Algérie, puissance spatiale ? (J. Crisetig)

Grâce à Joël Crisetig, nous poursuivons notre étude des puissances spatiales émergentes. Après le Maroc, voici le voisin algérien. LV.

Grâce à son programme spatial multidimensionnel et soutenu activement par la Chine, l’Algérie est une concurrente sérieuse au Maroc dans la conquête spatiale sur le continent africain. A première vue, Alger et Rabat ont adopté des stratégies différentes, mais l’Algérie avance de toute évidence masquée pour rattraper son voisin.

L’Algérie est un poids lourd du spatial africain. Premier pays du continent à se lancer dans le développement de (nano)satellites, elle a diversifié ses partenariats – Chine, pays occidentaux – et les usages de son programme spatial : protection de l’environnement, développement économique, recherche scientifique… Un développement inséparable de celui de son voisin et meilleur ennemi, le Maroc (voir billet sur le Maroc spatial). Dès lors, en quoi l’Algérie cherche-t-elle à contrer les ambitions spatiales de Rabat par une stratégie la plus multidimensionnelle possible ?

Un développement spatial multidimensionnel

L’Algérie est un précurseur de la conquête spatiale sur le continent africain. Dès les années 1980, le pays investit dans le secteur et, en 2002, l’agence spatiale algérienne (ASAL) est fondée et placée sous la tutelle du gouvernement. Dans la foulée, les premiers nanosatellites sont conçus. L’Algérie institue en 2007 l’École Doctorale des Technologies et Applications Spatiales (EDTAS), promouvant la recherche sur le spatial et censée doter le pays d’ingénieurs compétents en la matière. Aujourd’hui, Alger a annoncé vouloir se positionner sur les satellites de dernière génération à l’horizon 2040. Les objectifs déclarés du spatial algérien sont multiples : protection de l’environnement et du patrimoine culturel par l’établissement de mesures topographiques et de physique atmosphérique, recherche scientifique, télécommunications et informatique, développement économique… En tout, ce sont six satellites algériens qui gravitent autour de la terre (Alsat1, 1B, 1N, Alsat 2, 2B et Alcomsat-1). Le dernier en date et le seul d’entre eux qui soit géostationnaire, Alcomsat-1, lancé en 2017, a de nombreuses missions, comme la diffusion télévisuelle, les télécommunications d’urgence, l’éducation à distance, la communication entre les entreprises ou encore la navigation par satellite.

Le choix du partenariat Sud-Sud

Contrairement au Maroc, qui lance ses satellites depuis la base française de Kourou, en Guyane, et coopère principalement avec des entreprises européennes (Safran, Thales…), l’Algérie a fait le choix de la diversification des interlocuteurs. L’ASAL travaille avec le Royaume-Uni, la France, mais aussi l’Inde ou la Chine, et même avec… l’Argentine et la Syrie. Alcomsat-1 a été développé grâce à des technologies chinoises et a été lancé par la fusée « Longue Marche 3 » depuis le Sichuan, dans le Sud de l’Empire du milieu. En raffermissant son lien « Sud-Sud » avec la Chine, datant de la Guerre Froide, en plus de ses échanges avec des États occidentaux, l’Algérie espère bénéficier d’un transfert de technologie important. Pour mieux concurrencer son voisin et meilleur ennemi, le Maroc, qui multiplie les initiatives spatiales ?

Une position moins agressive que son voisin marocain ?

Si le Maroc et l’Algérie se vouent une aversion tenace, leurs objectifs spatiaux semblent diverger en de nombreux points, au point qu’il paraît aujourd’hui difficile de considérer l’espace comme un nouveau terrain d’affrontement direct entre les deux voisins. En effet, de nombreux spécialistes estiment que les satellites marocains Mohammed VI-A et B répondent davantage à des objectifs stratégiques qu’Alcomsat-1 : ils défilent à une hauteur d’à peine 680 km au-dessus de la Terre – contre 36.000 pour Alcomsat-1 – et sont ainsi en mesure de fournir une imagerie bien plus précise utilisable à des fins de renseignement par exemple. Cependant, il s’agit de rester prudent sur les aspirations spatiales algériennes, d’autant plus qu’Alger les garde naturellement secrètes. Il y a en effet fort à parier que l’Algérie envisage, à terme, de rattraper le Maroc, qui a pris une avance technologique certaine dans la course à l’espace grâce à ses systèmes d’imagerie les plus précis du continent africain. L’Algérie dispose également de satellites circulant à basse altitude et capables de fournir des images multispectrales de haute résolution (Alsat 2A et 2B) et Alcomsat-1 sera employé pour la protection des frontières, selon l’aveu de l’ASAL. Il n’est d’ailleurs pas exclu que certains transpondeurs du dernier satellite algérien servent à des fins militaires. Preuve qu’il faudra surveiller le développement stratégique, voire peut-être même militaire, du spatial algérien.

Joël Crisetig

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