Algérie, nouvelle donne… ! (par le Pr. Khalifa Chater, Tunis)

Nous sommes heureux d’accueillir cette contribution du professeur Khalifa Chater, professeur émérite de l’université de Tunis. JDOK

 

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De grandes marches populaires ont eu lieu, en Algérie, vendredi 8 mars 2019. Ce mouvement contestataire inédit a débuté le 22 février 2019. Depuis lors, le mouvement a pris de l’ampleur. Les manifestants entendent s’opposer au scénario dicté par le pouvoir, qui engage un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika. Au-delà de cette dénonciation, les Algériens prennent leurs distances avec un pouvoir usé, qui ne répond pas à leurs attentes. (cliquez pour lire la suite)

Peut-on parler d’une extension du “printemps arabe’’ ? L’allocution du chef d’état-major de l’armée algérienne, le vice-ministre de la Défense, Ahmed Gaid Salah, s’y réfère. “ Certaines parties qui sont dérangées de voir l’Algérie stable et sûre, veulent ramener l’Algérie aux douloureuses années de braises, lors desquelles le peuple algérien a vécu toutes formes de souffrances et payé un lourd tribut ’’, référence ainsi faite à la guerre civile qui a duré une dizaine d’années et a secoué la nation nord-africaine dans les années 1990 (discours à Cherchell, 6 mars). Il critiqua l’éventuel rôle du Qatar et de la Turquie, qui ont défendu la politique du Grand Moyen-Orient et la stratégie du chaos, qu’ils ont engagée.

Ce diagnostic devrait cependant être révisé et relativisé. A la différence des événements du “printemps arabe’’, la contestation est cette fois massive et pacifique. De plus, elle procède essentiellement d’une dynamique interne. La télévision Al-Djezira, porte-parole du Qatar, qui s’était mobilisée pour soutenir la contestation en Tunisie, en Égypte, en Libye et en Syrie et qui a œuvré pour la prise du pouvoir de l’Islam politique, joue ici un rôle mesuré, sinon objectif. Peut-on l’expliquer par la crainte du pouvoir algérien, vu l’état des rapports de forces ? Je pense plutôt que la question ne relève pas, dans cette conjoncture, des priorités du Qatar. Cet État du Golfe semble davantage préoccupé par sa lutte contre l’Arabie Saoudite et les Émirats. Qatar s’est également mobilisé dans la dénonciation de l’assassinat du journaliste saoudien Kashoggi dans le consulat de son pays, à Ankara. D’autre part, le Qatar aurait pris conscience de la sérieuse contestation de l’Islam politique. En ce qui concerne la Turquie, elle est elle préoccupée par le suivi kurde de la guerre de Syrie et par son duel avec le gouvernement égyptien. D’ailleurs, le jeu politique turc a toujours été discret, ce qui ne se dément pas cette fois-ci.

La nouvelle donne mettrait à l’ordre du jour un nouveau deal, favorisant une reconstruction institutionnelle et une révision de la politique générale. Fait évident, alors que le parti islamique à tiré profit de la « révolution’ » tunisienne aux dépens des autres partis, en Algérie les partis politiques ont pris le relais de la direction spontanée de la contestation et se concertent pour formuler un accord consensuel. Fait évident, l’annonce d’une “conférence nationale inclusive et indépendante (afin) de débattre, concevoir et adopter des réformes, sur le plan constitutionnel, institutionnel, politique et économique, pour établir un mécanisme indépendant pour organiser une élection présidentielle anticipée’’ atteste un souci de prise en compte de la rue (cf. l’acte de candidature du Président Bouteflika).

Est-ce à dire que l’establishment est désormais à la recherche d’un candidat, réalisant l’accord de l’Armée et du FLN ? Les dés ne sont pas encore jetés. En attendant, les événements se précipitent. Peut-on arrêter l’escalade ? Pourrait-on neutraliser le jeu éventuel de la géopolitique régionale et internationale ? Une extension de la politique du chaos ne peut cependant guère être exclue. Nous ne pouvons écarter la menace. « Quand l’Algérie éternue, le Maghreb s’embrouille’’ dit un observateur. Dans la situation actuelle, une déstabilisation algérienne remettrait en cause les équilibres fondateurs de l’aire arabe. Qu’on y prenne bien garde, pour la sauvegarde du pays frère, du voisinage immédiat et de l’ensemble euro-méditerranéen.

Khalifa Chater

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