Guerre Israël Iran – Bilan n°1
La guerre entre Israël et l'Iran vient de commencer. Elle stresse les deux appareils politico-militaires et risque de durer plus longtemps que prévu.
La guerre entre Israël et l'Iran vient de commencer. Elle stresse les deux appareils politico-militaires et risque de durer plus longtemps que prévu.
Détail des opérations
Dans la nuit du 12 au 13 juin 2025, Israël a lancé une attaque contre l’Iran. Elle a été constituée de plusieurs phases :
- Une attaque aérienne mobilisant plus de 200 avions.
- Des actions de sabotages et de bombardement de proximité, opérées par des commandos israéliens avec missiles, roquettes ou drones.
- Probablement, des actions indirectes (brouillage et cyber).
Trois types de cibles ont été visées :
- Des dignitaires militaires (surtout des gardiens de la Révolution) et des scientifiques, tous investis dans la sécurité du régime ou dans la conduite du programme nucléaire iranien.
- Les installations de défense aérienne (DSA et avions résiduels de l’armée de l’air iranienne).
- Les installations nucléaires notamment à Natanz.
L’attaque fait suite à de précédents raids israéliens, conduits en avril et octobre 2024, qui avaient déjà fortement dégradé la défense sol-air iranienne.
Les raids se sont poursuivis les jours suivants. Le ciel iranien est aujourd’hui maîtrisé par l’armée de l‘air israélienne qui peut y opérer quasi sans danger.
En riposte, l’Iran a aussitôt désigné de nouveaux responsables remplaçant ceux qui avaient été éliminés.
De même, une première salve de drones Shahed a été lancée, sans effet notable sur le terrain mais avec la volonté de saturer les défenses sol-air, tester les dispositifs d’alerte et identifier les positions israéliennes. Puis les nuits suivantes, les Iraniens ont lancé des missiles balistiques (jusqu’à 300 décomptés ce 16 juin matin) contre Israël (Tel Aviv, Haïfa, etc., Jérusalem ayant été préservée).
Israël a élargi ses cibles, visant des installations pétrolières ou gazières ou encore la télévision iranienne. L’Iran a de son côté visé des raffineries pétrolières ou des installations portuaires.
Les responsables israéliens ont déclaré que les opérations dureraient « quelques semaines » : donc au minimum deux, possiblement quatre ou cinq. Mais chacun sait quand une guerre commence, rarement quand elle finit.
Analyse militaire
Si la date du déclenchement de l’opération démontre un opportunisme remarquable (61 jours après un ultimatum de Trump, au lendemain d’un rapport alarmant de l’AIEA, trois jours avant la 6ème rencontre de négociation irano-américaine, deux jours après que le gouvernement Netanyahou ait écarté pour six mois une possible motion de censure intérieure), l’observateur ne doit pas s’y tromper : elle a été préparée très longtemps à l’avance (on parle de huit mois).
L’opération s’est faite avec le « soutien sans participation » (visible) des Etats-Unis. Ceux-ci ont probablement contribué à l’établissement de la situation renseignement (satellites, écoutes, cyber), à celle de la situation aérienne (AWACS ?), éventuellement à des aides de planification, notamment sur le domaine logistique. Sur ce dernier point, le soutien a dû être consistant, que ce soit avec des appareils de ravitaillement en vol, peut-être la mise à disposition de bases comme celle d’Al Tanf en Syrie, mais surtout par la fourniture des munitions, soit d’attaque, soit pour alimenter la défense antimissile israélienne (DAM : « Dôme de fer » et autres), qui doit défendre contre les frappes missilières iraniennes.
Militairement, le problème israélien est le suivant :
- L’Iran est loin (frontière à plus de 1000 km) et très grand, le territoire s’étendant très profondément vers l’est (plus de 1800 km).
- Cette vaste étendue permet de disperser les installations.
- Le territoire est très montagneux, ce qui complique les attaques par l’air.
