Bilan hebdomadaire n° 76 du 15 octobre 2023 (guerre d’Ukraine)

La guerre de Sekkot en Palestine a orienté l’attention mondiale vers le Proche-Orient. La Russie en profite pour relancer une action à l’est, avec pour l’instant peu de progrès.

Source : Poulet volant

Déroulé des opérations

La stabilisation avait gagné le flanc sud où ne se déroulaient que des combats de positions, sans modification notable de la ligne.

Au nord, sur le secteur entre Svatove et Koupiansk, la poussée russe se poursuit avec une légère avancée à Makivka.

Le secteur de Bakhmout reste inchangé.

C’est aux environs de Donetsk que les choses ont le plus bougé : pas forcément sur le terrain mais au moins au niveau des intentions. Ainsi, les Russes ont cherché à fermer le chaudron d’Avdivka avec notamment une poussée au nord du secteur, vers Krasnohorivka. Les gains ont été très limités et les Ukrainiens, malgré la surprise initiale, ont tenu la ligne.

Une autre poussée s’est déroulée au sud, entre Optyne et Vodiane (et latéralement contre Pervomaiske) avec peu de résultats, si ce n’est la conquête d’une position des fortifications au sud d’Avdivka, à hauteur de Yasinuvata : cela paraît anecdotique mais la position est enterrée depuis 2014.

Analyse militaire

La reprise d’une offensive russe peut surprendre, alors que tout le monde, moi le premier, s’attendait à une stabilisation des opérations pendant la rapoutitsa. Il semble surtout que la montée en puissance avait été observée et que les Ukrainiens n’auraient pas dû être surpris. Mais nous disions il y a quinze jours que l’an dernier, les Russes avaient pris leur mouvement avant en décembre, à rebours des données classiques des conflits.

Quels sont donc leurs objectifs ?

Classiquement, attirer les réserves ukrainiennes dans d’autres secteurs du front de façon à soulager ceux qui sont occupés (flanc sud voire Bakhmout) : il semble que cet objectif ait été atteint. Ensuite, tirer profit d’un certain renforcement du dispositif : il se murmure que les Wagner ont été recyclés dans une nouvelle SMP (société militaire privée) du nom de Radut, dûment contrôlée par le ministère de la défense, et qu’elle ait été injectée dans l’action vers Avdivka. De même, on murmure l’arrivée des premiers conteneurs d’obus nord-coréens (Escortert parle de 600.000 obus, soit deux mois de consommation, ici). Evidemment, il y a une saisie d’opportunité : l’attention internationale étant tournée vers la guerre de Sekkot en Palestine, la Russie peut prendre des initiatives qui auraient autrement suscité une réprobation générale. Mais il semble surtout que les Russes aient eu un objectif politique. Après avoir réussi à bloquer la contre-offensive ukrainienne, réussir à reprendre l’initiative avant l’hiver serait un moyen de démontrer à sa population intérieure que la guerre est bien conduite.

On notera cependant, au bout de dix jours d’offensive, que les gains sont très limités et que les pertes sont hautes : les décomptes évoquent jusqu’à 45 véhicules de combat détruits. Les Russes auraient engagé le volume d’au moins deux bataillons ce qui serait leur plus gros engagement depuis longtemps. Il faut donc voir s’ils vont persister ou si ce n’est qu’un coup d’éclat sans conséquences. Mais cela fait penser au 4 juin et aux premiers mouvements de la contre-offensive ukrainienne, qui a eu les résultats qu’on sait.

Un dernier objectif pourrait être distinct : empêcher les Ukrainiens de profiter d’une pause automnale pour se reconstituer, Moscou prenant avantage d’une supposée meilleure profondeur logistique russe.

On notera avec charité que certains observateurs qui disaient qu’il fallait attendre fin octobre pour juger de la contre-offensive ukrainienne, admettent désormais son échec.

Analyse politique

La quinzaine a donc accumulé des mauvaises nouvelles pour V. Zelensky. Si le front tient, l’automne et l’hiver s’annoncent déjà difficiles. Mais c’est surtout à l’étranger que les déceptions surviennent.

La guerre du Sekkot a monopolisé l’attention internationale, les médias occidentaux fonctionnant à l’émotion. Le massacre de civils israéliens par le Hamas, la riposte en cours d’Israël avec son lot de victimes civiles, les débordements à craindre soit dans la région (Cisjordanie, Hezbollah) soit ailleurs (attentat d’Arras en France) constituent autant de facteurs qui relativisent le discours ukrainien. La réaction de V. Zelensky a été impeccable, se rangeant immédiatement aux côtés d’Israël tout en appelant à ne pas oublier l’Ukraine.

