Bilan hebdomadaire n° 34 du 23 octobre 2022 (guerre d’Ukraine)

Semaine apparemment statique, marquée surtout par le blackout des informations venant des deux parties. Peut-être quelque chose se déclenche-t-il ce soir, mais il y a eu tellement de rumeurs que je reste prudent.

Du côté de Kherson : les Ukrainiens ont vraisemblablement poussé toute la semaine sans réussir à percer. Ils auraient peut-être avancé au nord jusque Mylove, sans aucune confirmation. Les Russes quant à eux tenteraient de repousser les Ukrainiens à hauteur de Chkalove, là encore sans confirmation. Ailleurs sans changement, si ce n’est énormément de rumeurs : ici des commandos ukrainiens qui s’infiltreraient en palmant tout au long du Dniepr, là les Russes qui pétarderaient le barrage sur le Dniepr pour inonder l’aval.

J’ai un peu de mal à comprendre l’utilité de la chose : d’abord parce qu’ils sont aujourd’hui sur les deux rives du fleuve et seraient donc les premiers handicapés par une telle inondation. Même s’ils devaient retraiter sur la rive sud, je vois mal l’intérêt de casser le barrage : Ils seraient eux aussi gênés (une manœuvre rétrograde est déjà difficile en soi, pas besoin d’ajouter des éléments naturels), et la retenue d’eau leur sert objectivement (refroidissement de la centrale de Zaporijia, approvisionnement en eau de la Crimée). Bref, soit je n’y comprends rien parce que je ne perçois pas toute les subtilités stratégiques (probable), soit le communiquant qui a inventé ce truc a réussi son coup (tout le monde en parle) même si c’est complètement farfelu.

Sur le front sud de Zaporijia, les discours sont intéressants : les Ukrainiens disent que les Russes ne cessent de les bombarder tandis que les Russes disent que les Ukrainiens ne cessent de se renforcer et préparent quelque chose.

Du côté de Donetsk, les Russes semblent avoir recommencé à pousser. Ainsi, ils auraient pris la première ligne de tranchée au nord de l’aéroport de Donetsk (qui était disputé depuis 2014). De même, ils pousseraient depuis Pisky. Cela se dirigerait donc vers les deux localités de Vodyane et d’Opytne, qui protègent le flanc sud d’Avdivka. Simultanément, ils auraient repris leur poussée depuis Novoselivka Druha vers Novkalynove. L’ensemble viserait logiquement à encadrer la ville d’Avdivka, point fort régional ukrainien. Si jamais cela fonctionnait, cela dégagerait la pression sur la ville de Donetsk, toujours soumise à des bombardements.

Vers Bakhmout, encore des progressions millimétriques. Les combats se seraient déroulés dans les faubourgs de la ville au début de semaine mais les Ukrainiens auraient repris le terrain perdu (quartier Lumumba). La revendication ukrainienne de reprise de Zaitseve semble infondée. Plus au nord, pas de changement aux lisières de Soledar malgré des combats localisés.

Sur le front nord : les Russes auraient installé leurs positions sur la rivière Zherebets. Ils pousseraient à hauteur de Bilohorivka au sud mais aussi Torske de façon à prendre appui sur les obstacles naturels et dégager complètement Kreminna. Les Ukrainiens continueraient de pousser au centre (entre Maklivka et Pershotravneve) en direction de Svatove, centre de gravité tactique russe du secteur. Plus au nord, les Russes pousseraient vers le nord de Koupiansk pour fermer la porte.

On a observé par ailleurs la continuation de la campagne de drones et de missiles contre l’arrière de la zone de front. Il semble que ce soit le dispositif logistique ukrainien qui soit visé : centrales et relais électriques, réservoirs de carburant, usines de fabrication et de réparation d’armement. Des coupures de courant sont signalées (même s’il est probable que les déclarations officielles d’un réseau handicapé à 40 % soient excessives). De même, le système ferroviaire connaît des difficultés (remise en service de locomotives diesel). La ville de Mylolaiv semble ainsi recevoir de multiples frappes (à confirmer) : c’est la grande ville qui soutient le dispositif ukrainien face à la poche de Kherson.

