Bilan hebdomadaire n° 38 du 20 novembre 2022 (guerre d’Ukraine)

Semaine stable sur les fronts militaires : elle est surtout marquée par l’affaire du missile ukrainien tombé en Pologne. Toujours des rumeurs de négociations.

Front de Kherson : Les Ukrainiens reprennent le contrôle de la rive droite et en profitent pour réarticuler leur dispositif. Les quelques raids à travers le fleuve sont plus des reconnaissances de forces spéciales que de réelles opérations.

La rive gauche est en effet étagée, d’abord géographiquement (une rive habitée, un rebord marécageux, puis quelques kilomètres plus loin une terre à nouveau habitable) qui favorise une défense dans la profondeur. Cela permet donc aussi aux Russes de se réarticuler.

Front de Zaporijia : pas vraiment d’activité même si les sites pro-russes signalent une concentration ukrainienne et s’attendent à une offensive dans ce secteur. Elle serait logique d’un point de vue opératif. Mais il n’est pas sûr que la saison ni les réserves s’y prêtent.

Front de Donetsk : Pavlivka serait sous contrôle des Russes qui se prépareraient à attaquer Vouhledar depuis le sud ou depuis l’est. Plus au nord, ils auraient pris Vodyane et pousseraient vers Pervormaiske, toujours millimétriquement.

Secteur de Bakhmout : Beaucoup d’artillerie mais stabilité des lignes.

Front de Svatove : les Ukrainiens tiennent Bilohorivka. Ils poussent toujours au nord de Kreminna vers Chervonopopivka sans réussir à percer.

Les Russes ont tiré plusieurs salves de missiles cette semaine, l’une avec une centaine d’objets, la seconde avec une cinquantaine. Au cours de cette deuxième salve, mardi, un missile ukrainien de défense antiaérienne S 300 s’est abattu en Pologne et a fait deux morts. L’affaire a suscité un profond émoi (allait-on vers un déclenchement de l’article 5 du traité de l’Atlantique nord ?) mais s’est finalement apaisée. Il reste que ces frappes dans la profondeur russes affaiblissent substantiellement le réseau électrique ukrainien.

Appréciation militaire : La météorologie commence à jouer un rôle : après les pluies qui ont entravé les manœuvres, le froid et la neige arrivent. Certes, on peut mener des opérations pendant l’hiver, encore faut-il avoir la logistique en conséquence.

Or, la question des munitions semble se poser pour l’Ukraine, comme le signalait un article de Foreign Policy du 16 novembre[1].  « Nous n’avons quasiment plus de 152 mm [russe], dit un parlementaire ukrainien, nous dépendons totalement des 155 mm [occidentaux] ». Or, 60% de l’artillerie ukrainienne serait au standard russe. Si cela s’avérait, cela signifie que l’Ukraine aurait de grosses difficultés à poursuivre son effort de guerre, d’autant plus que les Occidentaux ne peuvent pas fabriquer rapidement des munitions de 155. Pendant ce temps-là, les Russes auraient relancé leurs usines de production en 3×8.

Certains annonçaient au début de la guerre que la Russie serait bientôt à court de munitions et de missiles. Nous n’avons jamais cru que cela soit possible pour les munitions, rustiques et de technologie ancienne. La question se posait pour les missiles qui ont besoin de circuits électroniques et dont la production est plus longue et entravée par les sanctions. Ainsi a-t-on observé une baisse des tirs de missiles cet été. Apparemment, les Russes ont résolu leurs difficultés de production et semblent donc pouvoir tirer à nouveau des missiles.

Si toutes ces hypothèses se confirment, cela signifierait que les Russes retrouveraient leur avantage premier, celui de l’artillerie. On observe d’ailleurs sur le terrain que la plupart des offensives ukrainiennes sont arrêtées par un déluge d’artillerie. Il faudra voir si cette tendance s’installe dans la durée de l‘hiver et sur toute la longueur du front. Si oui, cela donnerait aux Russes quelques mois d’ici le printemps pour achever leur mobilisation.

Appréciation politique : La semaine a été curieuse. Le président Zelensky s’est entêté à déclarer que le missile tombé en Pologne était russe alors que les Polonais comme les Américains ont très tôt déclaré qu’il était ukrainien. Cette obstination a rapidement été interprétée par certains comme une faute du président ukrainien. Péché véniel mais qui dénote un changement d’attitude. Bien sûr les pro-russes s’en sont réjouits mais là n’est pas le plus important : plutôt dans le fait que certains en Occident commencent à vouloir déconsidérer le président ukrainien.

Tout ceci intervient dans le climat de négociations que nous remarquons depuis plus de dix jours. Certains aux États-Unis, notamment le CEMA américain Mark Milley, déclarent qu’il est temps de négocier. Peut-être détiennent-ils des informations sur l’état réel des forces armées ukrainiennes (cf. les déclarations de la semaine dernières sur leurs pertes) et considèrent-ils qu’il leur est impossible de repousser rapidement la Russie jusqu’aux frontières. La Russie a d’ailleurs remercié Washington pour son « professionnalisme » dans le traitement de l’affaire du missile. L’insistance du président ukrainien pourrait alors être interprétée comme la volonté de persister dans la guerre malgré les pressions de ses alliés.

Nous verrons bien : ces négociations se déroulent de toute façon de façon couverte. A dimanche prochain.

OK

[1] https://foreignpolicy.com/2022/11/16/ukraine-weapons-military-aid-stockpiles-nato-low-industry/

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