Guerre de Sekkot (Israël – Gaza) : Synthèse stratégique n°3

Semaine marquée par une roquette tombée sur un hôpital de Gaza et la visite de J. Biden en Israël, mais aussi des conséquences qui s’étendent hors du Proche-Orient.

Opérations militaires

Il n’y a eu aucun mouvement sur le terrain alors que le weekend dernier, toutes les rédactions étaient en alerte, attendant une offensive terrestre israélienne imminente qui n’a pas eu lieu. Plusieurs raisons expliquent ce décalage : d’une part, la complexité de planification de l’opération ; d’autre part, la venue du président américain. Les Israéliens ont donc continué leurs frappes sur la bande de Gaza, principalement contre la partie nord (Gaza ville), tout en lançant des avertissements à la population pour lui dire de quitter la zone vers le sud du territoire.

Dans la nuit de mardi, une roquette tombe sur un hôpital de Gaza. Un communiqué du « ministère de la santé public de Gaza » parle aussitôt d’une frappe israélienne ayant fait au moins 200 morts (un bilan déclaré qui monte jusqu’à 1000 morts !). Les agences de presse Reuters et AFP reprennent aussitôt le communiqué, sans le remettre en doute ni expliquer que ledit ministère n’est absolument pas neutre et constitue en fait une émanation du Hamas.

La nouvelle fait la une de la presse mondiale le lendemain. Des manifestations se déclenchent aussitôt dans quasiment tous les pays arabes (Irak, Jordanie, Liban, Egypte, Maroc, Tunisie et même Algérie). Les spécialistes mettent une journée à décrypter les images de l’attaque : il ne s’agit donc pas d’un missile israélien mais d’une roquette venue de la bande de Gaza (on parle du Djihad islamique) qui n’aurait pas suivi sa trajectoire prévue et serait retombée non sur l’hôpital mais sur le parking extérieur. Le bilan serait beaucoup plus petit (quelques dizaines de victimes) ce qui est évidemment trop mais bien en dessous des bilans initialement déclarés. Cette mise au point intervient trop tard, l’émotion a gagné tous les esprits et certains médias peinent toujours à reconnaître la mise au point.

A partir de samedi 21 octobre, Israël réaugmente ses frappes et lance de nombreux prospectus expliquant que rester au nord de la bande de Gaza peut être assimilé à une « complicité du Hamas » : l’argument, destiné à prévenir les accusations d’atteinte du droit humanitaire, peine évidemment à convaincre.

Dans le sud, la situation humanitaire est très dégradée, le territoire étant bouclé et les coupures d’eau et d’électricité fréquentes. Un premier convoi de 20 camions avec eau, nourriture et médicaments passe finalement dans le weekend, sachant qu’il en faudrait une centaine par jour pour suppléer aux besoins. Deux otages américaines sont libérées.

Quelques affrontements ont eu lieu avec le Hezbollah, le long de la frontière avec le Liban. On a observé des échauffourées en Cisjordanie, entre Israéliens et Palestiniens, mais aussi des manifestations contre Mahmoud Abas. Enfin, certains colons israéliens profitent de la situation pour saisir des parcelles convoitées.

Analyse militaire

La semaine supplémentaire a été mise à profit par les Israéliens pour peaufiner leur plan d’intervention qui fait face à de redoutables défis. Le premier est militaire : Il faut discriminer une population civile et des combattants qui se cachent en son sein (vieille thématique du poisson dans l’eau) ; agir dans un milieu urbain très dense et très peuplé, avec des conditions qui n’ont rien à voir avec celles des siècles passés (immeubles plus haut, construits en béton avec armature métallique, fondations sur plusieurs étages de sous-sols), le tout avec des aménagements militaires nombreux (caches de sniper, pièges, tunnels) ; enfin combattre des combattants du Hamas, qui connaissent le terrain et ont accumulé les pièges.

Deuxième défi : les otages. Ils sont évidemment disséminés et certains risquent d’être des victimes collatérales des combats. UN des objectifs annexes de l’opération, outre « éradiquer le Hamas » (on se demande quel critère de succès peut être défini sur le terrain) consiste également à « libérer les otages ».

Troisième défi : la pression médiatique. Tout comme l’affaire de l’hôpital, le Hamas mettra en scène la moindre bavure quitte à forcer le trait ou même inventer des événements. Or, que ce soit dans le monde arabe, dans le reste du monde et même en Occident, la réputation d’Israël n’est pas des meilleures. L’armée israélienne doit agir en justifiant au maximum la légalité de son action au regard du droit des conflits armés (DCA) et du droit international humanitaire (DIH).

Pour autant, plus le temps passe et moins une intervention paraîtra légitime aux yeux du monde, plus elle apparaîtra comme une vengeance. Certes, l’opinion publique israélienne la demande instamment et personne n’imagine le gouvernement israélien y renoncer. Il reste que la question de la légitimité se pose déjà et laisse peu de temps à Tsahal pour lancer son opération. Aussi est-il plausible qu’elle débute cette semaine.

