Covid 19 L’épidémie est inexorable – pas la catastrophe sanitaire (G-P Goldstein)

Faisant suite à un précédent article paru dans ces colonnes (voir ici en libre lecture), Guy-Philippe Goldstein nous offre un nouveau point de situation stratégique sur le COVID 19. Merci à lui. LV

L’Europe est désormais sur la ligne de front d’une crise sanitaire mondiale rare, comme on en connaît une à deux fois par siècle. L’ensemble formé par l’EU, l’EEE et le Royaume-Uni comptait presque 15.000 personnes malades au 10 mars et plus de 500 morts[1]. L’Italie est désormais le 2ième pays le plus touché au monde après la Chine. En même temps, des éditos (comme par exemple dans les Échos au 4 mars[2]) s’interrogent de la raison d’un tel impact médiatique pour une maladie qui n’a fait que 3000 morts à date. Il est donc important de rappeler (1) quels sont les enjeux sanitaires et économiques ; (2) ce que l’on peut apprendre des pays déjà touchés; (3) souligner de nouveaux impacts géopolitiques et sociétaux en fonction du succès ou des échecs de chaque pays à stopper ou non l’épidémie.

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L’enjeu de la crise est d’éviter l’effondrement des structures hospitalières et ce qui pourrait s’ensuivre : l’explosion de la mortalité et le désordre économique, financier et social.

Comme rappelé dans le dernier bulletin de la Vigie, le COVID-19 présente une mortalité plus forte que la grippe (premières estimations de 1%, soit au moins 10 fois plus que la grippe saisonnière à moins de 0.1%) et un degré de contagiosité x1.5-x2.0 plus élevé que la grippe, qui s’explique tant par les caractéristiques du virus que par le fait que notre espèce n’a aucun historique immunitaire face à ce nouveau pathogène[3]. Certes, à date, les épidémies saisonnières de grippe ou les accidents de la route font plus de morts en France et dans le monde. Mais les niveaux de ces problèmes sanitaires sont connus et les infrastructures de santé des pays développés ont été bâtis en fonction. Ces problèmes n’augmentent pas de 20% à 50% par jour comme c’est le cas en Italie ou en France en ce début mars, ou à Wuhan entre la fin janvier et le début février (voir fig 1.a.). Une épidémie est une course contre la montre. En période de progression, l’un des indicateurs clés de succès ou d’échec n’est pas juste le nombre de personnes infectées ou décédées, mais d’abord le taux de croissance quotidien ou hebdomadaire.

A cette aune, au début de cette deuxième semaine de mars, les pays européens sont à un niveau de croissance quotidien de la maladie comparable à celui de la Chine fin février même si légèrement plus faible (51% par jour contre 36%-41% par jour en Allemagne, France, Espagne ou Italie), sur la base des cas détectés (voir Fig. 1.b).

Figure 1.a : Évolution du nombre d’infectés dans les 10 jours passé le 50ième cas détectés

Source : Wikipedia, John Hopkins

Figure 1.b : Taux de croissance dans les 10 jours passés le 50ième cas détectés

Source : Wikipedia, John Hopkins

Cependant, ces données sont sujettes à caution, car elles dépendent des capacités de tests. Si l’on regarde en fonction du nombre de morts, une donnée plus fiable, à partir du 15ième mort, la progression de la maladie dans la province de Hubei fin janvier et en Italie début mars est comparable (voir Fig. 2). Les mesures de ralentissement de la progression prises en Europe, différentes de celles adoptées dans certains pays asiatiques tels que Singapour ou Taïwan, n’ont donc pas fonctionné comme espérées.

Figure 2. Évolution du nombre de décès passé le 15ième décès (Italie vs. Province de Hubei)

A cette aune, la France n’est pas sur une bonne évolution. L’Italie est passé de 17 morts à 34 en 4 jours. La France est passé de 16 morts à 33 en 4 jours également : comme l’Italie dix jours plus tôt, la France double le nombre de morts en 4 jours au 10/3/2020.