Lors d’un point de presse le 11 octobre, le porte-parole du Conseil Américain de Sécurité nationale a déclaré que « il ne faut pas essayer d’intégrer un soutien à long terme lorsque l’on est au bout du rouleau. Et en Ukraine – en ce qui concerne le financement de l’Ukraine, nous sommes – nous approchons du bout du rouleau. Aujourd’hui, nous avons annoncé 200 millions de dollars, et nous maintiendrons cette aide aussi longtemps que nous le pourrons, mais ce n’est pas indéfini » (lien). Lors de sa visite au siège de l’Otan, V. Zelensky a précisé : « J’ai parlé à nos partenaires et ils m’ont dit que le soutien serait maintenu, mais personne ne peut dire si le soutien sera maintenu, personne ne le sait ».

Le problème dépasse d’ailleurs le Proche-Orient. Le président républicain du Congrès américain a été démis de ses fonctions à la suite d’un vote de défiance. Par ailleurs, les délégués républicains à la commission des affaires étrangères du Sénat ont écrit une lettre à J. Biden notant que « une promesse de soutenir l’Ukraine « aussi longtemps qu’il le faudra » n’est pas une stratégie ». Toute l’aide financière américaine à l’Ukraine est menacée.

Déjà, les Américains ont envoyé en Israël un certain nombre de missiles sol-air, pour aider l’Etat hébreu à contrer les roquettes tirées par le Hamas : autant de munitions qui n’iront pas en Ukraine, déjà déficitaire dans ce domaine. Or, lors de sa venue à l’Otan, le président ukrainien demandait notamment des systèmes de défense sol-air, mais il s’est heurté à un certain scepticisme de la part des alliés qui constatent que les stocks sont désormais presque vides, y compris chez les Européens.

Les semaines à venir vont être compliquées pour Kiev.

OK

4 thoughts on “Bilan hebdomadaire n° 76 du 15 octobre 2023 (guerre d’Ukraine)

  1. Bonsoir Monsieur Kempf. Merci pour votre analyse toujours bien faite. Justement si les ukrainiens pourront pas faire grand chose durant la saison automne hiver, ils peuvent frapper encore en mer noire. Ils testent des armes expérimentales apparement….

  2. Au sujet de l’offensive « puissante » russe qui fut repoussée avec une grande efficacité par les Ukrainiens cette semaine. Cet échec (assez grave) illustre deux choses, d’abord qu’il y a toujours des militaires adeptes de l’offensive décisive (il s’agissait là de fermer tout de suite le chaudron d’Avdeevka presque établi par les efforts du mois précédent) et aussi que l’efficacité des drones de surveillance et de détection d’objectifs pour des tirs de précision reste absolue dans cette guerre qui est, malgré les affirmations de Michel Goya (il nia récemment, comme « appréciation fausse », le rôle des drones) d’un genre absolument nouveau. Et Il y a aussi, comme dans le sud, les mines…
    Maintenant, les réserves humaines et matérielles de l’Ukraine s’amenuisent, comme indiqué. À un certain moment, les Russes chercheront (ils le cherchent déjà, sans doute) l’effondrement complet du front et donc le gain complet du match. Maintenant, cela n’est pas obligé de se produire tout de suite…

  3. Au sujet de l’offensive « puissante » russe qui fut repoussée avec une grande efficacité par les Ukrainiens cette semaine. Cet échec (assez grave) illustre deux choses, d’abord qu’il y a toujours des militaires adeptes de l’offensive décisive (il s’agissait là de fermer tout de suite le chaudron d’Avdeevka presque établi par les efforts du mois précédent) et aussi que l’efficacité des drones de surveillance et de détection d’objectifs pour des tirs de précision reste absolue dans cette guerre qui est, malgré les affirmations de Michel Goya (il nia récemment, comme « appréciation fausse », le rôle des drones) d’un genre absolument nouveau. Et Il y a aussi, comme dans le sud, les mines…
    Maintenant, les réserves humaines et matérielles de l’Ukraine s’amenuisent, comme indiqué. À un certain moment, les Russes chercheront (ils le cherchent déjà, sans doute) l’effondrement complet du front et donc le gain complet du match. Maintenant, cela n’est pas obligé de se produire tout de suite.

