Bilan hebdomadaire n° 25 du 21 août 2022 (guerre d’Ukraine)

La situation sur le terrain se bloque, quels que soient les enthousiasmes forcés des thuriféraires des deux camps.

Au N, vers Kharkov, les Russes ont essayé de pousser au centre, sans succès. De même, ils auraient essayé de déborder par le S, à travers la rivière Donets, ici aussi sans réussir.

Le front d’Izioum s’est un peu agité, soit à l’E soit au S. On a finalement l’impression que les communiqués des deux camps décrivent en fait un no man’s land qui n’est tenu par aucune partie, ce qui leur permet d’annoncer des positions qui ne sont pas contrôlées.

Au N de Bakhmout, là encore, rien n’a vraiment bougé. Les RU auraient peut-être progressé de quelques dizaines de mètres dans Soledar. Ailleurs, les positions sont fixes. Plus au S, Kodema tient toujours. Zaitseve (celui du sud, près d’Horlivka) avait été annoncée prise. La partie O (sur le revers du coteau et la route 513) semble pourtant encore tenue par les UKR. Les RU auraient en revanche pris le hameau de Dacha, juste au N.

Dans le secteur de Donetsk, Avdiivka tient toujours sans être contourné par le N. Les RU n’arrivent pas à sortir de Spartak. Pisky a bien été pris mais les RU ne réussissent pas à pousser leur avantage vers le N (Opytne et Vodyane) ce qui laisse le temps aux UKR d’organiser leurs nouvelles lignes de défense. Un peu plus au S, à Marinka, là non plus les RU sont bloqués. Je croyais qu’ils tenaient deux tiers de la localité, ils n’en contrôlent au mieux qu’une moitié.

Enfin, encore plus au S, les efforts vers Pavlivka ne débouchent pas.

Du côté de Kherson, les UKR n’avancent pas non plus et au contraire, les RU auraient pris le village de Blagodatne qu’ils cherchaient à prendre depuis au moins trois semaines.

Les UKR poursuivent quant à eux leurs frappes dans la profondeur, que ce soit en territoire RU, en Crimée ou plus proche du front.  Pour spectaculaires que soient ces actions, elles sont trop espacées pour permettre une action offensive conséquente.

Appréciation militaire : disons les choses d’un mot : la situation tactique est bloquée. Les RU n’avancent plus, les UKR n’avancent pas plus. Les causes peuvent être variées tenant soit aux RU, soit aux UKR.

Dans le premier cas, la campagne d’attrition dans la profondeur des stocks et dépôts RU, telle qu’elle est menée depuis 5 ou 6 semaines par les UKR, produit probablement des effets et réduit l’avantage d’appui feu de l’artillerie russe. Or nous avions noté que l’offensive RU ne pouvait progresser avec un RAPFOR réduit (inférieur à 3 pour 1 et probablement entre 1,2 et 1,8 pour 1) que grâce à la supériorité de l’artillerie. Que ce rythme d’artillerie se réduise, à cause de difficulté d’approvisionnement, et le RAPFOR chuterait automatiquement, ce qui expliquerait le blocage actuel. De même, autre hypothèse, nous constatons ici depuis plusieurs semaines une offensive russe multisectorielle, alors qu’ils s’étaient concentrés sur le saillant de Severodonetsk avec succès. L’observateur peine ainsi à suivre les pointes offensives RU (Kharkov, Soledar, Bakhmout, Donetsk voire Kherson) qui se succèdent sans persévérer. Cet activisme brouillon ne permet logiquement pas de percer, surtout si l’artillerie ne suit pas.

D’un autre côté, les UKR ont probablement réussi à s’adapter. D’une part avec les frappes (à distance ou par forces spéciales) des dépôts RU, permettant ainsi un équilibrage du RAPFOR. D’autre part avec l’organisation de défenses dans la profondeur : On voit bien ainsi que chaque percée locale RU est contenue, au prix de sacrifices locaux, le temps d’acheminer des renforts mais aussi d’organiser une défense plus en arrière qui renouvelle le problème pour l’assaillant. Les gains RU sont donc toujours minimaux et ne permettent logiquement pas d’exploiter, comme on le constate depuis cinq semaines.

Ainsi, la période d’été qui devait être logiquement celle des grandes manœuvres se dirige vers un pat tactique. Relativement, c’est un succès pour les UKR dans la mesure où ils ont tenu.

Cependant, cette égalisation du RAPFOR paraît précaire. Les deux parties ont des difficultés visibles de ressources. En matériel, les UKR n’ont pas reçu de nouveaux renforts d’armement de l’Occident et les armes reçues risquent de s’épuiser et de tomber en panne. De même, le taux de perte UKR semble encore très élevé. Si on est loin d’un maximum de 200 morts par j (début de l’été), les pertes quotidiennes se comptent encore par dizaines, selon les indications convergentes. Kiev organise ainsi des campagnes de recrutement insistantes.

Mais l’Ukraine est en guerre totale et existentielle. Ce n’est pas le cas pour la Russie pour laquelle la guerre reste un conflit de voisinage et de puissance. Si donc les réserves potentielles sont plus nombreuses, elles ne sont pas mobilisables. Les RU ont donc eux-aussi des difficultés d’effectifs. Quant à leur armement, s’ils ont les moyens de fabriquer ce dont ils ont besoin, cela prend du temps et nécessite des moyens logistiques qui sont fragilisés.

Ainsi, on ne voit en aucune façon Kiev mener une contre-offensive d’ampleur (qui signifierait une RAPFOR de 2 contre 1 à son avantage, ce qui paraît inenvisageable). Déjà, maintenir le RAPFOR au plus proche de la parité constitue une grosse ambition.

Quant aux RU, ils avaient l’initiative mais ils l’ont perdue, faute d’avoir pu appliquer localement un meilleur RAPFOR ou d’avoir innové par des tactiques différentes. On s’achemine donc vers un figement des positions actuelles, à quelques centaines de mètres près.

Appréciation politique : quelques mouvements diplomatiques se sont déroulés cette semaine : venue en Ukraine de R. Erdogan et du SG de l’ONU, M. Guteres ; conversation téléphonique entre V. Poutine et E. Macron. Les conversations ont principalement porté sur la centrale nucléaire de Zaporija. Celle-ci est tenue par les RU qui y ont probablement stationné unités et matériels. Des bombes tombent régulièrement dessus et les deux parties s’accusent mutuellement d’en être à l’origine.

La peur d’un nouveau Tchernobyl agite les esprits (même s’il paraît peu probable) et motive les échanges diplomatiques en cours. Comme pour le blé, voici un « sujet » non directement militaire qui est sur la table de conversations indirectes entre les deux pays. Ce n’est pas tout à fait anodin même si l’on peut douter des mesures qui sont prises : il est intéressant de voir qu’il y a dorénavant des sujets autour desquels les ennemis discutent. Ces pas microscopiques sont utiles et s’ils n’annoncent pas forcément une grande négociation, au moins permettent-ils de l’envisager à terme, maintenant que chacun peut comprendre qu’il n’y aura pas de solution décisive sur le terrain.

Ce très maigre optimisme conclut cette enfilade : bonne semaine.

OK

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