Bilan hebdomadaire n° 22 du 31 juillet 2022 (guerre d’Ukraine)

Si les lignes de front ont peu bougé, l’observateur a le sentiment que des deux côtés, les grandes manœuvres ont commencé. Bien malin celui qui sait qui prendra l’avantage.

Au Nord, peu de mouvement notamment à Kharkov où les deux parties s’accommodent d’un certain statu quo, à base d’échanges d’artillerie et de coups de sonde ici ou là qui permettent des communiqués de victoire aussi triomphants que temporaires et vains.

Vers le secteur Izioum-Slaviansk, on constate là aussi un certain gel des opérations. Les UKR se féliciteraient d’avoir repris quelques positions au NE, certains mentionnant Pasika ce qui semble très étonnant. Mais il est sûr que les RU ne poussent pas dans la zone.

C’est bien évidemment sur la ligne Siversk Bakhmout que les choses sont les plus intéressantes. Pour faire simple : les RU ne pousseraient plus au N vers Siversk, se contentant des hauteurs (Hihorivka – Ivan-Daridka) mais n’avançant plus. Ils auraient pris Berestove qui était disputé depuis des semaines. Yakovlivka est toujours disputée. Ils resteraient aux faubourgs de Soledar, atteints la semaine dernière mais sans progression notable depuis. La prise de Berestove pourrait relancer l’action contre Soledar.

Au sud de Bakhmout, la prise de la centrale de Luganske a logiquement entraîné une reconfiguration du dispositif, seul endroit où les RU ont nettement progressé depuis longtemps. Semyrhija aurait été prise, les combats pour Kodema et Vershyna seraient en cours. Le repli UKR aurait permis aux RU de pousser directement contre Vesela Dolyna, quasi-faubourg de Bakhmout.

Ainsi, aussi bien à Soledar qu’à Bakhmouth, les RU seraient arrivés sur l’arête des coteaux qui dominent le thalweg. Cela leur permettrait de tirer à vue directe sur leurs objectifs. Cette nouvelle situation est évidemment une mauvaise nouvelle pour Kiev, qui perd tout d’abord une centrale électrique qui lui assurait une grande part de son électricité. La chose est importante dans la guerre logistique et économique des deux pays. Aussi, logiquement, Kiev commence à ordonner l’évacuation des populations civiles de Slaviansk et de Kramatorsk, régulièrement bombardées par les RU.

Il est probable que les RU vont tenter de pousser au sud pour descendre dans la vallée et prendre le contrôle de la route T 513, afin de pousser par le sud tout en coupant les arrières du front UKR face à Horlivka, à hauteur de Saitseve.

Mais c’est un peu plus au sud, vers Donetsk, que les choses semblent bouger, suite à une augmentation de la pression russe, dans deux directions : au N de la ville, en tentant de contourner le point fort UKR d’Avdiivka par Kamianka et Krasnohorivka ; Et au centre en attaquant directement le village de Piski, à l’O de Donetsk. Cette opération, si elle se confirmait, reste difficile à interpréter. En effet, les RU semblent particulièrement économes de leurs troupes et le sud du Donbass est resté calme depuis des semaines. Dans le même temps, cette partie du front a été particulièrement fortifiée par les UKR depuis 2014. Il est curieux de voir les RU attaquer un des points forts de l’ennemi et non une de ses zones fragiles. Ce point reste donc à surveiller.

Dans le secteur de Kherson, malgré le peu de nouvelles, on perçoit la manœuvre des UKR. Eux aussi ont appris à économiser leurs forces, à l‘instar de leurs adversaires et ils semblent plus précautionneux. On assiste ainsi à une volonté de fractionner le dispositif RU. Pour cela, les UKR ont tenté de couper les points de franchissements sur le Dniepr : un pont routier, un pont ferroviaire, un barrage. Les deux premiers sont abimés, pas le troisième. Cela entrave logiquement le soutien RU. Ces derniers ont logiquement déployé des ponts flottants pour assurer la liaison. Simultanément, les UKR ont cherché à couper le nord de la poche du sud, en prenant appui sur la rivière Inuhlets qui à un moment traverse le dispositif russe. Ceci explique qu’ils soient revenus à Davydi Brid, qu’ils avaient déjà pris il y a quelques semaines et dont ils s’étaient fait chasser : mais la zone est visiblement favorable au franchissement de la rivière. Plus au N, ils préparent quelques actions sur la ligne RU installée face à Kryvi Rig. Une stratégie de boites d’attaque !

L’ensemble participe plus de la préparation opérative que d’une véritable contre-offensive, telle qu’on se la représente habituellement. Il est vrai que le terrain ne s’y prête pas et que les forces UKR ne semblent pas avoir les capacités de manœuvre de grandes unités. Surtout, RU comme UKR l’ont appris, les moyens modernes d’observation (drones plus satellites) ne permettent plus l’emploi de masses de blindés précipitant une rupture de front. Aussi la manœuvre prudente des UKR parie-t-elle sur le temps. On se reportera au billet de l’excellent Michel Goya sur le sujet qui reste pessimiste quant au succès de ladite grande offensive. https://lavoiedelepee.blogspot.com/2022/07/le-front-de-kherson.html

Appréciation militaire : Cette semaine a vu plusieurs mouvements des uns et des autres. Les UKR insistent sur l’encagement de la poche de Kherson, espérant user dans la durée le dispositif RU. Les RU ont poursuivi quant à eux leur pression dans le N Donbass, prenant avantage de la saisie de la centrale de Luganske. Les UKR ont peut-être pris l’initiative du côté d’Izioum, les RU du côté de Donetsk : il faudra observer dans la durée la pérennité de ces offensives locales.

Il semble malgré tout que les RU commencent à souffrir des frappes UKR sur leurs dépôts logistiques : on observe ainsi moins de concentration d’artillerie, moins de puissance de feu, moins également d’activité aérienne. Les progrès sont minimes. D’ici la fin du mois d’août, les RU peuvent espérer prendre la ligne Siversk – Bakhmouth : c’est peu. Les UKR peuvent espérer conserver le combinat Slaviansk Kramatorsk, ce qui serait considéré comme une victoire. Il faut enfin observer ce qui se passe dans les autres secteurs : Donetsk et Kherson retiennent ici l’attention, même s’il est peu probable de voir une percée significative dans aucune de ces deux zones.

Ainsi, cette guerre d’usure se poursuit. Alors qu’on sentait une certaine érosion UKR, on sent depuis la réduction du saillant de Severodonetsk une érosion russe. Le temps dira si ces tendances se confirment.

Appréciation politique : La Russie a augmenté la pression sur l’Allemagne en réduisant encore, sous un prétexte futile, le transfert de gaz vers ce pays. Cela entraîne à l’évidence des conséquences économiques importantes.

Aussi n’est-il pas surprenant d’entendre un homme politique allemand évoquer l’ouverture de Nordstream 2, tandis que l’autorité nucléaire annonce qu’elle peut rouvrir jusqu’à six centrales nucléaires. La pression est énorme sur le géant économique du continent et indirectement sur ses partenaires européens qui dépendent tous, peu ou prou, de la locomotive industrielle allemande. Cette pression économique reste déterminante et sera au cœur des préoccupations à la rentrée.

A dimanche.

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