L’action déterminée du colonel Goïta : plus Sankara que Poutine

Voici la première tribune de notre dossier Mali (voir ici).

Un profil prétorien affirmé

Le nouveau président par intérim du Mali, le colonel Assimi Goïta, surnommé « Asso » par ses proches, a 38 ans, est marié et père de trois enfants.

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Il est décrit comme un homme « rigoureux, tenace, adepte des défis et apte au commandement ». Selon les militaires français qui l’ont côtoyé et le décrivent en des termes analogues, c’est « un homme droit, un pro qui ne laisse rien passer, déterminé et peu disert ». Fils d’un officier de l’armée de Terre, il fréquente le prytanée militaire de Kati et le lycée de la Défense nationale.

Passé par l’école militaire de Koulikouro, spécialité armes blindées et cavalerie, il est affecté dans le nord du Mali à partir de 2002 : à Gao, Kidal, Ménaka, Tessalit et Tombouctou, il lutte notamment contre les groupes terroristes qui sont opportunément repoussés à la périphérie de l’Algérie par l’ANP algérienne. En 2014 il rejoint les forces spéciales où il coordonne les opérations spéciales des forces armées maliennes, les FAMAS. En 2018, nommé à la tête des Forces spéciales, il gagne le respect de ses hommes et de l’état-major pour ses capacités de commandement et sa vision de la lutte contre les groupes armés terroristes, qui s’enracinent par le biais d’alliances et d’intérêts commerciaux.

Un défi aux groupes armés terroristes et à la communauté internationale

Le 24 août 2020, il sort de sa discrétion pour poser un acte politique fondamental en participant activement avec ses proches à un putsch militaire et à la déposition pacifique du président IBK, après plusieurs semaines de manifestations publiques. Il est adopté par le Comité national pour le salut patriotique (CNSP) qui fait de lui le proconsul du Mali, chef de l’État de facto, un rôle auquel il n’est pas préparé. On ignore alors le projet qu’il souhaite mettre en œuvre, pour permettre à son pays de retrouver sa souveraineté, sa stabilité et entreprendre son développement. Très vite, le nouvel homme fort du pays mesure les multiples difficultés de sa charge et se heurte aux instances régionales, CEDEAO et UA, et à la condamnation de son « coup d’état » par la France, des interlocuteurs pointilleux dont ses fonctions opérationnelles le préservaient jusque-là !

Sous pression internationale, une structure de transition politique s’installe vite en septembre 2020 dont il devient le vice-président mais garde de facto une influence prépondérante sur le CNSP. Une stricte charte de la Transition définit les règles du jeu politique avec le PR Bah N’Daw (un général en retraite) et le PM Moctar Ouane placés à la tête de l’État pour conduire civilement le pays aux élections générales en février 2022. Le 24 mai 2021 pourtant, Assimi Goïta sort à nouveau de l’ombre et les dépose.  Depuis lors, il assume officiellement à nouveau la réalité du pouvoir comme chef de l’Etat malien. C’est l’annonce sans concertation par le PM d’un  remaniement du gouvernement excluant certains hiérarques militaires et la volonté du PR d’assumer la totalité de ses prérogatives qui déclenchent la vive réaction des putschistes après un imbroglio qui se déroule en partie à Paris. Le PR est contraint à la démission ainsi que son PM. S’ensuit une série d’embardées politico-diplomatiques qui vont conduire à la condamnation par la CEDEAO, à l’isolement du CNSP et la fin de la mission Barkhane décrétée par le président Macron. Les événements s’emballent, les appétits s’aiguisent et Assimi Goïta fidèle à sa réputation de placidité déroule son plan.

Toutefois les questions se bousculent : les FAMAS pourront-elles faire face aux entreprises criminelles et terroristes ? La junte saura-t-elle convaincre les Maliens d’un sursaut collectif pour chasser les intrus et de la nécessité d’une coopération régionale étendue pour stabiliser la région sahélienne ? D’autres acteurs seront-ils sollicités ? Le CNSP tiendra-t-il le calendrier annoncé avec des élections fin février 2022 ?

Un engagement malien et africain sans concession

Les bouleversements qui se succèdent au Mali, ce pays pivot de la sécurité du Sahel, conduisent le parrain tutélaire de l’Afrique à revoir sa pratique politique habituelle et sa diplomatie. En plus des pressions jihadistes déjà importées par l’EI, de nouveaux acteurs extérieurs (Russie, Turquie) aux comportements affairistes pointent dans la zone d’influence habituelle de la France.  Ils lui imposent un renouvellement de sa relation à l’Afrique pour tenir compte des demandes des peuples africains et des nouveaux rapports de force internationaux.

Assimi Goïta est un admirateur de l’ancien président burkinabé, Thomas Sankara et du ghanéen Jerry Rawlings et il a rencontré ce dernier récemment afin de s’assurer que ses idées sont conformes aux attentes de la nouvelle génération d’Africains. C’est sans doute d’abord un nationaliste qui veut redonner en priorité à ses compatriotes les clés de son avenir, c’est-à-dire la sécurité, un domaine dont il était directement acteur et que les forces extérieures, et notamment Barkhane, avec leurs multiples biais tardaient à lui procurer. Il a donc pris la main de façon déterminée.

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Jusqu’ici le tout nouveau président de la Transition s’est montré plutôt habile et humble : recherchant des soutiens internes notamment lorsqu’il tend la main à l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM), il y a la volonté de rassembler le Mali autour de sa personne avant de dérouler son projet. Dans ce contexte heurté et incertain, Assimi Goïta va devoir impérativement rétablir la confiance avec tous ses compatriotes, avant de tenter de dissiper la défiance des partenaires traditionnels et des voisins du Mali. Au-delà de ses aspects opérationnels et de ses imprudences politiques, le coup d’état du colonel Goïta a nettement refroidi les relations avec la France et l’Europe.

LV et KA

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