L’Initiative Européenne d’Intervention (E. Dell Aria)

Le GBR (2S) Dell Aria est un praticien des relations internationales militaires. Après avoir quitté l’activité, il a été longtemps le correspondant de l’IHEDN à Bruxelles. Ce texte n’engage que lui. Nous l’en remercions. JDOK

L’Initiative Européenne d’Intervention (IEI) s’est invitée dans l’actualité à la faveur de la séquence d’itinérance mémorielle de la semaine du 11 novembre, en même temps que la toujours très polémique proposition d’armée européenne. Écoutant les commentaires des uns et les autres, dont nombre de journalistes et d’experts s’étant exprimé sur ces questions ces derniers jours, j’en retiens pour ma part que la manière dont on présente les choses ne peut que générer une grande confusion dans l’esprit de nos concitoyens, et plus largement des citoyens européens.

Source

  1. L’IEI (L’Initiative Européenne d’Intervention)

On comprend bien l’idée à l’origine de sa promotion par le Président de la République ; elle peut être une bonne chose si elle permet d’inciter ses signataires à un engagement effectif sur le terrain, alors que la PSDC s’en tient encore au subtil distinguo à l’anglo-saxonne entre missions « exécutives » et « non exécutives ». Par ailleurs les atermoiements européens au début des crises de 2013 au Mali et en RCA sont encore dans les mémoires, ayant conduit la France à se retrouver très vite très seule avec respectivement ses opérations Serval et Sangaris montées dans l’urgence.

S’agissant des participants, on remarque la présence de presque tous les membres-fondateurs à l’exception notable de l’Italie ; il est toutefois positif de voir à bord le Royaume-Uni dont on connait les capacités à s’engager comme la France, « vite, fort et loin », le Danemark (dont l’attitude reste malaisée à comprendre dans son refus permanent d’adhérer à une PSDC somme toute « soft » et dans le même temps son engagement dans un processus a priori plus exigeant et opératoire), ainsi que deux pays du Nord dont, symboliquement une République de l’ex-URSS et cet État-membre particulier  partenaire du PPP-OTAN qu’est la Finlande. Cette composition reflète toutefois encore une diversité géographique du Nord au Sud, susceptible de traduire le moment venu une disparité d’intérêts.

L’engagement de ces États dans un « partage d’analyse sécuritaire » et « l’identification de points de convergence dans quatre domaines (anticipation stratégique, scénarios d’engagement, soutien aux opérations et retour d’expérience/doctrine) » n’auront de pertinence que si au déclenchement d’une opération, chacun contribue sérieusement et prestement. Or, au-delà des déclarations d’intentions et selon le lieu de la crise, les postures risquent fort de traduire la divergence d’intérêts évoquée plus haut. Les modalités de mise en œuvre (juridiques, financières, etc…) seront-elles alors dans l’IEI plus incitatives que pour ces pauvres Battle Groups encore jamais engagés depuis leur création ? C’est toute la question, car même si « l’unanimité ne doit pas être la règle », la probabilité est grande, une fois de plus, de voir à nouveau les mêmes se retrouver un peu seuls en première ligne.

Enfin il convient de noter que l’IEI présente un inconvénient majeur en termes d’image, ce nouvel instrument se développant hors de la PSDC dont l’objectif est théoriquement la protection des citoyens de l’Union, et alors que tous les États alimentent les diverses initiatives/structures auxquelles ils adhèrent à partir d’un seul réservoir de forces et de moyens (« a single set of forces »). C’est sur cette ambiguïté qu’il va s’agir de communiquer en trouvant de bons arguments, comme le CEMAT le faisait récemment remarquer. La sacro-sainte volonté politique sera comme toujours la pierre d’angle.

  1. L’armée européenne

Si le sujet peut être connecté au précédent, il s’agit d’un dossier différent. L’impression que l’on en retire, notamment avec la réflexion de la chancelière allemande « (Une armée (européenne) montrerait au monde qu’entre (nous) il n’y aurait plus de guerre)) », est que l’on nage dans un océan de bons sentiments où l’on croise les utopies de paix perpétuelle présentées par l’Abbé de Saint-Pierre, Jean-Jacques Rousseau ou Emmanuel Kant. De plus, l’association de ces deux termes a par le passé régulièrement provoqué polémiques et ruades, souvent du fait des Britanniques certes bientôt hors de l’Union et « récupérés » dans l’IEI, mais qui pourraient bien être relayés par d’autres avançant jusque-là masqués.

