La défense de l’Europe à l’heure de l’Ukraine (J. Dufourcq)

Vous trouverez ci-après la communication de notre directeur associé, Jean Dufourcq, au colloque conduit à Strasbourg par un collectif mené par Eurodéfense le 9 mars sur le thème de la Défense de l’Europe, au 13ème jour de l’agression armée inacceptable de la Russie sur l’Ukraine. Elle a fait l’objet de débats animés. En stratégiste distant, il y expose la nécessité de procéder non à un réarmement massif de l’Europe dans le cadre de l’Otan mais, une fois les équilibres de sécurité redéfinis contractuellement entre Russie et Ukraine, à la réunification stratégique complète du continent de l’Atlantique à l’Oural qui n’a que trop tardé, 30 ans après la fin de la Guerre froide. LV

source : Nemrod

Pour ce colloque où j’ai passé deux semaines loin du fracas ukrainien : ni textes, ni images. J’en reviens perplexe et mécontent de ce que nous avons fait de l’Europe, de sa défense et de son avenir depuis 1990. Notre responsabilité collective me semble entière et nous avons dilapidé sans trop réfléchir le capital de lourds sacrifices consentis par nos prédécesseurs au XXe siècle pour construire une coexistence durable entre nous en Europe.

J’étais parti en Asie quelques jours avant le 24 février 2022. Nous vivions alors dans un monde devenu en 30 ans, depuis 1991, une véritable friche stratégique. Un monde qui avait peu à peu remisé les régulateurs mis en place après la seconde guerre mondiale, régulateurs qu’on avait préservés tant bien que mal pendant la guerre froide. Un monde qui perdait la mémoire de son passé et se livrait à de nouveaux jeux de puissance, des jeux dangereux. Car on voyait bien que les compétitions les plus dures s’accentuaient inexorablement entre grands opérateurs, étatiques ou non, de la puissance politique, économique et technologique de la planète. Mais on pensait, à tort, que ces jeux se conduisaient surtout par d’autres moyens et dans d’autres champs de friction, ceux que la mondialisation marchande et la transformation numérique de la planète offraient aux acteurs décidés et entreprenants.

Tout ça pour en arriver là aujourd’hui : un conflit armé brutal au sein d’une famille européenne, en Centre Europe, sans régulateurs, avec victimes civiles et destructions absurdes. Un autre monde émerge, arriéré, tragique. Nous ne devons pas accepter ce jeu-là.

Aujourd’hui la planète de 8 milliards d’habitants parle d’Europe et de guerre, de bombardements et de réfugiés. Et le monde entier observe avec surprise et une vraie commisération ce nouveau théâtre de conflits ouvert il y a 13 jours au centre de l’Europe, au cœur du vieux bassin civilisationnel millénaire d’un milliard d’habitants qui se déploie de l’Atlantique à l’Oural et du Cap Nord au Sahel. La considération du monde pour la culture politique et l’autorité morale de l’Europe en sont fortement affectées, les valeurs qu’elle porte une fois de plus dévalorisées et les modèles qu’elle propose profondément dévalués.

Pour parler de la défense de l’Europe en cette fin de journée du 9 mars où beaucoup a été dit des questions militaires, institutionnelles et politiques, où on a évoqué bien aisément des risques de guerre généralisée, voire de guerre nucléaire préventive ou punitive, je propose trois points de stratégiste pour participer à cette réflexion strasbourgeoise collective à laquelle je vous remercie de m’avoir convié.

  • Le premier, je l’emprunte à des débats conduits en Roumanie il y a 15 ans, c’est la question de l’Est de l’Ouest. Où se place la frontière orientale de l’Europe ?
  • Le second, je la fonde sur la vision française que je porte des questions stratégiques, les fondamentaux militaires de la France dans l’Europe et de l’Europe dans le monde.
  • Le troisième, plus prospectif, veut mettre en perspective la marche du monde. Il conduit à une ferme invitation à ne plus perdre une minute pour organiser la réunification complète du continent européen tel qu’il est et non tel qu’on le rêve ou on nous l’impose de l’extérieur. Il requiert de relever le défi de la stabilité et de la viabilité du continent de l’Atlantique à l’Oural et de prendre en mains directement entre nous, Européens, la destinée du continent sans recours à nos alliés extérieurs. Pour moi le réarmement de l’Europe face à une menace russe sera une bévue de plus.