Analyse géopolitique

La venue de Joe Biden a été le grand événement de la semaine. Le président américain a pris un risque politique évident mais assumé. En venant mercredi, il retardait l’intervention militaire israélienne et espérait réduire son ampleur. La roquette tombée sur l’hôpital a dérangé ce plan. Ainsi, les leaders arabes (Abou Abas, le roi de Jordanie, l’Egyptien Sissi) ont annulé la rencontre qu’ils devaient avoir avec lui. Alors que la visite était destinée à montrer l’équilibre de la position américaine, celle-ci n’a pu s’exprimer qu’en Israël, suggérant une partialité. On rappellera la défiance très profonde de J. Biden envers Netanyahou, défiance qui ne s’est pas améliorée avec la guerre de Sekkot.

Le Hamas a quant a lui mené une très efficace propagande. L’attaque informationnelle de mardi, à la suite de l’affaire de l’hôpital, a été particulièrement réussie de ce point de vue. La rue arabe est en ébullition et cela dépasse désormais la cause palestinienne. Il y a une sorte de fierté qui s’exprime en même temps que du ressentiment. Certains analystes y voient une secousse similaire à celle des révoltes arabes de 2012. Les pouvoirs en place sont très prudents et préfèrent accompagner ces mouvements d’humeur plutôt que les contrer. Or, une grande part de ces manifestations est animée par des islamistes, à la différence de 2012.

Mais la crise proche-orientale entraîne aussi des conséquences ailleurs : assassinat le 13 octobre d’un enseignant de français à Arras (Dominique Bernard), assassinat le 16 octobre de deux Suédois à Bruxelles, projet d’attentat en France déjoué le 20 octobre.

Par ailleurs, en libérant deux otages américaines, le Hamas joue assez finement. Il entretient bien sûr l’espoir que la libération est possible (il y aurait finalement 201 otages en ses mains) mais surtout, lance deux messages : « les otages peuvent être libérés », sous entendant qu’il y a une alternative à la vive force pour les récupérer ; et surtout, le Hamas est « ouvert à la négociation », ce qui contrevient à l’impossibilité de négociation qu’entraîne théoriquement son statut d’organisation terroriste. Autrement dit, même s’il va y avoir une intervention terrestre, celle-ci prendra fin à un moment et il faudra négocier.

Ainsi comprend-on que la diplomatie s’active. Un sommet s’est tenu au Caire (sans les deux parties au conflit) et s’il n’a pas eu de résultat officiel, il permet des discussions de couloir et surtout d’affirmer que la diplomatie pourrait reprendre ses droits (même s’il a fallu près d’une semaine pour laisser entrer un convoi minimal d’aide humanitaire dans Gaza).

Les pays du Golfe restent très discrets. L’Iran quant à lui fait des déclarations véhémentes mais se garde de lancer des initiatives armées sur le terrain. La Chine et la Russie (qui se sont rencontrés à Pékin à l’occasion du sommet sur les routes de la soie) restent en arrière, appellent à la désescalade et observent la situation. La plus grande partie du reste du monde demeure silencieuse, mais reste prête à critiquer le double-standard occidental. C’est à cause de ce reproche du double standard que la plupart des Occidentaux s’efforcent de retenir la colère d’Israël et de trouver une solution à la crise, tout en soutenant l’aspect humanitaire, objectivement du côté des Palestiniens. Mais seulement 20 camions sont entrés au bout de dix jours, nombre notoirement insuffisant. Il en faudra plus pour convaincre.

OK

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3 thoughts on “Guerre de Sekkot (Israël – Gaza) : Synthèse stratégique n°3

  1. On doit et on peut s’interroger sur les effets réels des bombardements israéliens, qui semblent concerner tous les immeubles identifiés comme abritant des infrastructures liées au Hamas ou à ses militants.
    On ne sait pas (il semble que non ) si le protocole « des 5 minutes » (appel téléphonique adressé avant l’attaque) permet aux habitants civils d’évacuer avant la destruction.
    On ne connait pas (à part quelques annonces de la mort de quelques responsables haut placés du Hamas) les effets exacts des bombardements.
    On ne sait pas non plus quel est l’efficacité de ces bombardements (quelques vidéos semblent le montrer) sur l’infrastructure des tunnels construits « sous » l’agglomération.

    Bref, l’information manque, à part les considérations morales ou faussement prévisionnistes…

  2. A décharge des agences de presse, qui ont annoncé le bombardement de l’hôpital de Gaza, ces dernières ont repris le tweet d’un « communicant » du gouvernement israélien qui, immédiatement, avait indiqué que Tsahal aurait frappé des installations du Hamas situées dans un hôpital de Gaza… Tweet envoyé dans l’urgence et sans l’aval du Premier ministre ni même de l’état-major des armées israéliens…

  3. « à la décharge » ? Totalement dégénérée et incompétente la chose qu’on appelle « journalisme » n’illustre que son inutilité et sa nocivité dans la reprise sans recul de tous les déchets qu’elle ramasse et relance sans même les regarder. Si on interdisait la profession, personne n’y trouverait à redire, ni à s’en offusquer: elle ne sert à rien. La preuve.

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