Pourquoi cette augmentation du nombre de morts ? Le problème, comme l’explique avec le cas de la Belgique le Dr. Philippe Devos, médecin urgentiste au CHC de Liège, c’est la capacité d’accueil pour les soins de réanimation d’urgence et détresse respiratoire[4]. En regardant les chiffres bruts à date, ce nombre varie entre 4.7% (France) ou 6.0% (Singapour) et monte jusqu’à 9.6% en Italie[5].  Dans la foulée du Dr. Devos, si l’épidémie n’est pas contenue, les infrastructures sanitaires seront totalement débordées[6]. Sans lits équipés pour la détresse respiratoire, le taux de mortalité remontera à hauteur du nombre du % de personnes en soins d’urgence, c’est-à-dire autour de 4-5%. C’est le taux « naïf » de mortalité (CFR) dans la province de Hubei, cœur de l’épidémie : 4.3%. C’est le signe du débordement total des infrastructures hospitalières. C’est un taux de mortalité 1.5 fois supérieur à celui de la grippe de 1918. C’est ce que l’on voit aujourd’hui en Italie.

Cela signifie de facto que les structures d’urgence sont engorgées et ne peuvent plus faire face à d’autres types d’urgences, en particulier respiratoires. Sans système opérant d’urgence médicale, les États sont obligés d’intervenir pour éviter la panique. Sans thérapies, ils ne disposent que des mesures d’interventions non-médicamenteuses. Mais appliquées avec parcimonie, celles-ci ne parviennent pas à enrayer l’épidémie. Les marchés, qui anticipent alors d’un arrêt plus global et ne comprennent plus à quel horizon l’épidémie sera contenu, s’affolent. C’est ce qui se passe depuis plus d’une semaine et ce qui s’est accéléré le lundi 9 mars 2020. Comme le note Ruchir Sharma, patron des marchés émergents et stratégiste en chef pour Morgan Stanley, les marchés n’arrêteront de paniquer que lorsqu’ils retrouveront de la visibilité[7]. C’est-à-dire, techniquement, lorsque le pic de la maladie aura été atteint (ou peut être prédit avec confiance) et quand le nombre de nouveaux cas quotidiens baissera.

Or c’est un objectif atteignable : c’est précisément ce que la Corée a réussi à faire. Mais aussi ce que Taïwan est parvenu à démontrer depuis maintenant six semaines.

Les leçons à tirer (en urgence) des succès contre l’épidémie en Asie

Trois leçons importantes ressortent non seulement des cas chinois, mais aussi celui de Corée du Sud ou de Taïwan.

1/ Dépistage systématique de masse

La Corée du Sud a connu une explosion épidémique qui à son démarrage, à partir de la mi-février, égalait celle à Wuhan. Cependant en moins de quinze jours, l’épidémie a atteint son pic (le 1er mars, avec 1062 nouveaux cas) et depuis le nombre de cas nouveaux a continué à baisser.

Le changement démarre le 22 février, lorsque le premier ministre Chung Sye-kyun reconnaît l’échec et annonce une nouvelle stratégie. L’objectif est de « trouver les patients qui ont infecté d’autres personnes et de les guérir »[8]. Parmi certaines mesures nouvelles, un dépistage systématique démarre dans la foulée. Au 6 février, le gouvernement a réalisé plus de 190.000 tests à raison d’environ désormais 15.000 tests par jours[9]. Le pays a déployé entre autre plus de 50 centres en « drive-through » ou le test en tant que tel prend 10 minutes, et dont le résultat est donné ensuite entre six heures et une journée[10].  L’Allemagne, qui était à 5.000 tests par jours dans la semaine du 2 au 8 mars, est passé désormais à 12.000 tests par jour[11]. La France, un pays avec une population 30% plus grande que la Corée du Sud, n’a réalisé elle que 900 à 1.100 tests/jour entre le 3 et le 5 mars[12].  Il ne semble pas y avoir de données depuis. Est-ce pour raison de moyens ? Laurent Touvet, préfet du Haut-Rhin, reconnaissait dans un interview sur BFM TV le vendredi 6 février que l’Agence Régionale de Santé locale n’avait pas les moyens de tester suffisamment de cas suspects. Est-ce la raison pour laquelle la stratégie de dépistage en France se limiterait aux tests des cas les plus graves ? Si c’était là la logique, ce serait une bien mauvaise raison.