  4. La guerre en Ukraine dure depuis longtemps pour les Ukrainiens, pour les Russes mais également pour les Occidentaux. Ces derniers soutiennent l’Ukraine en lui fournissant armes et munitions mais le poids économique de ce soutien devient de plus en plus lourd et la question va se poser de savoir si l’Occident va continuer son soutien devant le peu de résultats de l’armée ukrainienne sur le terrain.
    Il faut se souvenir, qu’au début de la guerre, en février 2022, le soutien se résumait à la fourniture de Javelins et de Stingers sortis des stocks des armées occidentales. Les véhicules blindés, la défense antiaérienne, les obus et autres munitions, nécessaires à l’armée ukrainienne, provenaient des stocks laissés par l’armée soviétique à la chute du Mur. Toutefois, ces missiles ont largement contribué à l’échec de l’offensive russe qui n’a pas put être exploitée, par l’armée ukrainienne, faute de moyens humains et matériels adéquats…
    La 2e phase du soutien occidental, débuta après l’échec de la conférence d’Istambul en mars 2022. L’OTAN envoya du matériel et des munitions provenant des pays, anciens membres du Pacte de Varsovie. Cet apport non seulement ne coûtait quasiment rien mais, en plus, était entièrement compatible avec le matériel ukrainien puisque provenant d’Union soviétique. De plus, ces matériels et munitions ne manquaient pas aux armées polonaises, roumaine et slovaques car ces dernières avaient été rééquipées avec du matériel occidental, principalement américain. Néanmoins, les effectifs de l’armée ukrainienne ayant été porté à plus d’un million de soldats, il a fallut fournir armes individuelles et uniformes ce qui a pu être fait grâce à une aide financière de plus en plus conséquente.
    La 3e phase débuta en même temps que les préparatifs de la contre-offensive. Préparatifs doublés de la nécessité de protéger les villes, qui étaient devenues les cibles des attaques russes, par une défense antiaérienne digne de ce nom. D’autre part les stocks de munitions et de missiles de tous type avaient atteint un seuil critique, ces mêmes stocks ne pouvant pas être recomplétés par les Occidentaux qui ne disposent pas des mêmes calibres et/ou des mêmes technologies.
    Pour palier à ces difficultés, les Occidentaux commencèrent à livrer des chars, des transports de troupe, des canons automoteurs, des lanceurs de missiles, des systèmes de défense antiaérienne au standard de l’OTAN. Le montant de cette aide était relativement modeste puisque provenant des entrepôts des pays membres. Le coût de remplacement sera lui beaucoup plus élevé…
    Bien sûr, il faut, également, compté le coût de la formation des unités ukrainiennes à l’emploi de ces nouveaux matériels. Formation rendue compliquée par la langue, la différence de culture militaire et la technologie beaucoup plus avancée des matériels occidentaux pourtant conçu dans les années 1980 voire 1970…
    La 4e phase a débuté début 2023 quand les fournitures occidentales ne vinrent plus des dépôts des armées de l’OTAN mais directement des usines !
    Ainsi, par exemple, les HIMARS qui sont tirés sur les positions russes ont été fabriqués en 2023. De même que les obus de 155 mm et autres munitions de calibre inférieur. L’Union européenne est même incapable de tenir sa promesse de fournir 1 million d’obus de 155 pour deux raisons. La première est l’incapacité des usines à produire ces obus à cadence élevée (ce sont les « dividendes de la paix » qui ont fait que beaucoup d’usines se sont reconverties ou ont fermé). La deuxième raison est que ça coûte cher ! Le prix des obus a été multiplié par 1,5, hors inflation…
    Compte tenu des déficits budgétaires des pays occidentaux, il est probable que l’aide militaire diminuera en volume mais pas en valeur. Les beaux graphiques, que les experts produisent, montreront toujours que le soutien, en valeurs, à l’Ukraine ne faiblit pas mais le soldat ukrainien se sentira un peu plus démunis chaque jour de guerre qui s’écoulera malgré les efforts du président Zelensky pour exiger que l’Occident fasse plus d’efforts pour soutenir la cause de son pays.
    L’Occident pourrait continuer et même augmenter son appui mais voilà, le Hamas est passé par là et les Chinois s’agitent en Mer de Chine… Et les opinions publiques européennes pourraient demander plus de beurre pour elles et moins de canons pour les autres…
    Les premiers signes de cette prise de conscience nous a été rapportés par Bloomberg qui nous apprend que « Lors d’une réunion à huis clos, le chancelier allemand Olaf Scholz a mis en garde ses homologues sur la nécessité urgente d’adopter une approche sérieuse pour limiter les dépenses financières alors que de nombreux pays continuent de plaider en faveur d’une aide financière accrue à l’Ukraine. Scholz s’est plaint que ses homologues parlent d’allouer des fonds, mais personne n’est prêt à discuter de leur provenance. Viktor Orban et le nouveau leader slovaque Robert Fico ont jeté de l’huile sur le feu en refusant catégoriquement d’envoyer l’argent de leurs concitoyens en Ukraine. En outre, l’année prochaine, l’UE sera confrontée à la réintroduction de règles budgétaires, ce qui impliquera un contrôle plus strict des dépenses… »
    Pour beaucoup d’Européens, il faut augmenter l’aide à l’Ukraine mais avec l’argent de l’Allemagne et apparemment elle n’y tient pas tant que ça…/

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