Désarmement, Démobilisation et Réintégration au cœur des conflits armées sahéliens par G. Lemarchand

Martine Cuttier, fidèle lectrice, nos livre une nouvelle fiche de lecture sur l’ouvrage d’un jeune chercheur spécialisé dans le DDR, notamment au Sahel . Merci. LV

 

Alors que jusqu’ici l’attention du public se portait sur l’épineux désengagement de la France du Mali, l’actualité de la guerre en Ukraine ne doit pas détourner le regard d’un ouvrage récent qui, en montrant la complexité du processus DDR, permet aussi d’entrevoir des pistes de compréhension quant à l’issue prétorienne au Mali et au Burkina-Faso.

Cet ouvrage, mémoire d’un étudiant du Master 2 du professeur Olivier Zajec: Sécurité internationale et Défense de l’université Lyon III, est encadré par d’éminents spécialistes des conflits en cours en Afrique et particulièrement au Sahel, tout d’abord le professeur Olivier Hanne[1] pour la préface puis le général (2S) Bruno Clément-Bollée pour la postface. Ce dernier est un fin connaisseur du processus DDR pour l’avoir mené avec succès en Guinée et en Côte d’Ivoire. L’auteur a déjà réalisé un galop d’essai en publiant au printemps dernier un article pour la revue Res Militaris sur ce sujet complexe[2] car si depuis 2013, les opérations Serval et Barkhane ont donné lieu à bien des publications, le processus DDR qui, au Sahel, se déroule alors que les combats se poursuivent, attire l’attention des chercheurs.

La pratique de la démobilisation n’est pas nouvelle car elle accompagne la sortie des conflits armés mais la nouveauté vient du fait que l’ONU s’en est emparée depuis les années 1990 alors que se généralisaient les opérations de maintien de la paix. Désormais, les OMP sont inhérentes à un processus dont l’auteur  dans une première partie montre la conception, le déroulé et la généralisation pour ensuite s’attacher à sa mise en place au Mali, au Nigéria autour du lac Tchad et à tout le G5 Sahel jusqu’à finir par le mutualiser, non sans oublier l’interférence avec l’agenda politique comme au Mali en 2018.

La seconde partie permet de plonger plus concrètement dans la réalité de l’application au niveau communautaire (très recommandé), local, national et international. En saisissant bien la cause du basculement de jeunes hommes dans une pratique guerrière qualifiée trop facilement de terroriste alors qu’elle renvoie à une culture ancestrale, à des conflits traditionnels de caractère socio-économique (luttes entre sédentaires, éleveurs et nomades sur fond de modification climatique, luttes interethniques), à des trafics tout aussi multiséculaires dans lesquels ont trempé au Mali des responsables politiques et militaires ayant conservé leur base ethnique pour en tirer des dividendes importants[3], activés par la pénétration d’un islam djihadiste à l’offensive.  Autre point intéressant est la façon dont le processus participe à un embouteillage sécuritaire analysé par Ayrton Aubry[4], très avantageux dans le cas de l’africanisation de la sécurité dont profitent les États[5] et dont ils tentent de récupérer les avantages d’une prise en charge étrangère de ce qui relève de leur pouvoir régalien. Celui du Mali joue à merveille des vieux antagonismes ethniques (Peuls contre Dogons) pour monter ces communautés les unes contre les autres en autorisant les unes à constituer des milices d’auto-défense (les Dozos) qui pallient les carences de l’État en matière sécuritaire.

L’auteur montre bien aussi comment le processus devient une bonne affaire au plus bas de l’échelle de la société car lorsqu’il s’enclenche, arrivent de toutes parts de prétendus anciens combattants[6] afin de profiter d’avantages le plus souvent en argent. Enfin, la Réintégration impliquant pour certains une déradicalisation mais pour tous un retour à une activité  socio-professionnelle légale et durable  par la voie soit d’une intégration aux sein des forces armées (option à limiter pour éviter de néfastes  sureffectifs)  soit d’une reconversion professionnelle (la plus conseillée) qui peut même s’intégrer officiellement dans le section de l’informel. Là est le défi.

Le livre de ce jeune chercheur prometteur est d’autant plus intéressant qu’il est illustré par nombre de cartes qui complètent fort bien le propos.

Martine Cuttier

Gildas Lemarchand, Désarmement, Démobilisation et Réintégration au cœur des conflits armées sahéliens, L’Harmattan, 2021, accessible ici.

[1] Professeur à l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan.

[2] Gildas Lemarchand, « Les initiatives de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) dans les crises du Sahel occidental et central », Res Militaris, vol 11, N°2, 2021.

[3] Le 1er chapitre de la seconde partie revient sur l’environnement sahélien, sa mosaïque ethnique, les trafics et la culture sahélienne de l’islam rattrapée par la nouvelle implantation djihadiste, le développement des GAT, la généralisation de la crise jusqu’au Macina.

[4] Ayrton Aubry, Le G5 Sahel, Le nouveau régionalisme sécuritaire en Afrique du Nord-Ouest, L’Harmattan, 2019.

[5] Ainsi les pays du G5 Sahel comptent parmi les principaux contributeurs de la MINUSMa en fournissant des effectifs.  Cela leur donne du poids dans les OMP, leur permet de formater leurs armées aux doctrines et standards militaires internationaux alors qu’ils peinent à les équiper.

[6] Au Centre du Mali, en décembre 2018, l’on récence 15 000 combattants liés à des milices  et suite à la mise en place du DDR, en janvier 2019, 63 000 se sont montrés volontaires au programme.

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