« L’Est de l’Ouest » en question, pour commencer

  • L’Europe occidentale fut « l’Est de l’Ouest » (LV 187), le cœur européen, pendant toute la durée de la guerre froide. L’espace européen contrôlé par les alliés de 1945 a constitué la partie libre de l’Europe jusqu’en 1991. A l’abri de l’Alliance atlantique, le projet européen a pu alors se développer et mûrir.
  • L’Europe orientale fut « l’Ouest du monde soviétique », soumis par la force au Pacte de Varsovie que l’impérialisme soviétique organisa dès la fin de la seconde guerre mondiale. Cet espace soviétisé, libéré de facto à la fin de l’URSS en 1991 s’est alors émancipé de sa tutelle. Les frères séparés d’Europe centrale et orientale, les Pecos, sont réintégrés dans la famille européenne et après un temps de transition accueillis en bloc dans l’Union européenne en 2004.
  • L’Union européenne a émergé des CEE au débouché de la guerre froide. C’est une nouvelle venue dans le monde des États et des institutions, un modèle original de club postnational ouvert, sous tutelle atlantique mais sans projet stratégique annoncé, sans modèle de puissance adopté, sans voisinage organisé et sans limite orientale définie. On lira avec profit l’analyse contradictoire qu’en fait Jean Marie Guéhenno dans « Le premier XXIe siècle » Flammarion 2021.
  • « L’Ouest » pose question en soi en 2022. Ce n’est ni une civilisation (l’Occident est bicéphale, américain et européen)), ni un empire (l’américain), ni un modèle politique (la société libérale), c’est une dynamique de modernité sans consistance géopolitique. Comment l’appliquer au continent européen ? L’Europe est-elle le flanc oriental de l’Ouest ? « L’Est de l’Ouest », c’est plutôt aujourd’hui le front oriental de la rivalité des États-Unis avec la Chine, une rivalité qui a enjambé la Russie, enrôlé l’UE et en Asie, les Etats asiatiques libéraux pour confiner la Chine.

Un regard stratégique français pour continuer

  • Le système français possède trois axes stratégiques : l’axe oriental continental majeur qui commence sur le Rhin et impose la construction européenne comme réponse à un voisinage allemand rugueux; l’axe méridional maritime qui raccorde la France à l’Afrique du Nord, et via Suez à l’océan indien et à l’Asie tout comme via Gibraltar à l’Afrique, c’est l’échappée vers l’aventure maritime  ; enfin l’axe atlantique qui raccorde la France au reste du monde dont le symbole est la tour de l’ONU à New York et qui organise d’abord la relation avec les États-Unis dans le P5 et ensuite la vision du monde à travers les outremers et l’ONU. La politique extérieure de la France est toujours une combinaison dynamique de ces 3 axes et ne peut se résumer à l’Europe ou utiliser son seul canal pour se déployer.
  • L’Alliance atlantique comme la construction européenne sont les fruits de ce système stratégique ; la France voulut l’une comme l’autre et y contribua avec détermination. La dissuasion nucléaire française fut la réponse à la surprise de juin 1940 et à celle de Suez de 1956 ; elle est la réassurance autonome et le garant de l’indépendance nationale. Quant non-alignement sur les Grands, le choix de la puissance de plein exercice et la solidarité de voisinage, ce sont des réflexes fondés sur des principes anciens et articulés avec des choix multilatéraux.
  • Un débat sérieux existe toujours en France en matière de politique extérieure qui oppose stratégistes à orientations souverainistes et européistes à orientations régionales. C’est lui qui arbitre les questions d’indépendance, de souveraineté, de subsidiarité. Il traverse la haute administration et se traduit par de multiples biais dans la cohérence des actions extérieures de la France. Pour nos voisins, il est le marqueur souvent illisible de la singularité française et le trait caractéristique d’une « Grande nation » inclassable et inassimilable.
  • Notre participation à la Défense de l’Europe est tributaire de ces divers éléments.

