Putsch du 18 août 2020 au Mali ou les 10 commandements pour réussir son coup d’État (G. Mathias)

Gregor Mathias nous adresse ce long texte analysant le coup d’État au Mali de cet été. Il est docteur en histoire et travaille sur les problèmes de sécurité et de défense en Afrique. Il a publié plusieurs ouvrages et articles sur Le Mali et la Centrafrique au moment du déclenchement des opérations Serval et Sangaris. Mille mercis à lui pour son texte détaillé. LV.

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Le coup d’État reviendrait-il en force en Afrique ? Deux cent sept coups d’État, avortés ou réussis, ont eu lieu sur le continent en Afrique depuis 1950 avec une prédilection des putschistes pour l’Afrique subsaharienne et l’Afrique de l’Ouest. Néanmoins, le phénomène est en déclin, les décennies 2000 et 2010 n’ont connu qu’une vingtaine de coups d’État en moyenne, contre le double, dans les décennies précédentes.

Quant au Mali depuis 60 ans, il a eu 4 coups d’État et a renversé 4 chefs d’État (1968, 1991, 2012, 2020) sur les 5 présidents de son histoire. Le coup d’État est donc classique pour ce pays et les pays voisins pour accélérer les transitions politiques, comme, en 2010 au Niger, en 2011 en Côte d’Ivoire, et en 2014 au Burkina Faso.

Après une interview le 19 août pour La Croix sur la situation au Mali après le putsch des officiers (voir ici) et deux mois après le coup d’État, nous avons décidé de revenir sur les dix grandes étapes qui ont permis aux 7 colonels de prendre le pouvoir au Mali de s’imposer à la communauté internationale et à l’opinion publique malienne.

  1. Le plus grand nombre d’officiers de l’état-major, tu convaincras

En 2012, le capitaine Amoudou Sanogo avait fait un putsch. Mais officier subalterne, il doit laisser le pouvoir, 20 jours plus tard, sans parvenir à fédérer les officiers supérieurs. Relaxé en janvier 2020 et nommé « général », il semble avoir été proche du général Ibrahima Dembélé, ministre de la Défense dans le gouvernement de Boubou Cissé formé en mai 2019 et de l’un des putschistes, le colonel Malick Diaw.

Le putsch du 18 août 2020 a été préparé par des colonels, on ne compterait au mieux qu’un général sympathisant. Le comité est dirigé par le colonel Assimi Goita, commandant du bataillon autonome des forces spéciales maliennes. Le colonel Modibo Koné, commandant à Koro (région Centre de Mopti) est le premier vice-président de la junte. Le colonel Malick Diaw, commandant en second de la 3e division du camp militaire de Kati, est le second vice-président. Le porte-parole des officiers supérieurs putschistes est le colonel-major Ismaël Wagué, chef d’état-major adjoint de l’armée de l’Air, qui compterait 5 avions de chasse et 6 hélicoptères de combat en état de marche. On trouve également dans le comité militaire le colonel Sadio Camara, commandant du Prytanée militaire de Kati et le colonel Sékou Lelenta, commandant en second du Prytanée militaire de Kati.

Le seul général jugé proche de la junte est le général Cheick Dembélé, proche de Sy Saw, un des leaders du Mouvement du 5 juin, formé à Saint-Cyr en France et en Allemagne, directeur de l’école militaire de maintien de la paix de la CEDEAO (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest), mais limogé en 2019, il a démenti faire partie du putsch.

  1. Les forces armées les plus expérimentées, tu attireras

Le camp de Kati a toujours été une pépinière de putschistes. De là sont sortis les pronunciamientos militaires de 2012 et de 2020. Kati est donc toujours le contrepoids militaire au pouvoir politique de Bamako démentant les paroles tenues par le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) en octobre 2013 : « Kati ne fera plus peur à Bamako, en tout cas pas à Koulouba [nom du palais présidentiel] ».

