Face au virus : premières leçons d’Asie (LV 139)

Deux semaines après le confinement de l’ensemble de la population française, beaucoup de choses ont été dites sur les dispositions adoptées dans certains pays d’Asie pour endiguer l’épidémie due au Covid-19. Si les succès rencontrés par Singapour, Hong Kong, Taïwan, la Corée du Sud ou encore le Japon pour faire face à la première vague de l’épidémie sont indéniables, ils relèvent d’un état de préparation élevé des administrations, des forces de réaction et des populations à la gestion d’une crise probable aux conséquences potentiellement sévères. La vitesse fulgurante à laquelle s’est diffusée cette pandémie, des informations lacunaires en provenance de Chine ainsi qu’une coopération internationale entravée n’ont pas laissé d’autre choix à la plupart des pays européens que le confinement. Ces premières leçons d’Asie devront être rapidement apprises par tous, individuellement et collectivement, pour éviter qu’une telle surprise stratégique ne se reproduise dans le monde nouveau à construire dès le jour d’après.

Deux semaines après le confinement de l’ensemble de la population en France et au lendemain de la prolongation de cette mesure jusqu’au 15 avril, La Vigie s’est intéressée à la lutte des voisins de la Chine pour endiguer le risque d’épidémie dû au coronavirus. Beaucoup de choses ont été écrites depuis le 17 mars, sur les dispositions adoptées en Asie visant à porter tantôt un regard objectif ou bien très critique sur les dispositions prises dans notre pays et en Europe. Au préalable et sans prétendre à l’exhaustivité, il est utile de réunir quelques données afin d’éclairer le jugement. Quand le virus sera vaincu, il conviendra de reprendre les analyses faites à chaud afin d’en mesurer la pertinence, d’en tirer les enseignements nécessaires et de modifier ce qui devra l’être des gouvernances, nationale et continentale, ou encore de l’organisation administrative et du fonctionnement socio-politique de notre pays. Après une brève chronologie des faits rapportés au moment où nous publions, nous examinerons les dispositions initiales prises par la Chine, les Tigres d’Asie et le Japon dont les économies, les flux commerciaux et humains sont étroitement imbriqués. Nous tenterons d’en dégager une appréciation collective avant d’envisager de premières recommandations.

Chronologie des principaux événements

Une chronologie encore incomplète permet néanmoins de situer les événements survenus dans le monde, depuis le début de l’année, placés dans une même perspective.

8 déc.19 : La Chine déclare un cas suspect (le premier patient pourrait remonter au 17 nov.). – 31 déc.19 : OMS informée d’une pneumonie atypique à Wuhan. – 7 jan.20 : La Chine annonce que la pneumonie est causée par un coronavirus inconnu. – 11 jan.20 : l’équipe du Pr Zang Yongzhen, Shangai Public Health Clinical Centre, diffuse le séquençage du génome du virus sur des plateforme d’accès libre. Le centre est fermé par les autorités chinoises le 12 janvier (jusqu’au 24 janvier ?). – 14 jan.20 : approbation par l’OMS de l’enquête préliminaire chinoise indiquant qu’il n’y a pas de preuve évidente de la transmission interhumaine du Covid-19. – 20-23 jan.20 : transmission interhumaine du virus reconnue en Chine. Début du confinement à Wuhan et en province de Hubei -23 jan.20 : reconnaissance par l’OMS de la transmission interhumaine du virus. Recommandation des dépistages dans les aéroports. – 24 jan.-8 fév.20 : festivités du nouvel an chinois. – 24 jan.20 : trois Chinois de Wuhan sont testés positifs en France dont un décède le 15 fév. – 31 jan.20 : l’OMS déclare une urgence sanitaire mondiale. – 1er fév.20 : rapatriement et quarantaine des Français en difficulté en Chine. – 7 fév.20 : décès à Wuhan du Dr Li Wenliang ayant alerté sur le coronavirus, fin décembre. Pénurie mondiale d’équipements individuels de protection. – 9 mar.20 : Italie confinée intégralement. – 11 mar.20 : l’OMS déclare une pandémie. – 12 mar.20 : intervention TV du PR – 17 mar.20 : France confinée intégralement. – 22 mar.20 : adoption de l’état d’urgence sanitaire. – 25 mar.20 : fin confinement province Hubei. – 8 avr.20 : fin estimée confinement à Wuhan.

Chine 1,4 Gh (Hubei 59 Mh- Wuhan 11 Mh)

Si la cause réelle de la transmission d’un virus animal à l’homme (zoonose) ne fait encore l’objet d’aucune certitude, son origine est attribuée à un marché de Wuhan. Le commerce des animaux sauvages, pour l’alimentation et la pratique de la médecine traditionnelle chinoise, est incriminé. De cette succession rapide d’événements sur lesquels il reste à faire la lumière, on retiendra la volonté de transparence du centre de santé publique de Shangaï qui a permis la diffusion, bien que non-officielle, des informations sur le virus permettant la fabrication des premiers kits de dépistage. Les pressions exercées par Pékin sur l’OMS devront être analysées alors que les doutes précoces des responsables sanitaires taïwanais exposés au virus, sur les déclarations initiales concernant la trans-mission interhumaine du virus, n’auront pas été entendus sans doute pour des raisons politiques : Taïwan n’étant pas membre de l’ONU et donc de l’OMS. Le revirement des autorités chinoises sur cette question marque le lancement de la mise en confinement total de la ville de Wuhan et de la province de Hubei ainsi que la restriction de la mobilité de 750 millions de Chinois. Le 25 mars, Hubei sort du confinement tandis que la campagne de propagande du PCC s’intensifie afin de présenter l’action de la Chine contre le virus sous ses meilleurs aspects, cristalliser le narratif des événements et engager une diplomatie du secours humanitaire tous azimuts.