La réunification de l’Europe, comme impensé stratégique dans la mondialisation

  • On relève un cortège de bévues multiples à la fin de la guerre froide ; une réunification allemande gagée sur la non-extension de l’Otan ; un dépeçage soviétique consenti par tous les acteurs euro-atlantiques ; un enjambement américain de l’Europe et une fuite en avant enfermant les Européens dans l’UE.
  • On relève plusieurs tentatives françaises inabouties de promotion d’une Europe stratégique par l’assise d’une défense européenne, la Plateforme de La Haye 1987 qui réveille l’UEO, puis les sommets de Londres 1990 et de Rome 1991 qui réorientent l’Alliance ; l’érection ratée de l’UEO en bras armé de l’UE, puis celle aussi infructueuse de 1994 à 1996 d’un pilier européen aussi de l’Alliance en soutien de l’IESD (identité européenne de sécurité et de défense), enfin celle qui débouche sur la Pesc/PESD des années 2000 après les étapes de Saint Malo (1998) et d’Helsinki (1999). Paris entretient de rudes débats en Quad et Quint avec Anglais et Allemands enracinés dans l’Otan. Avec la réintégration pleine et entière dans l’Otan en 2009, c’est la fin d’un pouvoir français sur l’Otan et la calamiteuse gestion des crises pilotées par l’OTAN en rênes plus ou moins courtes (Irak, Afghanistan, Libye) et souvent avec des soutiens russes discrets. Mais la réunification stratégique du continent doit attendre une vraie Europe stratégique.
  • Car la porte s’est refermée dès mi-1990 sur la Russie qui a été laissée en dehors de l’Europe qui se rééquilibre. Et l’essor des BRICS va pousser la Russie dans un club de grands pays lointains réfractaires à l’ordre occidental. La porte chinoise qui va s’ouvrir pour la Russie va lui permettre de restructurer ses rapports de force. Les rappels à l’ordre russes sur les fragilités de sa bordure européenne sont ignorés pendant 25 ans. Et le « coup de force militaire » russe de février 2022 mute en agression militaire russe de l’Ukraine. C’est une surprise. Des portes se referment alors brutalement et la perspective de réunification européenne s’éloigne pour longtemps. Sinistre retour anachronique au passé conflictuel européen.

Pour conclure sur la Défense de l’Europe, avec un point de vue de stratégiste

La Défense de l’Europe, bousculée, devient très problématique et doit se retrancher dans un projet de réarmement massif face à la Russie.

Elle subit les conséquences tragiques de trois aberrations dans l’analyse stratégique, trois distorsions fortes de « Stratégie du conflit » (cf. T. Schelling Puf 1986) par abandon délibéré ou impéritie du canal d’intérêt commun à tous les peuples européens préoccupés d’abord de paix, de stabilité, de sécurité, de prospérité, de modernité dans une forme de coexistence durable. Ces trois erreurs d’appréciation ont été commises par défaut d’analyse à long terme, excès de confiance, sous-estimation des dangers et surréactions des acteurs de premier plan.

A Bruxelles, on a négligé de réunifier l’Europe comme on l’a promis après avoir réunifié l’Allemagne mi-1990. On feint d’ignorer que c’est d’abord la Russie de Gorbatchev qui a mis fin à l’URSS et ce, sans en endosser l’héritage. Pourtant pour réunifier le continent, il faut accueillir la nouvelle Russie dans la famille européenne et enjamber 85 ans de désordre soviétique pour la retrouver telle qu’avant 1917. Au lieu de quoi, on lui fait de fausses promesses pendant 25 ans et on la soumet aux manœuvres stratégiques de deux acteurs non-européens de l’Alliance (USA, UK), non-contigus de la Russie continentale.

Résultat : La Russie, acteur historique essentiel de la stabilité du continent européen, fournisseur essentiel de l’énergie des Européens est petit à petit écartée du concert européen puis progressivement antagonisée. Une nouvelle ligne de division se cristallise aux portes orientales de l’UE. La Russie défiée est poussée à réagir.