Le colonel Assimi Goita, commandant du bataillon autonome des forces spéciales de Mopti, unité créée en mai 2018 et formée par l’armée américaine, est une des chevilles ouvrières du coup d’Etat. Le 29 juin 2020, le bataillon des forces spéciales a été équipé de matériel de l’armée américaine : des gilets pare-balles, des casques et du matériel de maintenance de l’armée américaine. La veille du putsch, le lieutenant-colonel Ibrahim Traoré, chef de la garde présidentielle est limogé, suite à des troubles entre les gardes, les plus anciens et ceux nouvellement nommés au palais présidentiel. Il rejoint les putschistes le lendemain. Le général Moussa Diawara, directeur général de la Sécurité d’Etat (les renseignements), obtient que les forces spéciales sécurisent la résidence du président IBK.

Ces deux actions expliquent l’absence de résistance de la garde présidentielle, probablement une des deux unités les mieux armées, les mieux sélectionnées et les mieux formées du Mali avec les forces spéciales maliennes. Quant aux forces de gendarmerie protégeant le Premier ministre, elles ont l’ordre du général Moussa Diawara de quitter la résidence d’IBK après son arrivée.

  1. Un ami au cœur de la citadelle ennemie, tu trouveras 

Selon un article d’Africa Kibaru, site d’informations proche d’IBK, diffusé par le site d’informations malien Malijet, le 24 août 2020, explique que le général Moussa Diawara, directeur de la sécurité d’Etat (les services de renseignement) depuis octobre 2013 est celui qui aurait trahi IBK.

Il serait impliqué, selon un rapport de l’ONU du 14 août 2020, dans le trafic de drogue et recevrait, depuis juillet 2018, un paiement contre la protection du trafic de drogue par l’intermédiaire de Mohamed Ould Mataly, député de Bourem appartenant au parti d’IBK et chef d’un groupe armé arabe de Gao du MAA. Ce même général aurait fait pression, en avril 2019, pour libérer des trafiquants de drogue arrêtés au Niger.

En juillet 2020, le général Moussa Diawara est chargé par le président IBK d’enquêter sur les officiers susceptibles de faire un putsch après l’aggravation des tensions dans le pays. A la suite de la publication du rapport de l’ONU du 14 août, sur son implication dans le trafic de drogue, il devait être limogé par le président le 19 août. Au courant de la préparation d’un putsch, le général Moussa Diawara se serait mis en relation avec Sadio Camara, commandant du Prytanée militaire de Kati, et aurait obtenu en échange de son immunité, l’organisation d’une réunion avec les principaux officiers supérieurs, où devait être présent le général Dahirou Dembélé, ministre de la Défense, le 18 août à 9 H ; la réunion devant être sécurisée par les forces spéciales du colonel Goita. Les officiers supérieurs sont arrêtés au moment de cette réunion par ceux qui devaient les protéger !

La junte militaire n’a pas démenti l’article en question. Néanmoins, le général Diawara a été arrêté par la junte, le 20 août, deux jours après le putsch à son domicile, ce qui semble très tardif pour celui aurait dû représenter une cible prioritaire pour les putschistes – sauf s’il était leur complice – car il dirigeait alors les services de renseignement maliens et pouvait donc être au courant du coup d’Etat. De plus, le fait qu’il n’ait pas cherché à fuir le pays alors qu’il est accusé de corruption par l’ONU et risquait donc la prison ne peut que surprendre. Cela démontrerait sa collusion effective avec la junte.

Depuis le 24 août, la junte a confié la très sensible direction de la sécurité d’Etat (le renseignement) au colonel-major Lassana Doumbia, ancien membre de de la Commission spéciale d’enquête (concernant les dysfonctionnements de l’armée) et directeur du Centre National pour la Coordination du Mécanisme d’Alerte précoce et de Réponse aux Risques sécuritaires (centre malien de prospective sur les risques politiques et sécuritaires). Il devient le septième colonel de la junte.

  1. Les autorités légitimes décrédibilisées, tu mettras hors d’état de nuire

Le président IBK est légitime, selon les critères démocratiques occidentaux, en effet il a été élu en 2013, puis réélu en 2018, malgré une absence de résultats politiques et sécuritaires dans son pays. Il met en place un gouvernement d’union nationale, le 28 juillet 2020, auquel le parti de Soumaïla Cissé, ancien ministre de l’économie, refuse de participer. Mais Laurent Bigot, ancien directeur du département de l’Afrique de l’Ouest au Quai d’Orsay, évoque dans Le Monde, du 27 août 2020, un « rituel de démocratie » pour le Mali et de « fétichisme électoral » de la part de l’Occident (pour ne pas dire la France) qui « en promouvant ainsi la démocratie, [on] en devient les fossoyeurs ».