Tigres asiatiques et Japon

Proximité géographique de l’origine du virus et imbrication économique régionale expliquent en grande partie la réaction rapide des principaux voisins de la Chine fondée sur l’expérience des précédentes épidémies SARS 2003, H1N1 2009, MERS 2015.

Singapour (5,6 Mh)

Depuis 1965, la survie de la Cité-État repose sur la maîtrise de ses vulnérabilités et sur la sauvegarde d’une économie mondialisée. Première destination en provenance de Wuhan par voie aérienne, plateforme potentielle d’exportation de l’infection, dépendante de la main d’œuvre malaisienne, Singapour devait relever des défis sévères pour éviter l’embolie collective. La fermeture des frontières, le confinement et l’arrêt de l’économie n’étaient pas envisageables. Des mesures de précaution furent prises dès le 31 décembre et marquent janvier. Protection individuelle des citoyens, dépistage systématique, mise à l’écart de la société des patients positifs, quarantaine des cas bénins ont constitué les fers de lance de la réaction singapourienne, alliés à l’identification et au pistage des individus, nationaux et étrangers, ayant côtoyé des patients positifs à Singapour, où qu’ils soient dans le monde.

Hong-Kong (7,4 Mh)

Pour l’ex-colonie britannique, province chinoise en tension avec le pouvoir central de Pékin, le défi était double : endiguer l’épidémie alors que la densité de sa population est l’une des plus forte au monde sans rien lâcher de son statut particulier. Le combat, symbolisé par la fabrication locale et spontanée de masques de protection ainsi que le contrôle de ses accès, a mobilisé toute la population. On retrouve à Hong Kong les mêmes modes d’action qu’à Singapour.

Taïwan (23,8 M d’hab.)

En dépit du principe « une seule Chine, deux systèmes », la posture politique de Taïwan face à Pékin ressemble à celle de Hong Kong. Protégée par son insularité, ses liens économiques importants avec la Chine sont illustrés par une diaspora de 850.000 Taïwanais installés de l’autre côté du détroit. Le contrôle des passagers en provenance de Wuhan est instauré dans les aéroports dès le 31 décembre. L’interdiction d’entrée sur l’île des ressortissants chinois est prise le 6 février. Elle est étendue à l’ensemble des ressortissants étrangers le 18 mars. La mise à disposition de la population de masques individuels de protection et l’instauration d’une quarantaine contrôlée des individus à risque constituent le cœur du dispositif taïwanais. Ces mesures ont permis de réserver les tests de dépistage aux personnes présentant les symptômes caractéristiques du virus. Au-delà, la réponse des autorités a tiré parti des possibilités offertes par les technologies numériques et le Big data afin d’assurer un suivi individualisé ainsi que la diffusion d’informations utiles aux experts de la santé et à la population.

Corée du Sud (51,5 Mh)

Après avoir réagi en instaurant un contrôle aux frontières, Séoul a dû faire face à un important foyer de contagion sur son sol au sein des fidèles de la communauté évangélique de l’église de Shincheonji qui ont pu représenter 60% des 8.000 premiers cas identifiés en Corée du Sud. Tests systématiques afin d’isoler les patients infectés (y compris asymptomatiques) et suivi des individus au moyen des technologies numériques pour freiner la contamination à grande échelle, telles ont été les premières armes employées pour stopper l’épidémie.

Japon (127 Mh)

Au Japon, le risque d’épidémie en provenance de Chine a été ralenti par l’instauration rapide de contrôles médicaux des passagers dans les aéroports et la mise à l’écart des patients à risque. Des mesures de quarantaine ont ensuite été prises en fonction des pays de provenance sans que la liberté de mouvement ne soit restreinte. En février, le virus s’est déclaré à bord du paquebot de croisière Diamond Princess placé en quarantaine au large de Yokohama. Les stocks d’équipements de protection ainsi que les lits pour soins intensifs des hôpitaux demeurent limités. Les tests de dépistage sont réservés aux cas sévères.

Quelles leçons génériques d’Asie ?

Au-delà des leçons apprises depuis SARS 2003 et des traits des cultures propres  de ces pays d’Asie (distanciation sociale, préséance du collectif sur le personnel, civisme, pression social), justifiant un niveau de préparation et une capacité de réaction élevés, d’autres éléments expliquent leurs succès initiaux. Suivant les cas, ils font face à une pression politico-sécuritaire chinoise ou à la prolifération NRBC exercée par la Corée du Nord : ces pays sont régulièrement confrontés à des catastrophes naturelles dont l’acuité contribue à ancrer la réalité des risques dans l’esprit des populations. Ces dernières, leurs forces de sécurité intérieure ainsi que leurs armées, sont entraînées à l’occasion d’exercices réguliers d’alerte, de gestion de crise et de validation de plans. Sans anticipation (ressort de la réaction rapide), les Européens furent contraints au confinement.

JOCV

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