- Le dispositif nucléaire (connu) est profondément enfoui (plusieurs dizaines de mètres) et durci (avec des bétons à haute résistance), inatteignable par des bombes classiques.
Par conséquent, les précédents modes opératoires israéliens ne sont pas appropriés :
- Ni le raid de 1981 contre le réacteur nucléaire irakien d’Osirak, faiblement protégé.
- Ni les frappes répétées à un seul endroit, comme contre le bunker de Nasrallah au Liban, en septembre 2024 (85 tonnes de bombes avaient été lancées contre un seul immeuble, de façon à percer la couche de béton, à la manière d’un perforateur).
Il fallait donc une autre approche.
Ainsi, malgré une première frappe contre les installations de surface de Natanz (qui n’a rien cassé en profondeur), l’opération israélienne a suivi une autre procédé.
- D’abord, décapiter les dirigeants du programme nucléaire, aussi bien les militaires que les scientifiques. On notera que le responsable des négociations avec les Américains fait partie des victimes. Le niveau politique du pouvoir iranien n’a pas été visé, ni civil (Présidence, ministre, parlementaires) ni religieux (Guide suprême, assemblée des experts). Si des déclarations ont suggéré que Tel Aviv pourrait les éliminer, il faut constater que cette limitation est le signe de vouloir maîtriser l’escalade voire de laisser la porte entrouverte à une négociation. Il ne s’agit donc pas à proprement parler d’un changement de régime, même si l’effondrement du pouvoir serait vu avec faveur par Israël. Mais il serait la conséquence d’une révolte interne ou de la fragilité du système de coercition intérieur plus qu’une décapitation directe des dirigeants.
- Ces frappes cherchent en priorité à retarder une fois encore le déroulement du programme, si possible à la déstructurer profondément en suscitant de vraies ruptures du contrôle politique et technique. La destruction physique des installations est repoussée à plus tard.
- Ensuite, annihiler la défense aérienne de l’Iran. Elle était déjà beaucoup affaiblie, elle paraît quasiment mise à terre. L’Iran avait choisi une certaine autonomie en la matière. Il faudra voir si ses soutiens, russe et surtout chinois, peuvent fournir des éléments pour rétablir au moins un système rudimentaire de détection et d’alerte : mais cela se construit difficilement dans l’urgence.
- L’attaque suit la procédure opérationnelle classique des armées occidentales qui veulent la SEAD (suppression of enemy air defense) et donc éliminer toutes les capacités de déni d’accès. Cela suggère l’intention israélienne d’avoir le ciel libre pour mener des opérations dans la durée.
- Israël est alors passé au troisième objectif, celui de la destruction des capacités offensives iraniennes, notamment des installations fixes et mobiles de lancement de missiles balistiques et les dépôts associés de munitions. C’est aujourd’hui cette menace conventionnelle qui constitue le plus grand danger pour Israël.
- En fin de campagne, la destruction des installations nucléaires est envisagée, mais dans la durée.
Militairement, le problème iranien est le suivant :
- Israël est loin (pareillement) mais a un territoire très exigu, avec donc des cibles plus concentrées, potentiellement mieux défendable par une DAM.
- Israël dispose d’une absolue supériorité aérienne. Les frappes directes (à distance) ne peuvent se réaliser que par des effecteurs de longue portée (drones et surtout missiles balistiques), éventuellement par des séides (mais ceux-ci ont été réduits au silence au cours des derniers mois : Hezbollah, Assad et même Houthis).
- Israël dispose de l’appui logistique américain et de la tolérance des pays arabes environnants. L’Iran n’a quasiment plus de soutien régional (au mieux l’Irak), seulement des appuis distants (Russie et Chine).
L’Iran va donc :
- Tenir le pays autant que possible malgré le stress opérationnel et social provoqué par Israël. Si certains opposants (communistes ou Baloutches) ont déjà manifesté, ils pèsent peu. La population est globalement opposée au régime mais une partie peut s’y rallier par effet patriotique de ralliement au drapeau.
