Les Etats baltes et l’Otan, fardeau militaire ou avant-poste stratégique ? (L. Vailhen)

La Vigie, conformément à son ambition, est heureuse de publier cet article d’un jeune auteur, Louis Vailhen.

Les 8 et 9 juillet 2016, le 25e sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) s’est tenu en Pologne, à Varsovie (voir LV 47). Parmi de nombreux sujets, l’enjeu majeur de cette rencontre a été de définir le renforcement de la sécurité en Europe de l’est. A l’issue de cet événement, l’Otan a validé l’idée d’une présence renforcée (1) en Estonie, en Lettonie, en Lituanie et en Pologne. Il est vrai que ces quatre pays avaient, depuis le précédent sommet de l’Otan, en 2014, tout fait pour valoriser la visibilité médiatique, politique et stratégique que leur a accordée la crise ukrainienne, leur but commun étant d’obtenir un maximum d’engagements irrévocables de la part de l’Otan avant que les projecteurs de l’Alliance ne s’éloignent de cette région vers d’autres conflits. Leur mobilisation porte aujourd’hui ses fruits et témoigne du rapport que les Etats baltes entretiennent avec l’Alliance atlantique.

Inauguration ceremony of the NATO Force Integration Unit (NFIU) HQ in LithuaniaInauguration d’une NFIU en Lituanie. Source image : OTAN

Conjurer la crainte de l’annexion russe

Exposés à une menace qu’ils considèrent comme existentielle, les États baltes n’ont eu en vérité de cesse, depuis leurs indépendances, de chercher à s’attacher la seule protection territoriale qui, à leurs yeux, paraissait valable : celle de l’Otan et, à travers elle, celle des États-Unis d’Amérique. A la suite de leurs intégrations, en 2003, l’Alliance atlantique a accepté de prendre en charge de nombreux pans de l’appareil militaire balte. Ce soutien s’est accru à la suite du déclenchement de la crise ukrainienne. A la mission « Police aérienne de la Baltique » (Baltic Air Policing) qui voit se relayer, depuis 2004, des avions de chasse alliés dans les bases de Šiauliai, au nord de la Lituanie, d’Ämari, au nord-ouest de l’Estonie et de Malbork en Pologne, se sont ajoutés, depuis ces derniers mois, plusieurs autres plans défensifs.

Ainsi, dès 2014, l’Otan décidait de créer une Force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation (VJTF) capable de se déployer en très peu de jours à la périphérie du territoire contrôlé par l’Organisation, et notamment sur son flanc est. Elle serait composée de cinq mille hommes, dotée d’un appui aérien et naval. Les États-Unis ont, dans le même temps, décidé de pré-positionner dans les pays baltes des armements lourds, correspondant à l’équipement d’une brigade de combat, afin de faciliter le déploiement de leurs troupes en cas d’embrasement. Si elle se refuse pour l’instant à faire stationner des hommes de manière permanente dans la région de la Baltique afin de ne pas contrevenir à l’Acte Fondateur OTAN-Russie de 1997, l’Otan y organise très régulièrement des exercices militaires, ce qui garantit toujours, dans les faits, sa présence sur place. Afin de rendre plus aisé le déroulement de ces exercices, de faciliter l’arrivée des forces de réaction rapide et, surtout, de rassurer les gouvernements baltes, l’Otan a aussi décidé de créer, en 2015, de petits états-majors à vocation logistique, basés dans les trois capitales baltes (2): les NATO Force Integration Units ou NFIU. Il ne s’agit pas de bases militaires à proprement parler mais de petites infrastructures abritant une quarantaine d’employés chargés d’assurer l’accueil des troupes alliées de passage dans les pays baltes, puis de les orienter vers leur destination finale (camp d’entraînement, caserne, entrepôt d’armement…). Cependant, leur mission est aussi de renforcer la cohérence des plans de défense nationaux, d’identifier les infrastructures logistiques indispensables à un rapide déploiement des forces alliées, de faciliter les échanges de renseignements en collectant des informations. Dernière importante mesure de réassurance accordée aux Etats baltes, Barack Obama a avalisé au cours des derniers mois le retour conséquent des États-Unis dans la région de la Baltique en décidant d’y consacrer au cours de l’année 2016 trois milliards quatre-cents millions de dollars en dépenses militaires, contre sept-cents quatre-vingts six millions en 2015. Cet ensemble de mesures destiné à assurer la sécurité des pays baltes a été qualifié de « plus important renforcement de la défense collective depuis la Guerre froide » par les Ministres de la Défense des pays de l’Otan. A ce titre, les Etats baltes représentent un poids militaire évident pour l’Otan, qui réclament de l’aide plus qu’ils n’en fournissent à l’Organisation. Ils ne sont pas porteurs d’apaisement ni de stabilisation et incarnent bien plutôt, pour leurs alliés, un sujet de préoccupation.