A Moscou, on veut donner un coup d’arrêt durable aux menées jugées comme discriminatoires ou offensives venant de l’Ouest. Et on quitte sans trop hésiter une position stratégique avantageuse et raisonnable : évacuation humanitaire, protection militaire des populations russes du Donbass bombardées par les forces ukrainiennes ; soutien modéré à l’autonomie des provinces dissidentes du Donetz/Louhansk actée par les accords de Minsk voire à l’indépendance ; on sauvegarde la reconnaissance implicite de l’autodétermination russe de la Crimée. Et on se met à la faute par une agression militaire caractérisée contre l’Ukraine au motif de la démilitariser et de la dénazifier, en rappelant en filigrane le précédent du Kosovo. On choisit le risque d’une aventure qui inquiète le monde entier.

Résultat : une action de guerre risquée, trop puissante, trop radicale, trop incertaine, et surtout indéfendable qui compromet le statut étatique de la Russie, menace ses acquis raisonnables, provoque une réaction forte du voisinage et un fort doute intérieur.

A Washington, on veut engager une rivalité gagnante avec la Chine. Pour cela il faut ménager la Russie pour ne pas avoir à l’affronter en Europe après l’avoir déjà enjambée pendant 25 ans pour cause de priorité chinoise. Car il faut éviter de se retrouver à affronter simultanément deux compétiteurs de rang militaire inférieur, Russie et Chine, liés par un partenariat stratégique. Mais les négociations US/RU conduites à la légère à Genève au second semestre 2021 restent infructueuses et montrent à la Russie que ses intérêts de sécurité ne seront pas considérés par les États-Unis pour qui l’Europe devient secondaire.

Résultat : Aussi faute de vrai réflexe stratégique, les États-Unis doivent maintenant affronter deux adversaires puissants, résolus et solidaires sur deux théâtres extérieurs séparés et éloignés du continent américain. Une position inconfortable et coûteuse.

A toutes ces contradictions, s’en ajoute une dernière, peut-être la plus grave de toutes, c’est le réflexe de réarmement massif de l’Europe qui apparaît à tous ici comme la solution impérative pour faire face à cette situation vécue par beaucoup comme l’amorce d’une troisième guerre mondiale, avec un risque avéré d’action nucléaire probable.

Sortons pourtant de cette émotion ambiante qui nous aveugle pour revenir aux réalités géostratégiques et pour chasser les biais conjoncturels. En effet la question ukrainienne apparait à bien des experts qui ont rêvé l’Europe puissance comme une chance inespérée de sortir enfin l’Europe de la défense de l’impasse de la combinaison positive postulée de l’articulation entre OTAN et UE. Le Brexit consommé permettrait même selon certains à l’UE de faire main basse sur l’Otan. Tous les tenants des industries d’armement, y voient aussi une chance inespérée d’organiser la concentration et le financement par l’UE d’industries souveraines en matière militaire et de faire jeu égal avec les compétiteurs américains.

Sans doute faut-il en passer par cette réflexion et cette posture gaillardes mais elles sont de courte vue et de faible fécondité stratégique. On peut sans aucun doute les afficher mais il faut aussi admettre que la fuite en avant dans des sanctions dévastatrices pour tous comme dans un réarmement massif et de longue durée se fondent sur l’évidence très contestable d’une nouvelle guerre froide de longue durée installée au Centre Europe. Cette conjecture est en fait peu probable car les parties ne pourront pas tenir leurs positions radicales au-delà de quelques semaines. C’est plus une posture qu’une stratégie adaptée.

Notre responsabilité européenne est en fait aujourd’hui double ; nous devons :

  • défendre la viabilité et la stabilité de l’Europe de l’Atlantique à l’Oural en faisant une juste place dans la famille européenne à la Russie telle qu’elle est à l’Est de l’Europe, après avoir rendu à l’Ukraine sa nécessaire souveraineté et favorisé son rôle de pont entre Est et Ouest de l’Europe. Pour cela nous devons par exemple convoquer sans tarder une nouvelle Conférence sur la stabilité et la sécurité européenne et la positionner à Strasbourg comme nouvelle capitale de la sécurité européenne.
  • sortir l’Europe institutionnelle et géopolitique de la rivalité entre États-Unis et Chine et de l’option anachronique d’un réarmement militaire généralisé, pour défendre collectivement ses intérêts réels dans tous les secteurs de la compétition scientifique et technique du monde post-covid et de la transformation numérique de l’activité humaine.