En effet, les grèves se multiplient depuis 2018 dans la fonction publique et l’insécurité progresse du Nord au Centre. Les scandales de corruption « généralisée », selon l’expression de Laurent Bigot, touchent IBK et son entourage : la mauvaise gouvernance entraîne une perte de 457 millions d’euros (2013 à 2017, fraudes fiscales non recouvertes) ; un rapport canadien de 2018 évoque un détournement de l’aide humanitaire (1,3 milliard d’aides détournées de 2005 à 2017) ; cette même année, l’UE supprime 20 millions d’euros en raison de la non sécurisation de l’aide financière ; on parle d’achat de votes pour l’élection présidentielle de 2018 ; les contrats d’armes sont surfacturés (quatre avions de combat achetés sans système de visée et des faux contrats d’achat de véhicules pour les Forces armées de Mali (les FAMa) sont passés par des proches du président (enquête de la justice malienne de mars 2020) ; le trafic de drogue est protégé par le responsable des services de renseignement et l’ancien chef d’état-major des armées Keba Sangaré (août 2020) ; les travaux luxueux inutiles sont dénoncés (achat d’un nouvel avion présidentiel, rénovation du palais présidentiel) ; les fêtes luxueuses des proches d’IBK, celles du général Moussa Diawara, en mars 2020, et de Karim Keïta, fils du président, le 2 juillet 2020, sont dénoncées dans les médias et surtout sur les réseaux sociaux

En avril 2020, le parti RPM d’IBK gagne de justesse les élections législatives avec 51 sièges sur 147 (contre 24 députés à l’Adéma, parti de l’ancien président ATT et 19 députés à l’URD de Soumaïla Cissé, un dissident du parti de l’ancien président ATT), mais sans qu’il obtienne la majorité. Les élections organisées dans un contexte d’insécurité voient le principal opposant d’IBK Soumaïla Cissé enlevé par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), alliance de groupes jihadistes affiliée à Al-Qaïda. Les élections de 30 députés sur les 61 sont contestées par l’opposition. Des troubles éclatent dès le 5 juin à la suite de l’appel de l’imam Dicko et des partis d’opposition (le Mouvement du 5 juin). Le 10 juillet, la contestation à Bamako cause la mort de 10 manifestants. La CEDEAO (communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest) peine à trouver une solution entre les contestataires et le président. Le 17 août, la veille du putsch, le Mouvement du 5 juin appelait à la démission du président et à durcir le mouvement. Le coup d’Etat répond donc aux exigences du Mouvement du 5 juin.

Dès le 20 août, deux jours après le putsch, le porte-parole de la junte refuse le qualificatif de « coup d’Etat » sur France 24. Il explique les raisons de l’action militaire par « un blocage du pays depuis longtemps », « des dysfonctionnements au niveau de l’armée ; les militaires n’étaient plus en mesure d’assurer leurs missions régaliennes » et « le niveau de corruption était trop élevé ». Il semblerait que le rapport de l’ONU ayant fuité le 14 août ait été à l’origine de la constitution du complot militaire.

L’habileté des putschistes a été d’obliger le président IBK à la démission « sans arme braquée sur la tempe » (selon le porte-parole de la junte malienne, France 24, 20 août 2020) et de l’avoir contraint à dissoudre l’Assemblée nationale et le gouvernement. Trois décisions politiques qu’il a confirmées devant la MINUSA (forces de l’ONU au Mali) et la CEDEAO, avant que la junte ne mette le président déchu dans une résidence surveillée. Le porte-parole du comité militaire a d’emblée affirmé avec beaucoup d’intelligence qu’il confiait à la justice le soin de juger IBK et que l’armée ne voulait pas s’en mêler. https://www.youtube.com/watch?v=a7d_oRI6Drk

  1. Le minimum de victimes, tu feras

Les putschistes ont arrêté 19 personnes, le président IBK, le Premier ministre, des ministres (le ministre de l’Economie), des hauts fonctionnaires proches d’IBK (dont un chargé de mission d’IBK), des élus (le président de l’Assemblée nationale) et des généraux, comme le général Ibrahima Dembélé, ministre de la Défense, le général Abdoulaye Coulibaly, chef d’état-major des armées et le général M’Bemba Moussa Keïta, ministre de la Sécurité. Le président et son Premier ministre ont été mis en résidence surveillée à Kati. Par la suite, le président IBK, démissionnaire et le président de l’Assemblée nationale sont libérés, le Premier ministre restant lui détenu. Après deux mois de détention, les derniers prisonniers sont libérés par la junte.

