Guerre de Sekkot (Israël – Gaza) : Synthèse stratégique n°2

L’armée israélienne a repris le contrôle des abords de la bande de Gaza et a commencé des opérations de bombardements. Pour l’instant, l’offensive terrestre n’a pas débuté. Etats-Unis et d’autres puissances tentent de limiter l’extension du conflit.

NB : Je parlerai désormais de « guerre de Sekkot » pour désigner ce conflit issu de l’agression du Hamas le jour de la fête de Sekkot mais aussi ses suites.

Opérations militaires

Depuis la semaine dernière, Tsahal a d’abord nettoyé les derniers points de résistance du Hamas au sein du territoire israélien. Puis elle a mobilisé des troupes, déployées tout autour de la bande de Gaza : on évoque 300.000 soldats. Les chars et les pièces d’artillerie sont visibles.

A partir du milieu de la semaine, un siège a été organisé avec coupure des approvisionnements en eau, en électricité et en carburant. Simultanément, les bombardements ont débuté, soit par air, soir sol-sol, avec notamment des obus de 155 mm. Quels que soient les progrès de l’artillerie moderne, il va de soi que tirer sur une zone densément habitée avec du 155 suscite des dégâts collatéraux. Certaines sources mentionnent enfin des incursions de commandos israéliens au sein du territoire.

Les Israéliens ont lancé un ultimatum pour forcer tous les habitants du tiers nord de la bande de Gaza de fuir vers le sud. Si des milliers de personnes ont fui, il s’agit quand même de déplacer plusieurs centaines de milliers de personnes ce qui constitue, aux yeux de l’ONU, un désastre humanitaire. Les rumeurs ont bruissé tout le weekend du déclenchement d’une offensive terrestre. Celle-ci n’a pas eu lieu et dimanche, les Israéliens ont annoncé qu’ils ne la lanceraient pas tout de suite, officiellement pour des raisons météo. Les alentours immédiats de la bande sont vidés de leurs habitants, notamment la localité de Sderot, pour éviter les bombardements de roquettes que le Hamas continue de lancer sur Israël. De même, les localités proches de la frontière avec le Liban sont évacuées, à la suite d’échanges de tirs avec le Hezbollah.

Le bilan humain se précise : il y aurait ainsi 1300 morts israéliens à la suite des raids du Hamas. Tel Aviv évoque ce lundi matin 199 otages. 2750 personnes auraient été tuées à Gaza à la suite des bombardements et près de 9700 blessés. Les Israéliens affirment avoir tué Ali Qadi, le chef des commandos qui avaient mené l’attaque contre Israël.

Analyse militaire

La machine de guerre israélienne est lancée mais elle fait face à un terrible défi qui est d’abord militaire (nous verrons plus loin le défi politique) : comment « détruire le Hamas » ou même ses « infrastructures » dans un territoire extrêmement peuplé, très urbanisé, avec de plus des réseaux souterrains multiples et en prenant en compte la survie des otages détenus par l’adversaire ? Simultanément, comment montrer sa force pour rétablir une dissuasion conventionnelle qui a été sévèrement entachée à la suite du raid du Hamas du 7 octobre ? Le tout avec une contrainte politique forte et un théâtre médiatique plus que jamais central ?

Les premières réactions ont été les plus faciles : rependre le contrôle des abords de Gaza, établir une zone démilitarisée, cloisonner officiellement le secteur ennemi en décidant de se concentrer sur le tiers nord de la bande et en demandant à tous ses habitants de fuir, lancer les premières frappes et raids commando. Mais tout ceci a pour objectif, officiellement, de préparer une offensive terrestre qui investirait la zone nord de la bande (un tiers du territoire quand même). Le combat urbain change de nature ; on parle d’une zone où vivent (vivaient ?) près d’un million d’habitants (la moitié de la population de l’enclave). Pour mémoire, lors de la bataille de Falloujah en 2004, près de 230.000 habitants (sur 280.000) quittèrent la ville. Les opérations aériennes durent trois mois et demi à l’été 2004. Le 15 octobre la ville est bouclée et l’offensive dure une semaine en novembre. Grozny a été copieusement détruite fin 1999 lors de la prise de la ville par les Russes. Plus récemment, les batailles de Marioupol (350.000 h avant le conflit) et de Bakhmout (70.000 h avant le conflit) montrent à quel point les combats urbains contemporains sont dévastateurs.