Il nous faut reprendre la main sur la destinée de l’Europe pour viabiliser durablement entre Européens continentaux le modèle européen hybride et original de puissance d’équilibre hérité de l’UE, en nous désalignant des puissances maritimes extérieures qui l’ont instrumentalisé. Le réarmement massif de l’Europe occidentale pour isoler l’Europe orientale sous influence russe est une perspective sans doute à évoquer mais c’est aussi une entreprise anachronique de courte vue et de faible probabilité de réussite.

J. Dufourcq

5 thoughts on “La défense de l’Europe à l’heure de l’Ukraine (J. Dufourcq)

  1. Bonjour,

    Merci pour cette analyse éclairante.
    On ne peut que souscrire à l’idée que la Russie, acteur historique de la stabilité européenne doive à terme être réintégrée si l’on souhaite une paix durable sur le continent. Il est aussi clair que le France et tous les autres pays européens doivent penser leur stratégie à l’échelle de l’Europe si l’on veut peser sur la marche du monde et arriver à une autonomie au moins relative vis-à-vis des Etats-Unis.
    Il faut aussi souligner la part de responsabilité occidentale dans la situation actuelle tout en la relativisant car cela ne justifiait en rien cette aventure guerrière.

    Cependant, il semble qu’il convient d’ajouter une dimension irrationnelle à cette analyse qui remet en question une part des conclusions de cet article.
    Nous faisons face à deux puissances (l’une régionale, la Russie et l’autre mondiale, la Chine) dont les régimes (assez différents les uns des autres) ont en commun d’être excessivement autoritaires et constamment à la recherche de justifications artificielles pour légitimer leur pouvoir par nature illégitime. En plus de l’inefficience structurelle de cette posture (cela demande beaucoup d’efforts pour convaincre un peuple de rester captif d’un pouvoir autoritaire), elle identifie le modèle démocratique comme un ennemi à affaiblir à défaut de pouvoir l’abattre.
    Les régimes autoritaires ne sont donc pas mus par des considérations uniquement rationnelles (rapport de puissance, intérêt commercial, technologique, etc.) dans leur stratégie mais aussi par l’objectif d’affaiblir l’occident dans l’unique objectif de légitimer leur pouvoir. Cela en fait, à minima à long terme, des ennemi mortels pour les démocraties.
    Dès lors, la question qui se pose est celle de la perpétuation des relations avec des régimes qui nourrissent l’ambition de nous affaiblir. Cela ne revient il pas à nourrir la bête qui un jour se retournera contre nous, comme le fait le régime Poutinien (en non le peuple russe) et comme le fera nécessairement un jour le régime chinois ? La stratégie mondialiste d’établissement des relations économiques fortes avec ces pays ayant échoué à faire changer leurs régimes, ne faudrait il pas les isoler, renforcer l’interdépendance et la puissance des pays démocratiques alliés quitte à consentir à des sacrifices économiques ?
    Il en résulterait qu’une politique de puissance européenne ne devrait pas s’accommoder de pays hostiles et devrait, en réaction à la politique de déstabilisation de ces pays elle-même chercher à les déstabiliser et promouvoir une alternative démocratique seule capable de préserver sur le long terme les intérêts stratégiques des pays démocratiques. Cela est-il tenable dans un monde constitué de tellement d’interdépendances ? Il se pourrait qu’il le faille pour éviter de se retrouver dans les prochaines décennies face à un bloc de démocratures matures économiquement et militairement pour un affrontement majeur qui risquerait de faire disparaitre les démocraties.

    Pour en revenir à la situation actuelle, il semble prématuré de vouloir engager un processus de réintégration avec cette Russie qui a franchie trop de lignes rouges et dont le régime devra au préalable montrer de nombreux et sincères signes d’inflexion afin de pouvoir être à nouveau considéré comme un interlocuteur crédible avec qui il soit possible de construire un avenir commun. A ce titre Poutine a définitivement perdu sa croisade impérialiste et devra d’une façon ou d’une autre céder le pouvoir pour permettre à son pays de retrouver sa place légitime en Europe.