La contagion mondiale de la crise sanitaire était un scénario probable, identifiable il y a 4 à 8 semaines. Pourquoi ne pas avoir vérifié les capacités de dépistage au cas d’un scénario de flambée épidémique comme en Chine ? En outre ne pas tester les cas suspects, même non graves, risque d’attiser la colère et la peur de nombre de citoyens qui pourront y voir là un signe d’impéritie de l’État, comme cela s’exprime aux États-Unis. Il s’agit d’un élément clé de contrôle car certaines études ont montré que la moitié des infections se réalisaient lorsque les patients ne montraient pas encore de symptômes (48% à Singapour, 62% à Tianjin en Chine)[13].

Ne pas réaliser ces efforts de dépistage de masse, c’est accepter de perdre le contrôle de l’épidémie – et terminer dans le type de quarantaine de masse tel que l’a connu l’a province de Hubei.  Comme le note le Dr. Bruce Aylward, chef de la mission de l’OMS en Chine, dépister à l’échelle est bien un élément clé de contrôle de l’épidémie. L’objectif est d’identifier les patients infectés pour les isoler – et de prévenir les relations, potentiellement atteintes (à hauteur de 5 à 15%)[14] pour qu’elles se mettent en quarantaine. Le tout doit être effectué plus vite que l’épidémie ne se répande[15]. C’est comme cela que l’épidémie a pu être contrôlée en Chine hors de la province de Hubei. Et c’est comme cela qu’elle a été maitrisée en Corée en quelques semaines – sans recours aux mesures autoritaires chinoises.

2/ Le volet « virtuel », complément au XXIème siècle des mesures traditionnelles de « social distancing »

Les technologies numériques, qu’il s’agisse du traitement big data, des applications mobiles et des systèmes de vidéoconférence, offrent des solutions essentielles qui n’existaient pas il y a encore 15 ans. Les administrations qui utilisent des plans développés dans les années 2000, lorsque la prise en compte des risques bactériologiques dans un contexte « 11 septembre » étaient à l’ordre du jour, doivent absolument être réactualisés pour prendre en compte ces techniques à l’œuvre avec succès en Chine, en Corée du Sud et à Taïwan.

Les applications mobiles, utilisant le big data, permettent de gérer un isolement et une quarantaine personnalisée. En Corée du Sud, le ministère de l’Intérieur a développé une application qui permet aux personnes devant rester chez elles de rester en contact avec des agents des services médicaux suivant l’évolution de la maladie[16].  Le GPS permet aussi de vérifier que les patients respectent leur quarantaine géographique. Elle s’applique aux patients déclarés, ainsi aussi qu’aux « contacts », 30.000 au vendredi 6 mars, définis par la CDC coréenne comme les personnes ayant été à moins de deux mètres d’une personne infectée ou bien ayant été dans la même pièce. Mise en quarantaine pendant 14 jours, les personnes « contacts » doivent s’isoler là où elles vivent et sont en contact via l’application avec les services médicaux deux fois par jour. L’application est fortement recommandée mais pas obligatoire. De même à Taïwan, dès le 29 janvier, les personnes mises en quarantaine se voyaient remettre des téléphones mobiles qu’elles devaient garder avec elles[17]. Le gouvernement envoyait des alertes quotidiennes sur le téléphone mobile[18]. En Corée, les autorités envoient aussi des messages SMS d’alerte quotidienne, recommandant non seulement de se laver les mains et de ne pas se toucher le visage, mais aussi en localisant certaines alertes – prévenant par exemple des restaurants et des magasins si certains clients ont déclarés par la suite la maladie[19]. D’autres applications issues du secteur privée identifient les endroits les plus fréquentés par les personnes malades[20].  Les excès et les atteintes à la vie privée sont possibles et ces tous derniers exemples ne sont pas forcément à suivre. Mais ils montrent néanmoins la capacité à utiliser à la fois le big data (par exemple pour identifier de nouvelles zones sensibles) et le smartphone comme un outil de relation individualisée entre les citoyens et les autorités médicales.

