Bilan hebdomadaire n° 87 du 5 mai 2023 (guerre d’Ukraine)

L’Ukraine a subi cette semaine une série de revers militaires dont l’accumulation devient inquiétante.

Source : Poulet volant

Déroulé des opérations militaires

Front sud : Les Russes ont réussi à reprendre le village de Robotyne, qui avait été le point le plus avancé de l’offensive ukrainienne de l’été dernier. Un peu plus à l’est, les pressions persistent contre Urozhaine : les Russes se battent désormais dans les lisières sud du village.

Front de Donetsk. C’est celui de l’effort actuel des Russes.

Au sud, pas de grand changement à Novomykhailivka d’où les Russes menacent Kostantinyivka. Sur la pointe de Marinka, légère avancée aux lisières de Heorhivka. Un peu plus au nord, les Russes avancent lentement dans Krasnohorivka : ils auraient pris le combinat industriel qui commande la ville (non confirmé). Plus au nord, les Russes seraient dans Netailove (à l’ouest de Pervomaiske). En conséquence, les Ukrainiens ne peuvent plus varianter entre le nord et le sud du lac de Vodiana. Le secteur tactique d’Avidivka est séparé du secteur tactique de Kostantinyivka.

Le secteur d’Avdivka a connu le plus de progrès russe. Au sud, légère avancée russe vers l’ouest d’Orlivka. Poussée entamée à l’ouest de Semenivka. Assez forte progression à l’ouest de Berdichi, Soloviove est prise, les Ukrainiens conduisent leur manœuvre rétrograde jusqu’à la ligne d’arrêt sur la rivière Vovotcha.

Mais l’effort se fait sentir plus au nord. Novokalynove et Keramik ont été prises et Arkhanhelske est également tombée. Les Russes sont montés sur la cote 240 et touchent les limites de Novooleksandrivka. De là, ils poussent aussi bien vers le nord que vers l’ouest, le long de la voie ferrée.

Toujours pas de poussée sur le secteur d’Horlivka.

Front de Bakhmout : Après une pause opérationnelle, les Russes ont repris leur poussée. A Chasiv Yar, ils auraient pris la partie au sud-est du bourg où le canal est enterré. Ils sont donc en mesure de pousser soit vers le nord, soit directement vers le centre du bourg.

Dans le secteur de Siversk, rien de notable à signaler

Front de Svatove/Koupiansk. Les Russes ont conquis Kyslivka et Kotlyarivka et ont donc pris pied sur la route P07. Ils peuvent progresser plein ouest vers la rivière Oskil, juste au sud de Koupiansk.

Front de Kharkiv : Rien à signaler

Analyse militaire

Ces trois dernières semaines, les Russes progressaient de 25 km² en rythme hebdomadaire. Ils ont conquis 57 km² cette semaine. Incontestablement le tempo s’accélère, même si je n’ai pas encore l’impression que la grande offensive, dont tout le monde parle, est déclenchée. Quelques soient les cessions ukrainiennes, les Russes me semblent encore façonner le champ de bataille.

La progression s’effectue dans un contexte où le rapport de feu demeure écrasant en faveur des Russes et où les pertes humaines se font sentir désormais chez les Ukrainiens. On a vu cette semaine des images de soldats des FAU fuyant en rase campagne leurs positions, malgré les bombardements, avec évidemment des pertes sensibles (ici).

Pour autant, la variété des poussées russes, qui semblent varier chaque semaine leurs efforts sans logique apparente, indique au contraire la volonté d’attirer successivement l’attention ukrainienne sur des secteurs éloignés les uns des autres, de façon à mobiliser les réserves disponibles. C’est bien pour cela que cela donne l’impression d’un façonnage. Dans la guerre d’attrition russe, il s’agit désormais d’épuiser les réserves tout en frappant les arrières logistiques ennemis : on entend ainsi cette semaine beaucoup d’exemples de voies ferrées ciblées.

Simultanément, observons la constante du dégagement de Donetsk, sur tous les sous-secteurs. L’objectif opératif demeure encore là, celui de repousser les FAU à 20 ou 30 km de la ville. De ce point de vue, le tronçon entre Marinka et Pervomaioske est crucial. Mais sa conquête permettrait aussi de fermer la poche de Vouhledar, épine ukrainienne dans le flanc russe depuis de longs mois ; et de soutenir par le sud les efforts dans ce qui est en train de devenir le saillant d’Ocheretyne.

Ocheretyne devient bien le « moment Popasna » que j’avais évoqué il y a quinze jours (ici). Il y a pile deux ans, les Russes prenaient Popasna, ville au sud de Severodonetsk (voir billet n° 10 ici). Cela leur avait permis de prendre Severodonetsk, Lissitchansk puis d’aborder Bakhmout. Un moment similaire avait eu lieu en décembre 2022, quand les Russes avaient pris Yakovlivka (ici, billet 42), qui leur avait ouvert la route de Soledar puis le siège de Bakhmout. Pour mémoire, les Ukrainiens ont aussi connu leur moment Popasna quand ils ont pris en septembre 2022 le village de Balaklia qui leur a permis de libérer tout le secteur nord de Slaviansk (billet 22, ici).