Appréciation militaire : Nous avons connu cette semaine une pénurie d’informations. Du côté russe, il semble qu’il y ait eu des consignes du commandement de contrôler ce qui se dit et notamment les publications sur les réseaux sociaux. Du côté ukrainien, le black-out a été imposé depuis le début de la semaine, officiellement pour des motifs de SECOPS. Cependant, lors des épisodes précédents, ce black-out n’avait duré que quelques jours et on avait eu les nouvelles rapidement.

Autrement dit, il est difficile de commenter intelligemment ce qui se passe. Faisons plusieurs observations. Tout d’abord, je ne comprends pas l’évacuation de civils de la ville de Kherson par les Russes, à peine trois semaines après un référendum qui les déclarait russes et les déclarations enflammées de la direction russe sur le retour à la mère patrie. Beaucoup relient ça aux déclarations du COMFOR sur « des décisions difficiles » et l’interprètent comme la préparation d’un retrait russe sur la rive sud du Dniepr. Pourquoi pas mais sur le terrain, on croit voir des combats qui continuent dans la zone. Je préfère donc dire mon incompréhension sur ce point.

Par ailleurs, on observe une relative stagnation de l’effort ukrainien, quel que soit le secteur. Là encore, on peut imaginer la préparation de surprises tactiques. Certains signalent ainsi des transferts d’unités (non corroborés). Je n’en sais rien.

Une autre explication pourrait être que les progrès effectués en septembre ont été durement payés et que la remise en condition est plus longue que prévue. Constatons un certain parallélisme des formes : en juin, les Russes avaient bien avancé et on s’attendait à une pause opérationnelle assez courte avant qu’ils reprennent leur avancée. Elle avait duré tout l’été et ils s’étaient fait surprendre fin août par les Ukrainiens. Ici, après les brillants succès de septembre, on s’attendait aussi à une pause opérationnelle assez courte avant la relance de l’action. Elle dure depuis près d’un mois. Je n’explique pas ce délai. Je constate simplement que la stagnation actuelle du front reste curieuse. J’observe enfin que les Russes semblent avoir rétabli leur ligne dans le front Nord, reprendre un peu leur poussée dans le front sud de Donetsk, attendent sur le front sud de Zaporijia et restent présents dans le front ouest de Kherson. Du côté ukrainien, on observe une légère poussée un peu partout mais sans effort marqué.

Appréciation politique : Les commentateurs se sont beaucoup penchés sur le cas biélorusse : certains imaginaient que Minsk entrerait en guerre contre l’Ukraine. Je n’y ai jamais cru car Loukachenko a tout à perdre, étant donné sa fragilité.

Finalement, les développements politiques n’ont pas eu lieu dans la zone mais ailleurs. En Italie, G. Meloni semble tenir une ligne compatible avec l’UE et malgré son alliance avec Berlusconi, l’Italie ne devrait pas rejoindre le clan des ukraino-sceptiques. En Angleterre, Liz Truss a démissionné, elle qui se tenait sur la ligne dure de Johnson. Personne ne sait qui lui succèdera mais cela ne devrait pas affecter la ligne politique. Au niveau européen en revanche, les tensions s’accroissent notamment sur l’énergie. Une petite brouille s’installe entre la France et l’Allemagne. Moscou boit du petit lait. Enfin, aux États-Unis, une part importante des Républicains commence à remettre en cause ouvertement le soutien à l’Ukraine. Les élections de mi-mandat seront donc importantes.

Les choses restent donc très opaques cette semaine. Nous essaierons d’y voir plus clair la semaine prochaine. Le lien vers le billet entier sera mis dans cinq minutes à la suite de cette enfilade.

Et le livre devrait paraître le 21 novembre… ! Bonne semaine.

OK

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