La téléconférence et le télétravail constituent aussi des moyens nouveaux qui ont plusieurs avantages. D’une part, évidemment, ils permettent de réduire les contacts physiques et donc la propagation de la maladie. D’autre part, en permettant à une partie des employés de ne pas venir, ils peuvent désengorger les transports en commun, en particulier aux heures de pointe. Enfin, et c’est le plus important pour la résilience nationale : ils permettent la poursuite de l’activité économique. En Chine, les applications de télétravail WeChat Work et DingTalk ont vu une très forte croissance de leur nombre avec le début de la crise[21]. Comme le notent certains témoignages, de nombreuses entreprises chinoises et leurs employés ont appris à travailler en ligne depuis leur domicile[22]. Et il s’agit de l’une des recommandations – évidentes – de la CDC américaine[23]. Les employés d’Apple, Google, Amazon, Twitter et de nombreuses autres sociétés demandent ou recommandent de travailler depuis chez eux[24]. Aux États-Unis, depuis le 9-10 mars, de très nombreuses universités américaines – dont le MIT, Stanford, Princeton, Harvard, Columbia University…- viennent d’arrêter les classes en présentiel et sont passés à des cours strictement en ligne. En France, c’est ce que vient de décider au 10 mars la Business School de l’École des Ponts, qui a co-écrit une tribune dans le Monde à ce sujet avec l’auteur de ces lignes[25]. Il s’agit d’une exigence éthique – comment faire porter à un employé un risque vital ? en même qu’une nécessité civique : une entreprise ou une institution d’éducation ne peut devenir un foyer de contagion et favoriser la diffusion du virus au-delà de ses murs.

3/  Agir dans le tempo de la crise – en amont, pas en aval

Cette nécessité d’agir dans la vitesse, en amont du gros de la crise pour justement la prévenir, est justifiée par l’étude des épidémies précédentes. C’est la leçon tirée d’une épidémie potentiellement comparable, la grippe espagnole de 1918-19 qui fit plusieurs dizaines de millions de morts dont 675.000 aux États-Unis. Une étude de 2007 a identifié la surmortalité par ville due à l’épidémie et regardé la mise en place des mesures non-médicamenteuses (fermeture des écoles, suppression des réunions publiques, etc…) en fonction de leur exhaustivité, de leur durée, et de leur date – à savoir, si elles ont été mises en place suffisamment tôt ou non[26]. Tous ces facteurs ont compté, en particulier le dernier. New York City a mis en place ces mesures de manière préventive, quelques jours avant le démarrage de l’épidémie. Pittsburgh en Pennsylvanie attendit une bonne semaine après le démarrage. La surmortalité (mesurée en nombre de mort pour 100.000 habitants) y fut plus de 75% plus élevée[27]. L’une des mesures les plus efficaces face aux épidémies de grippe, la fermeture des écoles, est par exemple quasiment inutile si elles intervient trop tard[28]. Il ne faut pas se tromper de tempo. Face au virus, les autorités ne peuvent pas progresser de manière linéaire quand l’épidémie avance, elle, en mode exponentiel.

Et l’on peut aussi agir de manière proactive. Taïwan est peut-être l’un des meilleurs exemples pour cela. Avec 23 millions d’habitants, Taïwan recevait en 2019 2,7 millions de visiteurs venant de Chine, quand 800.000 de ses citoyens résident en Chine. C’est dire si la petite république était sur la ligne de front du Coronavirus. La République a agi de manière proactive, très en amont – et pas de manière graduelle comme on le voit en Europe. Dès le 20 janvier, trois jours avant la décision du « lockdown » sur la ville de Wuhan, Taiwan activait le Central Epidemic Command Center. Depuis 15 jours déjà, tous les cas suspects étaient dépistés sur plus de 26 virus. Par la suite des systèmes d’identification et de contrôle/gestion des cas ont été mis en place, utilisant par exemple la nécessité de déclaration d’état de santé aux ports d’entrée via formulaire sur application mobile en ligne puis suivi par SMS (un système monté en 78 heures)[29]. La production de masques a également été géré de manière proactive, avec plus de 4 millions de masques chirurgicaux produits quotidiennement dès le 30 janvier, avec l’aide des soldats de l’armée réquisitionnés pour l’occasion – et une production qui va monter à 10 millions de masques par jour à partir du 2 février[30]. Les résultats de cette politique proactive : au 9 mars, Taïwan ne comptait que 45 patients malades du COVID-19.