Des compétences de niche et une situation géostratégique avantageuse

Ces mesures ne signifient pas pour autant que la relation qui lie les Etats baltes à l’Organisation soit à sens unique et qu’un libre dévouement soit à l’origine de la présence renforcée de l’Otan au sein de leurs territoires. Les Etats baltes ont à cœur d’apparaître non comme de simples consommateurs de sécurité collective, mais comme trois membres de l’Organisation dévoués et fidèles. Ils ont ainsi soutenu diplomatiquement la majorité des interventions américaines à l’étranger, comme la guerre du Kosovo ou le déploiement de forces en Irak et en Afghanistan. De plus, ils cherchent à incarner le rôle d’émissaire de l’Otan auprès de certains pays membres du Partenariat pour la paix (3), comme la Géorgie, la Moldavie, la Biélorussie ou l’Ukraine, qu’ils tentent d’éloigner de la Russie et de rapprocher du giron occidental. C’est donc sur un plan politique qu’ils sont d’abord utiles. Les États baltes ne peuvent donc pas être qualifiés de profiteurs ingrats de la sécurité atlantique, mais bien plutôt, à l’inverse, de promoteurs zélés de l’Alliance. Tels les nouveaux convertis, ils font preuve d’une foi débordante envers elle, d’un prosélytisme conquérant dont les États-Unis, ainsi que certaines puissances européennes, préfèrent modérer quelque fois l’ardeur afin de tempérer les relations Otan-Russie.

Par ailleurs, États baltes ne font pas uniquement valoir cet aspect politico-diplomatique. Ils cherchent à incarner au sein de l’Otan une plus-value militaire et stratégique. S’ils ont peu l’occasion de s’engager sur les théâtres extérieurs, ils fournissent régulièrement des contingents aux opérations militaires menées par les États-Unis. C’est par cet intermédiaire que les États baltes participent principalement à l’effort militaire de l’Alliance et que leurs armées acquièrent la précieuse expérience du champ de bataille. Au-delà de l’investissement numérique ou matériel, les troupes baltes font preuve d’une souplesse et d’une diligence peu communes. Rappelons qu’au sein de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, les États membres fixent des limites d’engagement (national caveats), qui restreignent l’utilisation de leurs troupes dans le cadre de l’Otan. Or, les règles d’engagement fixées par les états-majors baltes sont souvent relativement souples. Leurs contingents sont peut-être peu nombreux, mais pleinement opérationnels, autorisés à mener des opérations délicates et périlleuses.

En outre, de par leur situation géographique, les Etats baltes font disposer à l’Otan d’un atout stratégique de taille. Ils lui offrent la possibilité de s’immiscer dans une zone dont l’URSS avait auparavant la quasi-exclusivité en y déployant des moyens de surveillance aérienne, terrestre et maritime, en y faisant patrouiller des bataillons et en y installant des armes dont la portée pourrait atteindre la Russie continentale. L’Otan, qui barrait auparavant le passage à l’ennemi soviétique à la hauteur du Danemark et de la Norvège, semble ainsi pouvoir progressivement restreindre l’amplitude des projections russes.

Reste enfin à évoquer les véritables domaines de spécialisation grâce auxquels les États baltes peuvent prétendre être ponctuellement à la pointe de l’innovation technologique et doctrinale. Par le biais de centres d’excellence homologués par l’Otan, qui leur reconnaît une expertise dans un domaine opérationnel précis, les Etats baltes contribuent à l’élaboration de doctrines et de normes, à l’organisation d’exercices multinationaux, de formations ou de séminaires d’étude, à la publication de travaux théoriques. Ces centres sont situés dans chacune des trois capitales baltes. Le plus connu est celui de Tallinn, en Estonie, qui s’intéresse à la cybersécurité, mais les deux autres, spécialisés dans la communication stratégique et la sécurité énergétique, sont également en expansion.

Les Etats baltes, « tigres » de l’Otan en Europe de l’Est ?