A chaque fois, la prise d’un village essentiel permet, par le développement d’une « fleur tactique, d’élargir la pression pour conquérir des positions tactiques avantageuses, conduisant par accumulation à un avantage opératif. Ocheretyne me semble du même acabit, mais face à une armée ukrainienne beaucoup plus éprouvée que lors des précédents de Popasna et de Yakovlika.

Les possibilités russes sont cette fois-ci nombreuses. Depuis leur position sur la cote 240, ils peuvent :

  • H1 : pousser plein ouest vers Pokrovsk, château-fort du Donbass sud qui permet aux Ukrainiens d’organiser toute leur logistique du front de Donetsk, tout en appuyant vers le nord Kostiantynivka, verrou arrière de Chasiv Yar et de Kramatorsk (Donbass du centre).
  • H2 : Pousser plein nord soit le long de la ligne de crête jusque Oleksandropil, soit le long de la H20, pour prendre à revers Nyu-Ork et assiéger Kostiantynivka par le sud, forçant ainsi la prise de cette ville et de Chasiv Yar. Hypothèse signalée la semaine dernière.
  • Point commun aux deux hypothèses, couper la H32 qui relie Pokrovsk et Kostiantynivka. Dans les deux cas, il s’agit d’avancer de 20 à 25 km. Cette distance montre que ce n’est pas forcément pour demain même si l’accélération des mouvements permet des surprises.

Observons qu’à Ocheretyne, les Russes disposent de 5 brigades éprouvées qui font face à 3 brigades ukrainiennes, moins nombreuses et moins combattantes. Bref, un rapport de 2 contre 1. Et il n’y a aucune réserve derrière (même si les Russes n’ont pas forcément assez d’unités en arrière de ce saillant pour exploiter).

Mais les Russes peuvent également pousser ailleurs : que ce soit sur le front de Zaporijia, celui de Siversk ou celui de Koupiansk.

Autrement dit, il me paraît peu probable que l’on ait une « offensive manœuvrière » de la part des Russes, même sils vont pousser leur avantage tactique pour le transformer en succès opératif. La prise d’une position sur la H32 suffirait pour cela.

Une grande offensive supposerait des frappes d’artillerie et de missiles plus massives, la mobilisation du corps d’armée en réserve, éventuellement des opérations aéroportées. Avec toujours le mystère soigneusement gardé sur le lieu de cette poussée majeure.

Analyse politique

Devant l’évidence des revers ukrainiens, une sorte de silence s’est établi sur la scène politique. On peut bien sûr évoquer un nouvel entretien du PR Macron qui explique que « si l’Ukraine nous le demande, il faudra y aller ». Parole isolée, il faut bien le constater. On attend désormais l’arrivée des moyens américains sur le terrain pour voir s’ils vont rétablir la situation.

Le signes de négociation s’estompent. La question demeure : qu’est-ce qui peut aujourd’hui pousser les Russes à négocier ? Quels seraient leurs paramètres de négociation ? Le flou persiste.

 

OK

2 thoughts on “Bilan hebdomadaire n° 87 du 5 mai 2023 (guerre d’Ukraine)

  1. On ne peut que partager l' »inquiétude ukrainienne », même s’il était prévisible qu’on l’éprouva et cela ne va pas s’arranger. Cependant, il est sans doute exclu que les Russes lancent la fameuse grande offensive que les tenants du Kremlin (de plus en plus bruyants et nombreux) appellent de leurs voeux.
    Car la démilitarisation de l’Ukraine consiste à détruire la totalité des forces militaires ukrainiennes, humaines et matérielles de manière à assurer un futur qui devra protéger ce qui sera annexé (et qui inclura certainement, au grand dam d’Emmanuel Macron, Kharkov et Odessa). Pour cela, la totalité du territoire ukrainien sera d’abord conquis et réorganisé. Ce qui restera sera-t-il viable ou un démembrement « à la polonaise » sera-t-il nécessaire, Pologne et Hongrie pouvant gérer tout ce qui ne sera pas un glacis neutralisé pour empêcher tout terrorisme résiduel ?
    Une chose est sûre, l’effort matériel et humain mené par la Russie pendant cette guerre ne laissera en aucune manière la place à une ambiguïté du type « accord de Minsk » qui pourrait permettre une revanche quelconque au sentiment national ukrainien.
    Le territoire de la fédération de Russie est en train de s’accroitre au nez et à la barbe d’un droit international caduc dans les faits depuis longtemps et la dissuasion nucléaire russe sera là pour le protéger, cela vient d’être signifié clairement.

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