Iran, les trois erreurs du président Trump (Th. Flichy)

Thomas Flichy de La Neuville, chercheur associé de La Vigie et Professeur à l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr. Auteur de La culture persane de la négociation, nous envoie ce texte peritnent qui explique beaucoup des incompréhensions actuelles entre les Etats-Unis et l’Iran. Merci à lui. JDOK

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Contrairement au président Obama dont les vœux à l’occasion de Nowruz, étaient soigneusement préparés par des Américains d’origine iranienne, les déclarations contradictoires de Donald Trump bloquent toute négociation avec l’Iran. Trois principales raisons peuvent être invoquées ici.

La première erreur tient au rythme imposé

 Enfermer la négociation dans des délais très stricts va à rebours d’une culture persane au sein de laquelle la lenteur est associée à la majesté. Au lieu de brandir une menace assortie d’un délai, il est préférable de montrer à son interlocuteur que l’on dispose de tout son temps. En Iran, l’inertie résulte d’une pluralité de facteurs où la répugnance pour la précipitation et le calcul font peut-être jeu égal. La lenteur incarne la noblesse d’une administration plurimillénaire, la force inexorable du droit, la sérénité dans l’exercice de la justice et la patience des hommes d’État. Bref, ce rythme tranquille est fondamentalement associé à la majesté des institutions. Sous la double influence de l’Islam et des invasions, l’administration iranienne a en effet vu le temps s’immobiliser alors même que la culture romaine de la prescription était renforcée par le christianisme en Occident. La différence de rythme a donc une origine à la fois religieuse et géopolitique.

La seconde erreur tient à la volonté de négocier de façon directe

Rien de plus étranger à la Perse que la négociation directe avec son interlocuteur. Les négociations politiques et commerciales passent depuis des siècles par des intermédiaires ou courtiers. Pendant longtemps, le droit persan a été l’ouvrage d’intermédiaires, présents à chaque négociation. Ces courtiers ne se contentaient pas de négocier les prix, ils disaient le droit et se faisaient les arbitres de la coutume au détriment de juges dépossédés de leur pouvoir. Or les États-Unis disposent actuellement d’intermédiaires possibles avec l’Iran. L’on peut penser au Qatar ou bien à Oman. Le blocage généré par Trump tient également à son mode de communication agressif et direct. Il ne faut pas oublier que le langage sibyllin est prisé en Iran. Cette révérence pour le secret et l’ambiguïté est liée à la très longue période de domination qu’a connu l’Iran : les siècles de domination arabe, turque, mongole puis turkmène ont amené les élites à développer une culture très élaborée de la dissimulation afin de préserver leur propre pouvoir. Par conséquent l’ambiguïté et les discours à demi-mot sont privilégiés.

La troisième erreur consiste à s’abstenir de tout effet rhétorique

La civilisation iranienne se caractérise par un goût pour l’emphase et une volubilité à toute épreuve. Ce penchant pour les discours n’est certainement pas étranger à la longue résistance opposée par la langue persane aux idiomes des différents conquérants. Dans le contexte d’insécurité croissante marqué par la fin de l’Empire Sassanide, la parole prend une fonction nouvelle : la volubilité des élites est nécessaire aux interminables négociations qui préservent leur survie. L’importance de la rhétorique est lié à l’extraordinaire potentiel poétique de la langue persane. L’on fait donc de longs discours en Iran, et la représentation diplomatique de la république islamique s’étonne toujours de la brièveté des réponses occidentales. Que dire d’un tweet de 280 caractères dont la concision tourne souvent à la brutalité ? Ceci renforce inévitablement le complexe de supériorité des Iraniens à l’égard des illettrés technophiles qui – à leurs yeux – n’appartiennent pas au monde civilisé.

Th. F d LN

One thought on “Iran, les trois erreurs du président Trump (Th. Flichy)

  1. TFdLN exprime ici avec grande pertinence, du fait de connaissance en profondeur de la culture persane, les différences fondamentales des deux pays. Et je suis convaincu que c’est le vieux pays cultivé qui, in fine, et avec sa patience légendaire, l’emportera sur la récente puissance qui n’a qu’une courte histoire chaotique, dont l’arrogance fondée sur une supériorité matérielle déjà menacée, pliera obligatoirement devant les bouleversements du monde en gestation. AC

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