    Il est de même nécessaire, sans alignement strict avec la stratégie américaine, questionner notre rapport avec la Chine qui est pour l’heure un rapport de dépendance mutuelles mais qui pourrait à terme se retourner contre nous.
    En contraste, il conviendrait de trouver des alternatives systématiques aux dépendances européennes vers d’autres pays alliés qui ne seraient pas dans cette dynamique de délégitimation de l’occident et si cela est impossible tenter de limiter au maximum cette dépendance quitte à réduire l’amélioration notre niveau de vie. Cela pourrait en effet constituer le prix de notre liberté.
    De même le réarmement européen, nécessaire pour crédibiliser une stratégie de dissuasion basée sur le nucléaire français, ne doit pas être vu dans la perspective d’un affrontement avec la Russie mais dans une perspective plus large d’un affrontement potentiel avec les puissances hostiles que sont les puissances non démocratiques.

    Cette présentation rapide et trop peu nuancée constitue certainement une position trop radicale et peu effective lors qu’il s’agit de l’exercice de recherche d’équilibre qu’est la définition d’une stratégie mais il semblerait que l’élaboration d’une stratégie globale européenne passe par un certain nombre de positionnement significativement plus radicaux que ceux actuellement observés.

    1. Merci de cette analyse cohérente et qui s’appuie sur l’idée que la démocratie a l »occidentale est la voie royale tracée vers le progrès,la stabilité et la paix. Une idée qui n’est pas partagée dans la planète du XXI e siècle. Elle n’est pas non plus combattue activement comme vous croyez le discerner par les démocraties qui se développent sur un autre fondement.
      L’altérité stratégique de la Russie ou de la Chine doit elle nous conduire à leur faire barrage? A leur faire la guerre? La démocratie libérale est un modèle qui a bien fonctionné en Europe occidentale et aux États-Unis, pas une religion politique a usage universel, et elle s’use rapidement dans nos pays. Il.nous faut prende en compte le caractère multiple de notre planète ou accepter de conduire une vraie guerre de civilisation. On peut aussi vouloir promouvoir une coexistence durable de nos diversités par la recherche des intérêts communs de nos peuples et le cantonnement consenti de nos certitudes belligenes.
      A suivre
      JD

