Le patrimoine français, foncier, épargne ou assurance-vie, c’est 15.000 milliards. « Le consentement à l’impôt et la justice fiscale sont intrinsèquement liés à la vie des démocraties. Taxer, c’est permettre de financer les États au nom de l’intérêt général. Il est essentiel que chacun paie sa juste part de l’impôt. Or ce n’est pas le cas [1]. ». Une dîme républicaine, comme il y eut un Vingtième du temps des rois [2], c’est 1.500 milliards tout de suite. Ramassage des copies dans six semaines.

Le Cadet

[1] Bruno Le Maire, Ministre de l’Économie, Le Figaro, 22 octobre 2018.

[2] Voir Le Cadet in Revue Défense Nationale : « City versus Navy », janvier 2012 ; « Soldats soldés », avril 2015. Sur La Vigie : n° 60, « Don gratuit », avril 2019.