For the record (Le Cadet n° 95)

J’avais pourtant rempli la moitié des musées,

Inventé l’holomètre, la photo, le ciné.

On jouait Faust et Carmen jusqu’en Patagonie,

Hollywood ne jurait que par Claude Debussy ;

On chantait Véronique, on copiait Figaro,

On exposait Monet, Fragonard ou Moreau.

Il n’était pas une île, il n’était pas une terre

Qui ne connut Valjean et ses Trois mousquetaires,

A laquelle n’ait un jour abordé mon drapeau

Blanc ou les trois couleurs, en frégate ou cargo,

Celui des Bougainville, Cartier ou Lapérouse.

Et jusqu’aux plus falotes des tierces nations, jalouses,

Toutes et tous apprenaient, des izbas aux igloos,

Ces fils de généraux, qui Dumas, qui Hugo.

Et voilà que soudain, comme un roi qu’on détrône,

Dans un concert de cris, d’imprécations de clones,

On me dit tout à trac que je suis la névrose

D’un monde globalisé en pleine métamorphose ;

Que les Lumières françaises, tout ça c’est du bullshit,

Que ça ne sert à rien, que les carottes sont cuites ;

Que l’An II, que Gavroche et le salut de l’Empire

Embellissent l’accompli mais qu’il faut en finir

De Montaigne, Montesquieu, Valéry et Voltaire,

Et de toutes ces Rêveries de promeneur solitaire.

Tout ce qui dit la France, ce nom béni de Dieu,

Ce mot de délivrance célébré en tous lieux,

On le chasse, on le traque, le conspue et le hue,

On n’a plus rien à foutre de toutes ces choses lues,

Choses sues, Choses vues. Et par désenfantement,

Tout doit être effacé et sans discernement.

Aux chiottes le libre arbitre, l’égalité en droits,

Il n’y a plus que le genre, la couleur et la foi.

Oubliés la Commune, Bir Hakeim et Valmy,

Honnis les Nymphéas et l’Encyclopédie,

La Grande Illusion et les dialogues d’Audiard,

Le roquefort, le ris de veau et le magret de canard.

Finis l’alexandrin, les vers de mirliton,

Soyons américains et devenons tous cons !

Et de ce millénaire dont l’Histoire s’est grandie,

Il ne faut rien garder et se penser petits.

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