Hommage à Pierre Lacoste

Ce matin aux Invalides on célébrait la mémoire de Pierre Lacoste, cet amiral hors du commun qui s’est éteint le 13 janvier à la veille de ses 96 ans. Cet homme affable et souriant, ce patriote passionné, ce chef écouté et ce chercheur engagé au service de la sécurité de son pays fut pour les stratégistes un ancien accueillant, un conseiller attentif et un guide à l’écoute.

A La Vigie, on l’a bien connu et fréquenté assidument. Comme Pierre Hassner (LV 96), cet autre géant de la géostratégie, disparu en mai 2018, il fut pour ses fondateurs un interlocuteur bienveillant et un doyen encourageant. Tous deux savaient questionner, écouter, orienter pour stimuler les penseurs naissants, tous deux montraient une grande curiosité intellectuelle et faisaient le plus grand cas de l’expérience militaire et de la dynamique opérationnelle. Nous leur devrons beaucoup ; nous avons été heureux d’être stimulés par leurs réflexions et leurs convictions, d’être encouragés à persévérer dans le défrichage de la voie du stratégiste et poussés dans nos retranchements de chercheur militaire. Nous en sommes orphelins.

De Pierre Lacoste à la trajectoire si révélatrice des aléas stratégiques du siècle, on retiendra le patriotisme sans faille, la distance avec la politique, la curiosité en constant éveil, l’aptitude aux sciences et techniques et l’agilité intellectuelle. Mais on n’oubliera pas qu’il fut un combattant dès son entrée dans la marine et un homme d’action qui navigua inlassablement (avec un parcours naval au plus haut niveau : 4 commandements à la mer, l’ESGN, l’Escadre de la Méditerranée). On sera marqué par son parcours d’excellence dans ce qu’on appelle aujourd’hui l’interarmées (le CPE, le CHEM) qui le fit distinguer pour les plus hauts postes politico-militaires (Brienne, Matignon) y compris à la tête des services d’action extérieure (DGSE). Il y assuma bien seul sa part de la raison d’État lors de l’affaire Rainbow Warrior. Sa force d’âme bien connue de ses proches et de ses équipages sera son bouclier et fera de lui un « Seigneur ».

Après cet engagement sans faille et sans repos sous l’uniforme, Pierre Lacoste va commencer une nouvelle vie plus académique où va exceller sa passion d’explorer, d’exposer, de débattre et de convaincre. Va se révéler sa nature profonde de stratégiste, au contact des réalités de la défense dans un monde qui change, moins conceptuel sans doute que les généraux de l’Apocalypse qu’il a côtoyés (Ailleret, Beaufre, Poirier, Gallois…), plus pragmatique et opérationnel comme son goût de l’action l’y porte. Ce sera la FEDN (1986), le séminaire de renseignement de Marne la Vallée, puis le CIDAN (1999). Infatigable, Pierre Lacoste va ouvrir la voie académique au Renseignement, à la guerre économique, à l’étude de la désinformation, des mafias et à l’analyse stratégique. A la RDN, comme à l’Académie de Marine qu’il a fréquentée assidument, on a pu suivre ses divers plaidoyers, notamment pour une ambition maritime de la France et pour sa relance stratégique.

De tout temps, à son contact, on aura perçu l’homme privé, généreux et humaniste, époux attentionné et père attentif, patriarche d’une grande famille, interlocuteur avisé et fidèle d’une multitude d’acteurs des différents cercles de pouvoir du monde qui le consultaient régulièrement. Cet homme très complet, aux talents multiples, à la bonne humeur inaltérable et au charisme rare, ce chef admiré et aimé, à l’autorité incontestée et à l’énergie indomptable a terminé sa belle mission patriotique d’officier soucieux de son pays et de l’avenir. Il laisse un sillage fécond et cette belle image de militaire ardent et d’honnête homme du XXe siècle.

JOCV