- Chasser les commandos israéliens de façon à ne plus subir de frappes de proximité ou d’assassinats ciblées, de façon à recouvrer une certaine tranquillité au sol.
- Solliciter les appuis éloignés pour obtenir pièces et équipements nécessaires au rétablissement d’une certaine capacité de détection et d’alerte, voir de DSA de proximité (Manpads)
- Lancer des frappes de drones et de missiles de bas de gamme de façon à épuiser la DSA israélienne, avant de lancer les plus performants pour obtenir au moins un succès de prestige. Une course contre la montre va s’engager entre la protection des lanceurs et des silos face aux frappes israéliennes et le lancement de missiles contre Israël.
- Probablement, chasser les inspecteurs de l’AIEA au motif de leur sécurité.
- Disperser les effets nucléaires (centrifugeuses ou matériau fissile) si ce n’a pas été fait.
Les lecteurs habituels de ce site ne seront pas surpris si je mentionne une expression : « guerre d’usure ».
Israël espère que ses frappes décapitantes permettront une telle fragilisation du régime que d’une part, la chaîne de contrôle politique et de commandement militaire ne sera plus efficace, d’autre part que sa fragilisation permettra un changement de régime au mieux, au moins une négociation renouvelée de Téhéran.
L’Iran espère que son arsenal balistique lui permettra de tenir, d’épuiser la défense antimissile israélienne et portera des coups tels à la population civile israélienne que le soutien à la guerre s’étiolera et conduira le gouvernement de Tel Aviv à cesser sa campagne.
Pourquoi usure : car les deux stratégies visent des objectifs dans un horizon assez lointain de quelques semaines. Or, les deux stratégies dépendent des stocks des deux côtés :
- Pour les Iraniens, combien de missiles balistiques ? Le chiffre de 2000 missiles a été régulièrement avancé dans les médias ces derniers jours. Je m’en méfie beaucoup, à la lumière de ce qu’on a observé en Russie (dont l’arsenal était beaucoup plus profond qu’imaginé au début de la guerre) ou en Corée du nord (qui avec des moyens beaucoup plus limités que l’Iran a réussi à construire une panoplie très conséquente). Autrement dit, je ne serais pas surpris si l’Iran disposait de 10, 15 voire 20.000 missiles. Cela lui permettrait, dans ce cas, de mener une campagne d’assez longue durée, lançant des missiles de piètre qualité au début et des missiles plus précis, rapides ou manœuvrant au bout de quelques jours, avec une meilleure efficacité.
- Pour les Israéliens, quelle efficacité de la DAM ? D’ores et déjà, il est probable qu’elle ne soit efficace qu’à 85 voire 80%. Il est possible que ses capacités se dégradent dans le temps, du fait de coups au but iraniens mais aussi des stocks : en effet, une DAM suppose de tirer des munitions sol-air dont le nombre est réduit. De premiers signes suggèrent déjà l’épuisement de certains types. Israël connaîtrait dans ce cas les mêmes difficultés que l’Ukraine. Cependant, l’exemple ukrainien montre aussi qu’une population arrive à survivre, dans la durée, malgré des bombardements répétés dans son territoire.
- Ce calcul ne vaut que dans le cadre de l’affrontement actuel, sans donc intervention extérieure directe, notamment des Etats-Unis. Leur engagement changerait évidemment l’analyse.
Aujourd’hui, le rapport de pertes semble très défavorable à l’Iran, qui dénombrerait 200 morts ce matin contre une vingtaine en Israël.
Nous donnerons l’analyse politique et géopolitique dans le prochain numéro de La Vigie (n° 269) à paraître le 24 ou 25 juin prochain. Cela vous donnera l’occasion de la découvrir, pour un prix modique (deux bières à une terrasse de province).
O. Kempf