Déjà, le Hamas annonce qu’une vingtaine d’otages sont décédés des suites des bombardement israéliens. Quant au bilan des victimes civiles, il atteint déjà des sommets. Autant de facteurs qui freineront l’action israélienne. Pour autant, celle-ci est probable : non seulement par représailles mais aussi pour rétablir une crédibilité entamée. C’est d’ailleurs le deuxième piège du Hamas : celui d’attirer Tsahal dans un combat urbain sanglant et tenter de montrer que la position de Gaza est inexpugnable. L’armée israélienne devrait donc prendre son temps pour préparer l’opération tout en continuant sa pression actuelle, à coups de bombardements et de raids commandos. Mais plus le temps va passer, plus le ratio entre légitimité de l’action et dommages collatéraux (civils palestiniens, otages israéliens) va se faire sentir.

Analyse politique

Un gouvernement d’union nationale a été difficilement mis en place. B. Netanyahou suscite beaucoup de défiance. Le fait que les services égyptiens aient alerté avant l’événement d’une action à venir, information qui n’aurait pas été prise en compte par le gouvernement, suscite évidemment beaucoup d’interrogations. Le cabinet de guerre ne durera que la durée du conflit tandis que le projet de réforme de la justice, qui divisait le pays depuis de longs mois, est suspendu.

Du côté palestinien, l’Autorité palestinienne a appelé à ce qu’Israël cesse l’agression contre Gaza. Le Hamas reste en place à Gaza. Des échauffourées ont eu lieu en Cisjordanie sans pour autant que cela ne dégénère en affrontements armés.

Un débat a eu lieu pour savoir si le Hamas était une organisation terroriste. Le raid du 7 octobre a évidemment utilisé un mode d’action terroriste de grande ampleur. Par ailleurs, le Hamas est inscrit sur la liste des organisations terroristes. Le fait qu’il ait gagné les élections dans la bande de Gaza en 2007 ne doit pas faire oublier qu’il s’est depuis comporté d’une façon non démocratique, installant un régime autoritaire et corrompu dans le territoire (et les victimes gazaouies sont aussi victimes du Hamas). Donc oui, le Hamas est une organisation terroriste. Comme toute organisation terroriste, il porte aussi un projet politique qu’il faut savoir identifier pour y répondre. Dans le cas présent, il s’agit de la question palestinienne qui reste terriblement aigue. On ne peut évacuer celle-ci. « Si cette violence barbare est sans excuse, elle n’est pas sans cause », rappelle à juste titre Mgr Vesco, archevêque d’Oran, dans La Croix aujourd’hui (ici).

Analyse géopolitique

Je disais la semaine dernière qu’il n’y aurait pas d’extension internationale du conflit. Le risque demeure évidemment mais pour l’instant, le Hezbollah s’est contenté de tirer quelques roquettes sur la zone controversée des fermes de Sheba. Israël a frappé les aéroports de Damas et d’Alep pour les mettre hors service et empêcher les transferts iraniens d’armes et de combattants. Il semble que les Iraniens utilisent désormais la piste de Tartous, tenue par les Russes. Il y aura ainsi une menace de groupes combattants au nord du Golan mais ceux-ci ne sont pas entrés en action. La situation reste donc tendue mais encore contrôlée.

Du côté occidental, Joe Biden a eu une réaction impeccable, se plaçant immédiatement aux côtés de Tel Aviv, déployant un groupe aéronaval à proximité de la zone mais appelant tout de suite au respect du droit international tout en avertissant l’Iran de ne pas profiter de la crise, rappelant ce matin que l’occupation de Gaza « serait une grave erreur ». Tous les dirigeants occidentaux ont eu ce type de message, condamnant fermement le Hamas, soutenant Israël et ajoutant très vite leur attention aux vies palestiniennes. Seule madame von Der Leyen, une fois encore sortant de son rôle, a cru bon d’oublier ce dernier point, démontrant son manque de jugement.

