Désordre de résonance (Le Cadet n° 55)

Puisque nous serions revenus dans les années trente, relisons ce que Paul Valéry y prophétisait : « Toute politique jusqu’ici spéculait sur l’isolement des évènements. L’histoire était faite d’évènements qui se pouvaient localiser. […] Ce temps touche à sa fin. Toute action désormais fait retentir une quantité d’intérêts imprévus de toutes parts, elle engendre un train d’évènements immédiats, un désordre de résonance dans une enceinte fermée ». Nous ne répèterons pas ici qu’une stratégie relocalise les champs de pensée et d’action, qu’il faut penser local pour agir global et non l’inverse : pour notre malheur, les zélites passées par la matrice de Sciences-Po ratent exactement le contraire.

Paul Valéry – Tais-toi (1939) | BEAUTY WILL SAVE THE WORLD source (Paul Valéry)

Prenons le Service National Universel. L’idée est de ramener les gamins des quartiers dans le droit chemin. En attendant, on exige des enseignants agressés ou menacés qu’ils ne fassent pas de vague. Mais qui croit que l’armée va réussir là où parents, professeurs, avocats et juges échouent ? Depuis combien de temps nos zélites n’ont-elles pas joué à la petite souris dans une salle de classe ou une chambre correctionnelle ? Que va-t-on apprendre aux bandes qui se massacrent qu’elles n’aient pas déjà rejeté, abreuvées de séries américaines et de préceptes soi-disant révélés ? Certainement pas à marcher au pas, vu qu’on ne veut plus de défilé militaire le jour de nos victoires. Surtout, au nom de quoi une République qui privatisa une plage publique et mit en congé une CRS pour satisfaire aux caprices d’un roitelet du pétrole, va-t-elle leur enseigner l’égalité des droits de 1789 ? Comment parler de liberté quand on se prend en selfie avec ces mêmes autocrates bouchers de journalistes, ou de fraternité quand récemment on se vantait encore de l’excellence du matériel tricolore au Yémen ? Dans les années trente les démocraties ne se sont certes pas bougées pour l’Éthiopie ou l’Espagne, mais elles ne se vantaient pas d’armer le Duce ou le Caudillo.

Comment une troisième génération, qui s’approprie un soi-disant traumatisme familial et croit venger l’humiliation des grands-pères, ne triompherait-elle pas de voir l’ancien colonisateur se prostituer pour vendre une frégate ou un char ? Par quel désordre de « raisonnance » ne réalise-t-on pas que ces accommodements raisonnables sapent tous les efforts pour ramener des territoires perdus à trois stations de RER de Notre-Dame ? Et puis allez expliquer à un petit-fils de résistant FLN qu’il n’est comptable ni de la Bataille d’Alger ni de la Bleuite, alors que nos psychanalystes dissertent sur la dette transmise par les parents !

Comme écrivait également Valéry :  » Qui veut faire de grandes choses doit penser profondément aux détails« . Voilà un savoir qui semble perdu.

Le Cadet

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