Une connerie (Le Cadet n° 91)

On aura beau chercher un autre mot dans le Littré ou le dictionnaire de l’Académie, l’entrée de la Finlande dans l’OTAN, plus qu’une erreur, davantage qu’une faute, est une incommensurable connerie.

C’est une provocation gratuite, une gifle à la mémoire russe toujours traumatisée par le siège de Leningrad qui avait transformé la ville, conformément à la directive d’Hitler n° 1601/41 du 22 septembre 1941 confirmée le 7 octobre suivant, en camp d’extermination à ciel ouvert. Ce siège fit périr de froid et de faim un million de civils dont les deux frères aînés de Poutine, qui se vit lui-même comme un survivant. Les Finlandais en furent complices en installant un blocus au nord de la ville et en tentant de couper la route du lac Ladoga par la Carélie orientale. Que la brigade atlantiste des Trissotin de la pensée stratégique [1] ne comprenne pas le symbole que revêt ce « réarmement » finlandais, passe encore, mais que la France se précipite pour soutenir cette adhésion relève tout autant de l’inculture que de l’irresponsabilité.

Ces bouffées délirantes qui ont blacklisté depuis trois mois les films, les artistes, les opéras, les champions d’échecs, les solistes ou les chefs d’orchestres russes, débouchent aujourd’hui sur une guerre qu’il va falloir nommer, les Américains remettant en vigueur le prêt-bail (Lend-Lease) de la lutte contre le nazisme, et l’OTAN souhaitant une victoire ukrainienne. Mais c’est quoi, le game ? Juste embêter Moscou ? On hésite entre La nef des fous de Bosch et Les aveugles trébuchant de Brueghel.

La prochaine étape est écrite : une révolution de palais à Minsk et le basculement de la Biélorussie. Les Américains mettront des bases de missiles tout le long de la frontière russe, de la mer de Barents à la mer d’Azov, il n’y a aucun doute à entretenir sur leur incapacité à savoir s’arrêter, à ne pas monter aux extrêmes, en un mot à s’empêcher – comme écrivait Albert Camus. Nous voilà pour de longues années dans l’attente de la riposte russe sur ces marches varsoviennes qui se targuent d’importance parce qu’elles s’imaginent disputées [2]. Désormais elles vont l’être et la guerre est redevenue l’horizon de l’Europe. C’est ce que recherchaient les neo-cons en 2001 : l’Amérique de Bush a gagné.

Où est l’intérêt stratégique de la France [3] ? Que lui chaut que la Finlande, déjà couverte par l’article 42 alinéa 7 du Traité UE, soit ou ne soit pas dans l’OTAN ? La France, muette, aveugle et sourde, a abdiqué sa liberté. Pour la recouvrer, la nécessité d’une sortie du Traité atlantique, et même de celui de Lisbonne, va désormais se poser. Comme quoi une connerie en appelle toujours d’autres.

[1] Le Cadet, Revue Défense Nationale, « Za Rodinu », avril 2014. La baronne évoquée dans la dernière phrase n’était pas à cette date Ursula von der Leyen mais Catherine Ashton.

[2] Le Cadet, Revue Défense Nationale, « Normandie-Niémen », mai 2015.

[3] Voir les trois derniers Cadet : n° 88, « Le retour de Folamour », février 2022 ici ; n° 89, « Leur joueur de poker et nos joueurs de billes », mars 2022 ici ; n° 90, « Touché Coulé », avril 2022, ici.

One thought on “Une connerie (Le Cadet n° 91)

Laisser un commentaire