En effet, les Européens et les Américains ont très vite décelé l’autre piège du Hamas, celui du double standard. Car à l’émotion suscitée par l’agression du Hamas succède très vite l’émotion suscitée par les victimes gazaouies. Déjà, les premières interrogations sur la légalité du siège et des coupures d’eau se posent, sans même parler de déclarations israéliennes qui parlent « d’animaux humains ». Le traumatisme subi par Israël fait place à une immense colère, qui peut mener à faire nombre de bêtises, à l’instar des Américains à la suite des attentats du 11 septembre. Surtout, il ne faut pas laisser s’installer l’idée d’un « deux poids, deux mesures », critique souvent adressée à l’Occident. Dans la région, Israël est très souvent présenté comme l’avant-garde de cet « Occident au double standard ».

C’est pourquoi la diplomatie américaine s’active en coulisse, A. Blinken multipliant les voyages dans la région tout comme les diplomaties européennes, Mme Colonna déjà sur place, O. Scholtz réfléchissant à sa venue, Joe Biden laissant lui aussi entendre qu’il pourrait venir dans la région. A chaque fois (nonobstant la gaffe de Mme von der Leyen, déjà mentionnée), il s’agit de dire aux Israéliens de ne pas aller trop loin, en prenant appui sur le cabinet de guerre qui inclut des membres de l’opposition. Une partie délicate se joue où il faut simultanément rassurer l’opinion publique internationale tout en manifestant une empathie profonde pour le peuple israélien.

De petits signes apparaissent : rétablissement de l’eau dans le sud de la bande, réouverture annoncée du poste de passage de Raffah, évocation de couloirs humanitaires, etc. L’idée israélienne d’un transfert de toute la population gazaouie en Egypte, par exemple dans le Sinaï, est refusée par tout le monde. La diplomatie égyptienne évoque l’idée d’un cessez-le-feu, aussitôt démenti par Tel Aviv, mis l’idée est dans l’air. Tous au fond cherchent la désescalade, qui est aujourd’hui dans les mains israéliennes.

Pendant ce temps, l’Arabie Séoudite a suspendu sine die les discussions avec Israël : c’était le principal objectif des Iraniens qui ont obtenu ce qu’ils voulaient. Désormais, l’Arabie ne pourra plus normaliser ses relations sans le préalable d’un Etat palestinien. Ainsi, tous ceux qui présentent le Hamas comme une marionnette iranienne vont-ils trop loin, même si Téhéran se réjouit évidemment d’être à la pointe du « front du refus », dépassant le vieux clivage Chite-Sunnite. Mais les Iraniens sont prudents et n’ont aucun intérêt immédiat, me semble-t-il, à l’extension du conflit.

Quant aux Russes, ils tirent profit d’une attention internationale occupée ailleurs pour reprendre l’initiative en Ukraine (voir billet n° 76). Dans le même temps, la Russie discute avec les puissances régionales et appelle à un cessez-le-feu et des pourparlers. Moscou est une des seules puissances à pouvoir parler aussi bien aux Palestiniens, Israéliens, Iraniens et Egyptiens….

Un point reste à l’arrière-plan des préoccupations américaines et européennes : éviter qu’un front alter-occidental se forme sur la question proche-orientale comme il s’est formé sur la question ukrainienne.

Il faut donc au plus vite calmer la situation sur le terrain pour ensuite rouvrir un chemin de négociation. La proposition à deux Etats qui semblait morte pourrait-elle renaître ? Sous quelles voies ? Et avec qui négocier côté palestinien ? Autant de questions aujourd’hui sans réponse mais qui restent actuelles.

OK

Source photo l

One thought on “Guerre de Sekkot (Israël – Gaza) : Synthèse stratégique n°2

  1. Il est clair que l’interruption des négociations entre Israël et Arabie Saoudite, fut le « but de guerre » numéro un du camp Iranien atteint immédiatement.

    Ceci constitue un deuxième camouflet extrêmement sévère pour les USA, après la prise d’indépendance saoudienne (accords avec l’Iran, refus de coopération sur le pétrole) liée à la guerre en Ukraine.
    Plus que jamais, la stratégie anti russe occidentale avec la conduite absurde de la guerre en Ukraine se révèle un facteur de division dangereuse du monde et surtout d’affaiblissement mortifère du camp occidental.

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