Il apparaît donc que les États baltes, qui ne peuvent prétendre à la puissance militaire classique, tentent de se distinguer dans des domaines et par des compétences définis au sein de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord. Leaders en matière de soft power, ils ne cessent pourtant de solliciter la venue de boots on the ground, une présence physique, palpable, concrète de l’Otan sur leurs territoires. Aussi semblent-ils être les partisans d’une division des tâches et non d’un « partage du fardeau ». A eux les niches stratégiques, l’innovation, le dialogue avec certains interlocuteurs bien particuliers ; à l’Otan, et aux États-Unis en particulier, les contingents d’hommes, les patrouilles aériennes, le bouclier nucléaire, la confrontation pied à pied avec la Russie. A la fois arrière et avant-garde de l’Organisation, les États baltes ne peuvent prétendre, loin s’en faut, au rôle de moteur militaire, mais plutôt à celui d’animateurs spécialisés, d’accessoiristes zélés, de laborantins entreprenants et ingénieux. Sans doute est-ce là une des fonctions qui convient le mieux à ces petits pays aux moyens limités, car elle leur permet de discuter parfois d’égal à égal avec des pays de plus grande envergure, de prétendre, non plus seulement au statut de débiteur de l’Alliance, mais à celui de précieux associé.

S’ils chercheront sans doute à incarner, dans les années à venir, le rôle de « tigres » de l’Otan en Europe (4), ils peuvent pour le moment être renvoyés à leurs vulnérabilités et fragilités militaires. A la question fatidique, « les États baltes, combien de divisions ? », ces derniers répondent péniblement : « Une… ». En revanche, ce sont leurs territoires qui forment incontestablement pour l’Otan une zone géostratégique de première importance. Avant-postes de l’Otan à l’est, situés à l’orée de l’œkoumène occidentale, ils contribuent à contester l’influence militaire russe dans la région de la Baltique.

Le cap des élections américaines

Dans les mois qui viendront, un gel temporaire des relations Otan-Russie semble probable. Le président Obama, par ailleurs soucieux, au cours de son second mandat, de réduire les déploiements de l’US Army, voit son départ arriver à grands pas et paraît peu enclin à relancer les hostilités à quelques mois des élections présidentielles. C’est certainement à leur issue qu’on pourra présager du sort que connaîtra l’Otan en Europe de l’est au cours des prochaines années. A ce sujet, les candidats républicains et démocrates expriment déjà des points de vue radicalement différents. Donald Trump, dans un entretien fleuve accordé au New-York Times et consacré à la politique étrangère (5), affirmait, en réponse à une question qui portait précisément sur ces thématiques : « I’ll tell you the problems I have with NATO. No. 1, we pay far too much […] NATO is unfair, economically, to us, to the United States. ». Il semblait ainsi plaider pour l’allègement des investissements américains en Europe et une prise de recul envers le commandement allié, considéré comme une vache sacrée et intouchable. Ces propos tranchent indubitablement avec ceux d’Hillary Clinton qui, depuis des années, défend des positions plus bellicistes à l’égard de la Russie. Elle a, en tant que sénateur démocrate, soutenu en 2001 l’assistance militaire américaine auprès des pays d’Europe de l’est. Par la suite, en 2008, elle milite pour que l’Ukraine et la Géorgie rejoignent le giron de l’Otan. Enfin, dans l’ouvrage autobiographique qui lui a permis de lancer sa candidature en 2014, Hillary Clinton a affirmé la nécessité de renforcer l’Organisation à la suite de l’annexion de la Crimée. Elle n’a donc pas manqué de s’opposer franchement aux paroles de Donald Trump en lui reprochant sa complaisance vis-à-vis de Vladimir Poutine. Aussi peut-on affirmer que le destin sécuritaire des pays baltes, pour lesquels l’Otan représente une véritable assurance-vie, se jouera, du moins partiellement, de l’autre côté de l’océan Atlantique.

Notes :

(1) Enhanced Forward Presence en anglais, une force tournante composée de quatre bataillons. Ces derniers seront fournis, dans un premier temps, par les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne et le Canada.

(2) Ainsi qu’à Bydgoszcz en Pologne, à Sofia en Bulgarie, à Bucarest en Roumanie.

(3) Le système de Partenariat pour la paix est un modèle établi par l’Otan dès 1994 dans le but principal d’aider de nouveaux États indépendants à relever leurs forces armées nationales. Concrètement, le fait d’intégrer le Partenariat pour la paix débouche sur une coopération militaire renforcée avec l’Otan ainsi que sur différents transferts de compétences. C’est pourquoi ce statut est souvent un statut préliminaire qu’il convient d’acquérir avant de pouvoir prétendre intégrer l’Otan.

(4) Matthieu Chillaud, « Les pays baltes : un modèle pour l’intégration ? », Politique étrangère, n° 74, automne 2009, 12 p., p. 517-527.

(5) « Transcript: Donald Trump Expounds on His Foreign Policy Views », New-York Times, 26 mars 2016, http://www.nytimes.com/2016/03/27/us/politics/donald-trump-transcript.html?_r=0.

Illustration : Cérémonie d’inauguration de l’unité d’intégration des forces OTAN (NFIU) de Lituanie. Source : Otan.

Pour aller plus loin : http://independent.academia.edu/LouisVailhen

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