 

Conclusion : Les nouveaux impacts géopolitiques et économiques

Trois nouvelles conclusions géopolitiques & économiques peuvent être tirées à la date d’aujourd’hui, en plus de celles évoquées dans le billet précédent[31] :

L’Asie développée démontre qu’elle surclasse technologiquement l’Europe dans la gestion de crise – et peut-être, sur certains angles, les États-Unis. Aucuns des moyens technologiques (du dépistage de masse, aux volets des technologies numériques) semblent à date présents en terme d’échelle et de qualité dans les réponses à la crise développées en Europe. Même le dépistage de masse fait défaut aux États-Unis : au 10 Mars, les États-Unis avaient réalisés moins de 5.000 tests depuis le 19 janvier[32]. C’est à peine mieux que l’Inde qui en a réalisé un peu plus de 4.000[33]. Un autre exemple de ce retournement : la Chine vend à l’Italie le 10 Mars 1000 systèmes d’assurance respiratoires, 2 millions de masques et fait don ( !) de 100.000 appareils respiratoires, 20.000 combinaisons de protection et 50.000 kits de test[34]. La Corée vend aussi ces tests en kit. L’Europe semble déclassée.

Le keynésianisme va revenir triomphant : le risque d’un effondrement boursier continu tant que le pic de la crise sanitaire n’est pas visible ni en Europe ni aux États-Unis risque de créer une crise de liquidités. Au Japon, en Chine mais aussi en Europe et même peut-être aux États-Unis, on se prépare à des mesures de déficit budgétaires pour renflouer directement l’économie alors que les banques centrales, confrontés à des taux trop bas ou même négatifs, ont peu de marges de manœuvres[35]. Mais au niveau thématique, il est impensable de ne pas croire que « Medicare for all » va devenir un mantra inexorable si l’épidémie fait des ravages aux États-Unis. Et de manière plus générale, l’épidémie risque de mettre à nu un système social ou l’absence de filet de sécurité a fini par détruire la résilience de la société face à un choc externe brutal. Si l’Amérique en tire toutes les leçons, c’est un changement de paradigme économique et sociétal, comparable au tournant néo-libéral du début des années 1980, qui va s’amorcer à la sortie de la crise du coronavirus – d’autant que les effets sociétaux de la Grande Dépression ont préparé le terrain de cette transformation depuis 10 ans.

La compréhension d’un monde plus connecté et plus exponentiel : C’est l’ultime leçon de la crise du COVID-19. D’une part les pays européens semblent l’avoir traité comme la crise du SARS en 2002-2003. Or non seulement le pathogène est bien plus contagieux ; mais en outre, la Chine est désormais au cœur de la chaîne de production mondialisée. Wuhan, lieu de production automobile pour Peugeot[36], possédait par exemple une liaison aérienne directe avec Paris avant la crise. Et 2,4 millions de touristes chinois avaient visité la France en 2019[37]. On ose espérer qu’aucun dirigeant européen n’a pu penser que la crise pourrait être circonscrite à l’Asie.

Mais comment a-t-elle été préparée en Europe au cours des 6 semaines depuis la mi-janvier, quand elle se déclare à Wuhan ; et le début mars ? Des exercices de simulation de crise ont-ils été réalisés ? Si oui, quelles conclusions et préparations en ont découlé ?…

On en vient à une dernière question, fondamentale. Celle de l’apparence, espérons-le trompeuse, que les dirigeants européens agissent en fonction de l’évolution de la situation au jour le jour et de manière proportionnée à celle-ci – sans voir qu’il y a un modèle d’évolution « exponentielle » de l’épidémie jusqu’au pic et que l’on ne peut pas agir de manière linéaire face à un phénomène qui double tous les 6 jours. On retrouve là, curieusement, le mode de pensée des grands dirigeants d’entreprises traditionnelles face à la disruption numérique, dépassés par des petits concurrents qui doublent de taille à intervalle réguliers – jusqu’à submerger « par surprise » la vieille entreprise. Cela se retrouve dans la gestion de crise : on applique le plan – mais en période de crise, le plan n’est qu’un point de départ. Sur cette base, les dirigeants doivent mobiliser imagination et audace face à une situation dont la gravité peut justement augmenter de plusieurs degrés de magnitude très rapidement. On se prend à rêver à un Churchill qui avait précisément ces capacités d’audace et d’imagination.