Nicolas Gros-Verheyde dans l’un des derniers billets de B2 pose de bonnes questions au plan politique comme de l’exécution, qui d’ailleurs en appellent d’autres. « L’armée européenne » serait-elle une armée de défense du périmètre de l’Union (ou de l’Europe géographique – et dans ce cas avec quelles frontières ? -) ou de « projection » ? Participerait-elle indifféremment aux opérations de l’UE, de l’OTAN, de l’ONU, de coalitions ? Dans l’esprit de ses promoteurs, a-t-elle vocation à remplacer les armées nationales ou à venir en complément ? Serait-elle une force dite « d’entrée en premier » ou de 2ème échelon ? Combien d’États-membres participants ? Quel type de « commandeur » ?, etc…

Il est clair qu’une telle force à 27 ou 28 est d’emblée vouée à l’échec pour les raisons que chacun imagine, tant politiques que pratiques. Sur ce dernier volet, la « mixité » devrait de toute manière nécessairement s’arrêter à un niveau supérieur au bataillon ; nous avons l’expérience de la Brigade franco-allemande où les unités du niveau régimentaire sont demeurées nationales, à l’exception du seul bataillon de commandement et de soutien (BCS), et où malgré cela, les choses ne sont pas toujours simples en dépit de la bonne volonté des uns et des autres et d’une machinerie maintenant bien huilée depuis 1990. Et encore, ne sommes-nous là que dans un cadre binational….

Enfin, un paramètre non mesurable et potentiellement irrationnel mérite tout de même que l’on s’y arrête, si cette armée européenne devait remplacer les armées nationales, comme le préconise notamment le député européen et ancien Premier Ministre belge Guy Verhofstadt : les Européens – militaires de métier comme citoyens mobilisables en cas d’extrême péril – seraient-ils disposés à donner leur vie pour le drapeau européen autant que pour leur emblème national ? N’évacuons pas en effet trop vite les traditions des États et de leurs armées nationales, alors qu’il n’y a pas si longtemps encore, la règlementation de certains États-membres disposait que leurs blessés ne pouvaient être traités que par des médecins de leur nationalité d’appartenance.

Mais dans le même temps, la proposition française est tout à fait pertinente particulièrement dans le contexte stratégique du moment, le leadership étatsunien étant ce qu’il est et nos intérêts ne coïncidant plus nécessairement. Ce n’est d’ailleurs pas seulement la politique de l’administration actuelle qui est en cause : venant de refermer le livre du Général Bachelet, ancien commandant du secteur UNPROFOR de Sarajevo de septembre à décembre 1995,  (« Sarajevo 1995: mission impossible »), j’étais loin de me douter, débarquant à Mostar dans l’IFOR en août 1996, des difficultés  rencontrées quelques mois plus tôt avec l’administration américaine du Président – démocrate – Clinton, et en l’espèce avec Richard Holbrooke qui s’avère ne nous avoir guère facilité la tâche vis-à-vis de la partie bosniaque. Pour l’heure, on en viendrait donc parfois à penser que nous avons la chance, dans tous nos malheurs, d’avoir aux affaires en Russie et en Chine des personnages tels que Wladimir Poutine ou Xi Jing Ping, qui, eux, sont rationnels (dans leur mode de pensée), prévisibles et savent garder la tête froide.

Il ne saurait être question, en ces temps troublés, de quitter l’OTAN comme certains le prônent, alors que rien de sérieux ne peut encore venir la suppléer. Mais dans le même temps, le moment ne serait-il pas venu de tout remettre plat avec la Russie, sans pour autant abdiquer quoique ce soit des valeurs qui sont nôtres ? A force de la désigner systématiquement et partout comme l’Adversaire absolu (à l’OTAN et ailleurs), alors que nous avons clairement des intérêts communs pour la défense de notre continent, ne risque-t-on pas de la pousser encore davantage à la faute ? Mais n’est-ce pas au fond, ce que certains souhaiteraient ? Ce serait en tous les cas une grande faute que de la « corneriser » (certains, Outre-Atlantique, ne vont-ils pas jusqu’à demander aussi l’exclusion de certains entrepreneurs russes de la réunion « informelle » de Davos ?). A-t-on oublié, là encore, les leçons de l’Histoire avec les clauses punitives de 1919 vis-à-vis de l’Allemagne de l’époque et ce que cela a eu pour conséquences ? Certes la Russie n’est pas une démocratie selon les critères de l’Union européenne, mais son histoire et sa géographie ne sont pas non plus les mêmes et tous nos schémas d’ici n’y sont pas transposables. Par ailleurs s’il ne fallait négocier qu’avec des États qui nous ressemblent, sans doute ne discuterions-nous à cette heure avec plus grand monde…

Eric Dell’Aria

One thought on “L’Initiative Européenne d’Intervention (E. Dell Aria)

  1. Je salue un débat approfondi en la matière qui est à la fois compliquée et sensible. Malheureusement, ce débat n’a pas vraiment lieu, même si le président Macron et la chancelière Merkel en parlent, sans trop rentrer dans les détails. Je me suis exprimé à ce sujet, le 27 novembre, dans « Boulevard Exterieur » – et sur une « autonomie stratégique européenne » le 21 janvier. Il serait temps que le débat avance et gagne en substance. Detlef Puhl

Laisser un commentaire