      1. Merci à vous d’avoir pris le temps de me répondre.
        J’aimerais répondre à vous deux propos.
        Tout d’abord, il est difficile à ce jour de penser que la démocratie (fut elle occidentale) soit nécessairement un gage de stabilité et de paix. La démocratie n’est pas non plus la voie vers plus de richesse, elle est simplement une voie vers plus de liberté et de dignité.
        Cependant je postule qu’un régime démocratique qui fonctionne, est un modèle qui se révèle potentiellement beaucoup plus stable et durable qu’un régime autoritaire. Il est même possible de dire que les démocraties ont un avantage structurel sur les autres régimes tout en évitant des considérations morales (qui ne sont tout de même pas totalement à écarter).
        A cela plusieurs raisons (et sans doute bien d’autres) : les démocraties ne consacrent pas d’énergie à contrôler leur peuple en limitant leur capacité à réfléchir par eux même et à s’exprimer, elles ne traquent pas les opposants, elles ne cherchent pas à identifier d’ennemis de l’intérieur, elles ne cherchent pas à faire perdurer un ordre injuste en s’attaquant aux contre-modèles potentiels. Les démocraties fournissent un cadre général favorisant l’émancipation personnelle et l’entreprise, permettant de mobiliser plus force que dans un système basé sur la contrainte, la présence de contre-pouvoir permet de pérenniser le régime en limitant et contrôlant les pouvoirs. Ces forces sont bien sûr à balancer avec des faiblesses certaines comme la lenteur de processus de décision, ou la vulnérabilité à des récits alternatifs qui cherchent à segmenter l’opinion mais en définitive la balance penche selon moi pour les démocraties.
        A cela nous avons une preuve presque caricaturale lorsque l’on compare les agresseurs russes et les agressés ukrainien. Côté Russe on trouve d’innombrables exemples de perversité d’un régime autocratique, évidemment dans la société civile privée d’information fiable et tout juste bonne à avaler un récit construit de toute pièce, dans l’oppression systématique des voix discordantes, dans la politique économique qui consacre une aristocratie au détriment du reste de la population. On trouve cela aussi au sein même de l’armée divisée en un groupe d’élite correctement équipé et une armée régulière, provenant principalement des couches les plus pauvres de la population, mal équipée, mal formée et tellement mal considérée que beaucoup de ces éléments ne savait pas pourquoi ils étaient mobilisés. En contraste, l’image d’un peuple ukrainien prêt à tout pour défendre son indépendance est tout à fait saisissante et sa capacité à résister face à un ennemi supérieur en nombre et en armement force le respect.
        Vous dites que la démocratie libérale n’est pas une religion politique à usage universel, mais cet ordre libéral, basé sur les droits de l’homme et qui permet le respect de l’opinion et l’expression de chacun est proprement universel. Il a d’ailleurs pu se développer sous toutes les latitudes et dans beaucoup de civilisations. L’occident reste perçu comme leader des démocraties mais il est tout à fait possible qu’un jour la démocratie existe sans l’occident. Etant d’une génération née après la chute du mur de Berlin, je dois dire que je ne partage pas cette vision décadente de la démocratie à l’occidentale. Je porte comme toute génération la culpabilité éternelle du génocide perpétré par les nazis, car la haine est universelle mais pas celle de la colonisation ou d’autres actes impérialistes qui était intrinsèque à un ordre révolu auquel on ne s’identifie plus. Je pense qu’il y existe un destin commun des démocraties qui dans leur majorité s’accordent sur cette vision mais ne sont pas en mesure de l’exprimer clairement car beaucoup de pays doivent ménager leurs relations avec les grandes puissances non démocratiques (prenons l’exemple des dépendances à l’énergie ou au blé russe), ou car il doivent composer avec une opinion manipulée (voyons ici l’impact de la propagande russe sur les opinion africaine concernant la France).
        Il est évident que s’il y a guère de civilisation, c’est bien la Russie qui la mène et si notre ordre démocratique occidental est affaibli, c’est peut-être en premier lieu car des forces extérieures cherchent à exploiter ses faiblesses car elle représente une menace pour leur stabilité.
        Je voudrais en revanche dire que je suis d’accord avec Victor pour dire qu’une approche visant à faire changer un régime de l’extérieur est nécessairement vouée à l’échec comme l’histoire nous l’a souvent montré. Il ne s’agit donc pas d’aller à la guerre mais de réfléchir à nouveau en termes de puissance (ce que les pays européens ont oublié de faire depuis longtemps) et trouver les moyens de se protéger contre ces régimes hostiles afin avant tout de préserver notre modèle. Le mouvement de découplage économique et politique en marche depuis quelques années n’a pas été initiée par l’Europe, mais c’est un fait avec lequel il faudra composer.
        Quand on constate l’axe sino-russe et leur ambition de déstabiliser l’ordre mondial, on constate que la coexistence durable de nos diversités est bien loin … et ce n’est pas le fait de l’Europe récente.

    2. bonjour Maximilien,

      Merci pour votre commentaire. Je vois que la Chine ne vous plaît pas beaucoup . En tant que Chinois, je voudrais dire quelques mots.

      La démocratie est sans doute une voie de bonne gouvernance qui fonctionne très bien en Occident mais malheureusement qui ne réussit qu’en Occident. Si l’on oriente nos regards en Afrique et en Asie du Sud-Est, on peut voir que la majorité des pays locaux sont des pays démocratiques. Pourtant la stabilité et la prospérité ne viennent pas avec la démocratie. De plus, les pays ou régions orientaux, démocratiques et riches dont le Japon, la Corée du Sud, Singapour et Taiwan ont tous connu une période de règne de HOMME FORT. D’abord la dictature, puis une croissance radide et enfin la démocratie.

      Enfin, la Chine qui n’est pas démocratique à vos yeux, ne cherche pas à faire des ennemis avec des pays démocratiques. Elle n’a envhai aucun pays démocratique. Par contre, l’Occident, par sa bonne volonté d’aider la population locale, a fait des révolutions de couleurs et de fleurs dans plusieurs pays. Mais la population en Iraq et en Syrie n’ont pas encore une vie meilleure qu’avant.

      Victor

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