Son esprit s’est peut-être réveillé quelque part dans l’Asie développée. Rien n’empêche cependant qu’il ne revienne en Europe. Il faut juste ce sursaut d’audace et d’imagination.

Guy-Philippe Goldstein

[1] https://www.theguardian.com/world/live/2020/mar/10/coronavirus-update-latest-italy-shutdown-lockdown-who-pandemic-outbreak-quarantine-uk-cases-usa-america-australia-live-news-updates

[2] https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/coronavirus-anatomie-dune-hysterie-collective-1181776#utm_source=le%3Alec0f&utm_medium=click&utm_campaign=share-links_twitter

[3] https://www.lettrevigie.com/blog/2020/02/28/le-monde-face-a-la-pandemie-du-covid-19-g-p-goldstein/

[4] https://www.lespecialiste.be/fr/debats/coronavirus-armageddon-ou-foutaise.html?fbclid=IwAR2jAb6BLeojHwc8HqGnapBRQ10hs8_9c78HcFliF5AUPj3Tvr1O7gNdr-U

[5] Voir https://www.worldometers.info/coronavirus/. Il y a également un « outlier », la Corée, avec 0.5%, peut-être en raison du dépistage massif qui permet d’identifier des cas très tôt, alors qu’il y a un delai pour qu’un cas progresse de l’infection au stade de la détresse respiratoire – voir Wang D, Hu B, Hu C, Zhu F, Liu X et al. Clinical Characteristics of 138 Hospitalized Patients With 2019 Novel Coronavirus-Infected Pneumonia in Wuhan. Published online February 7, 2020. dans https://www.cdc.gov/coronavirus/2019-ncov/hcp/clinical-guidance-management-patients.html#foot03 .

[6] On peut faire le même exercice pour la France que pour la Belgique. Selon l’institut Pasteur, les épidémies de grippe saisonnières en France touchent entre 2 et 8 millions de Français par an. Face à un pathogène nouveau et x1.5-x2.0 plus contagieux, si l’on prend un étiage moyen, sans contrôle strict, on peut estimer que l’épidémie touchera au moins environ 5 millions de personne. Avec 5% de soins méritant une réanimation d’urgence, 250.000 d’entre eux auront besoin de soins d’urgence, incluant respirateurs et dialyses. La Belgique, avec 11.4 millions d’habitants, et un niveau de développement socio-économique comparable à la France, dispose de 1400 lits. En France, avec le même ratio, cela voudrait autour de 8.000 lits équipés. Même en quadruplant ce nombre, on n’atteindrait pas 15% des besoins requis. D’autant que ces lits équipés sont probablement en partie utilisés pour d’autres pathologies.

[7] Interview CNN/Julia Chatterley, 9/3/2020

[8] https://www.businessinsider.fr/us/coronavirus-cases-soar-south-korea-efforts-turn-containment-2020-2

[9] Voir https://twitter.com/vicjkim/status/1236906184537305088 et thread (conférence de presse)

[10] Ibid

[11] https://www.latimes.com/world-nation/story/2020-03-10/germany-and-coronavirus

[12] https://www.liberation.fr/checknews/2020/03/07/covid-19-la-france-realise-t-elle-beaucoup-moins-de-tests-que-les-autres-pays_1780818

[13] https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.03.05.20031815v1

[14] https://twitter.com/V2019N/status/1235605154180653057?s=20

[15] https://www.vox.com/2020/3/2/21161067/coronavirus-covid19-china

[16] https://www.technologyreview.com/s/615329/coronavirus-south-korea-smartphone-app-quarantine/

[17] https://cdn.jamanetwork.com/ama/content_public/journal/jama/0/jvp200035supp1_prod.pdf?Expires=2147483647&Signature=bIZCLS7ZLWTJd~U~H40JgiEGdFb3ggVUJpBvJ7KdANK7HgK1zaj4uWHvqweGym1nWfO~nXt9Y5i1vX79pF7zjjqfzmJAy3udTdpVVZQe07xnQIPcBMXLwZ5XjgTO8yKFXVIpxsXhrmOu8sGSpKiEmQ86ZCKfOTar7fMAGmUCtjiYVFwf31K3REWAA-r3hZyoZpqz3QKpVgpsRpF9fV9thQCq0~yvbvRKTH4PcoB~CZgmXH7rpVb6bILXQn5zBCphf6pyLAa4zIebUEKfCdCYdSdi9LeIEUsesqsYpNWgHJcr4K1LC0hFlst0RHQz-vZ7I-OvrX~5jel6zjjtuDQzjQ__&Key-Pair-Id=APKAIE5G5CRDK6RD3PGA

