Je te ferai dire (Le Cadet n° 66)

Certes, l’Amérique a ceci de singulier qu’on ne cesse de la découvrir, elle qui pourtant n’a pas changé depuis deux siècles et demi, qui se vit tout à la fois premier matin du monde et empire des temps derniers. L’OTAN est à son image, un machin bureaucratique poussiéreux et soviétisant qui n’a jamais été une machine à faire la guerre mais à désarmer l’Europe. Quand la France reprit son strapontin dans le commandement intégré, qui crut qu’elle allait pouvoir réveiller ce dragon dormant ? Personne, du moins est-on en droit d’espérer que pas un de nos diplomates ou militaires ne se prit pour Siegfried. Pourquoi alors faire semblant de découvrir un état de mort cérébrale déjà autopsié il y a un demi-siècle par le dénommé Charles de Gaulle ? Pourquoi énerver nos alliés, qui n’étaient pas demandeurs de notre retour, en dénonçant une situation connue dès l’origine, et qui commanda notre premier départ comme notre improbable retour ? Pourquoi s’acharner également sur cette lubie récurrente d’armée européenne, sur ce fantasme d’un rééquilibrage dont personne ne veut sur le continent ?

Même pas peur ! On sent pourtant une urgence, de la fébrilité. C’est vrai que plus rien ne marche, ni en Syrie ni dans le Sahel. C’est vrai que le coût humain de nos expéditions apparaîtra un matin insupportable à la Nation. C’est vrai que notre nouveau matériel est trop lourd, trop sophistiqué pour l’art français de la guerre et pour les motos qui sont devenues l’engin de projection des Djihadistes (quatre-vingts ans après, la défaite asymétrique de 1940 n’a toujours pas été comprise), que nos hélicoptères sont toujours aveugles les nuits sans lune dans la poussière de sable, et que nos alliés nous décomptent chichement une logistique censée être mutualisée, en un mot que nous sommes désormais engoncés dans une pensée stratégique toute pourrite. C’est vrai enfin que la France n’a plus les moyens financiers, industriels et humains d’une puissance interventionniste. Mais ça on le savait déjà en 2009, on l’avait écrit dans les revues de l’Armée.

On savait qu’une intervention en Libye allait engendrer des répliques, le Cadet l’avait même deviné en juin 2011, ce qui lui avait valu la critique d’un officier général qui trouvait ces objections scandaleuses. Ledit officier est depuis devenu depuis chef d’état-major de son armée. Après Serval, on savait que le déploiement pérenne dans le Sahel conduirait à l’impasse, pour des raisons qui se sont vérifiées. Les Américains eux-mêmes avaient prévenu, et la Rand l’avait déjà écrit dès cette date. Quelle crédibilité peuvent avoir nos stratèges de cour de récréation qui, ayant sous les yeux ces avis circonstanciés, nous ont tout de même mis dans la nasse et se récrient à la découverte de leur inconséquence ? OK les gars, nous disent les Américains, cassez-vous une nouvelle fois, de l’OTAN et du Sahel, ou alors encaissez ces coups de pied bien mérités. Alors on crâne en se frottant le derrière : même pas mal !

Source photo : https://www.menadefense.net/afric/attentat-kamikaze-contre-des-blindes-de-barkhane-a-gao/

Le Cadet (n° 66)