Don gratuit (Le Cadet n° 60)

Au lendemain de la Guerre de Sept ans, qui avait vu la perte de quatre-vingt-treize navires portant 3880 canons, Choiseul eut l’idée de faire appel à des financements privés sans avoir à augmenter un budget déjà déficitaire. Fut donc initié le Don des vaisseaux où provinces, villes et corps constitués offrirent au roi dix-sept vaisseaux de ligne et une frégate, soit une année de dépenses. L’appel aux dons fut renouvelé au lendemain de la Guerre en Amérique, puis sous la Convention et sous l’Empire. Les charpentiers savent les similitudes entre une coque de navire et un toit de cathédrale : voilà sans doute pourquoi, après l’idée d’un Loto né aussi sous Choiseul, l’Etat fait appel aux souscriptions pour rebâtir Notre-Dame et le patrimoine architectural. On peut accoler à l’idée l’adjectif de « participatif », tout ceci fleure tout de même l’Ancien régime.

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Le bal des généreux fortunés n’a pas attendu que les flammes de la cathédrale soient éteintes : question de bosse, de celle de Notre-Dame à celle de la rue Quincampoix.

Le propriétaire du Groupe Kering a immédiatement apporté son obole de 100 millions, sa charmante épouse ayant sans doute pour la cathédrale les yeux d’Esméralda. Son alter-ego dans le classement Forbes, pour ne pas être en reste, a promis 200 millions. Total a renchéri de 100 millions, Bouygues offre ses services, le CAC 40 se sent pousser des ailes de philanthrope. Tout ceci ne risque-t-il pas d’avoir une contrepartie ?

Quand le Cheikh Khalifa bin Zayed al Nahyan a mis 10 millions pour la restauration du théâtre du château de Fontainebleau, il a exigé qu’il soit débaptisé. Et on peut penser que l’émir Hamad bin Abdullah Al Thani, qui a fait don de 20 millions d’euros à l’Hôtel de la Marine, se verrait bien avec une plaque Place de la Concorde. A quand une cathédrale Saint-Gobain, une Tour ArcelorMittal ou un hôpital Pernod-Ricard ? On me dira que c’est le cas aux États-Unis, ce grand pays du troisième millénaire.

Alors pourquoi notre Royale n’en profiterait-elle pas, qui réclame à Bercy ses dix-huit frégates de premier rang et ses deux nouveaux porte-avions ? Après tout, les généreux contributeurs des Lumières avaient des navires à leur nom, on connaît les Etats-de-Bourgogne, le Ville-de-Paris ou le Commerce-de-Marseille. Nos FREMM troqueraient ainsi leurs noms de provinces contre ceux plus discrets d’Anaïs (pour Bolloré) ou Léonard (pour Vinci).

Il y aurait bien une solution : rétablir l’impôt sur ces mécènes et rééquilibrer le budget. Nos rois savaient à intervalles réguliers taxer l’Église qui ne payait rien, on appelait ça le don gratuit.

Mais au royaume des Shadoks qu’est devenue la France, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué …?

Le Cadet (n° 60)

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