[18] https://www.aljazeera.com/news/2020/03/taiwan-reins-spread-coronavirus-countries-stumble-200307034353325.html

[19] https://www.theguardian.com/world/2020/mar/06/more-scary-than-coronavirus-south-koreas-health-alerts-expose-private-lives

[20] https://www.businessinsider.fr/us/coronavirus-south-korea-photos-apps-location-outbreak-where-2020-3

[21] https://techcrunch.com/2020/02/23/china-roundup-tech-companies-coronavirus/

[22] https://boma.global/articles/scenes-beijing-ellen-cheng-discusses-life-china-after-coronavirus/

[23] https://www.shrm.org/hr-today/news/hr-news/pages/coronavirus-prompts-companies-to-telework.aspx

[24] https://www.businessinsider.com/companies-asking-employees-to-work-from-home-due-to-coronavirus-2020?IR=T#amazon-told-business-insider-that-its-restricting-travel-to-and-from-china-until-further-notice-those-who-must-travel-have-to-work-from-home-for-two-weeks-after-their-trip-3

[25] https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/10/coronavirus-l-institution-ou-l-entreprise-ne-peut-se-permettre-de-devenir-un-nouveau-foyer-de-contagion_6032495_3232.html?fbclid=IwAR1YRvw3-N9pPI-hUwAoRGqBbPV0jAeiLeZLwKr8Gn1DLmPEgp4BmMgHPrk

[26] https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/208354

[27] https://marginalrevolution.com/marginalrevolution/2020/03/what-worked-in-1918-1919.html

[28] https://academic.oup.com/cid/article/60/12/e90/2462608

[29] https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2762689?guestAccessKey=2a3c6994-9e10-4a0b-9f32-cc2fb55b61a5&utm_source=For_The_Media&utm_medium=referral&utm_campaign=ftm_links&utm_content=tfl&utm_term=030320

[30] https://cdn.jamanetwork.com/ama/content_public/journal/jama/0/jvp200035supp1_prod.pdf?Expires=2147483647&Signature=bIZCLS7ZLWTJd~U~H40JgiEGdFb3ggVUJpBvJ7KdANK7HgK1zaj4uWHvqweGym1nWfO~nXt9Y5i1vX79pF7zjjqfzmJAy3udTdpVVZQe07xnQIPcBMXLwZ5XjgTO8yKFXVIpxsXhrmOu8sGSpKiEmQ86ZCKfOTar7fMAGmUCtjiYVFwf31K3REWAA-r3hZyoZpqz3QKpVgpsRpF9fV9thQCq0~yvbvRKTH4PcoB~CZgmXH7rpVb6bILXQn5zBCphf6pyLAa4zIebUEKfCdCYdSdi9LeIEUsesqsYpNWgHJcr4K1LC0hFlst0RHQz-vZ7I-OvrX~5jel6zjjtuDQzjQ__&Key-Pair-Id=APKAIE5G5CRDK6RD3PGA

[31] https://www.lettrevigie.com/blog/2020/02/28/le-monde-face-a-la-pandemie-du-covid-19-g-p-goldstein/

[32] https://eu.usatoday.com/story/opinion/todaysdebate/2020/03/10/coronavirus-lessons-china-america-covid-19-epidemic-editorials-debates/4961671002/

[33] https://m.economictimes.com/news/politics-and-nation/niv-scientists-working-round-the-clock-to-ensure-smooth-coronavirus-testing-across-country/articleshow/74536078.cms

[34] https://twitter.com/VKJudit/status/1237448125800988675?s=19

[35] https://www.nytimes.com/reuters/2020/03/07/world/europe/07reuters-health-coronavirus-economy-policy-factbox.html

[36] https://fr.wikipedia.org/wiki/Usine_DPCA_de_Wuhan

[37] https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/02/12/coronavirus-les-touristes-chinois-manquent-a-l-appel-en-france_6029237_3234.html

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