Le coup d’État n’a pas fait de victimes faute de résistance de la part de la garde présidentielle, de la gendarmerie ou du reste de l’armée. Mais on compterait tout de même une douzaine de morts par balle, selon l’hôpital Gabriel Touré. Les pillages sont limités à la résidence du fils du président Karim Keïta, au domicile du Premier ministre, au cabinet d’avocats et au domicile du garde des Sceaux, accusé d’avoir fait condamner les manifestants du Mouvement du 5 juin.

  1. L’assentiment de la population, tu solliciteras

Dès le 19 août, les putschistes créent un « Comité national pour le salut du peuple (CNSP) » et affirment vouloir « une transition politique civile conduisant à des élections générales crédibles » dans un « délai raisonnable ». Les officiers putschistes promettent de donner le pouvoir aux civils après avoir organisé des élections présidentielles et législatives. https://www.youtube.com/watch?v=CPoeo5b07JY

Selon un document révélé par Le Monde du 21 août 2020, trois jours après le putsch, la junte a diffusé un document expliquant sa volonté de mettre en place un « collège transitoire composé de représentants des différentes forces vives de la nation » composé de militaires et de civils, « issus des partis politiques, de la société civile, des organisations des femmes et des jeunes, du barreau malien, des organisations religieuses » pour mettre en place une transition de 9 mois sur le modèle du Soudan. Ce document a probablement servi à désarmer toute opposition civile. Le 20 août, sur France 24, le porte-parole des colonels évoque la volonté de la junte de rencontrer les forces vives, la société civile et les partis d’opposition pour mettre en place un conseil de transition avec « une transition la plus courte possible ».

Une délégation de la CEDEAO a entamé des négociations pour que les militaires maliens s’engagent à restituer le pouvoir aux civils. Face au blocage des discussions, le porte-parole de la junte a tenté de rassurer l’opinion publique malienne en affirmant publiquement que « toute décision relative à la taille de la transition, au président de la transition, à la formation du gouvernement, se fera entre Maliens, avec les partis politiques, avec les groupes sociopolitiques, les syndicats, les groupes signataires, la société civile, conformément à notre première déclaration. Je tiens à rassurer les uns et les autres qu’aucune décision ne sera prise par rapport à la transition sans cette consultation massive. À ce stade des discussions, rien n’est décidé avec l’équipe de médiation de la CEDEAO ».

Le jour même de cette réunion avec la CEDEAO, le Journal officiel du Mali publie le 27 août, l’acte fondamental du CNSP signé le 24 août, qui dans l’article 32, nomme Assimi Goita président de transition chargé d’assurer les fonctions de chef de l’Etat, contre les vœux de la CEDEAO. Le comité a affirmé que, ni le président de transition, ni le Premier ministre ne pouvaient se présenter aux élections montrant ainsi leur absence d’ambitions politiques.

Le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (RFP), dont fait partie l’imam Dicko, s’est félicité du coup d’Etat lui qui souhaitait contre les vœux des Etats de l’Afrique de l’Ouest le départ du président IBK. Il a apporté son appui à la junte lors d’une manifestation de soutien de milliers de personnes à Bamako se réclamant de l’imam Dicko, demandant la libération de Soumaïla Cissé (l’opposant enlevé par les djihadistes) et lançant des slogans hostiles à la France et favorables à la Russie et à la Chine qui ont soutenu immédiatement les putschistes. Le porte-parole du comité a expliqué que l’action des militaires s’inscrivait dans la droite ligne du mouvement de contestation du 5 juin « Nous n’avons fait que parachever le travail que vous aviez commencé », tandis que les responsables du Mouvement du 5 juin-RFP refusent les qualificatifs de « coup d’Etat » et de « junte » pour évoquer la chute d’IBK. Le 26 août, la délégation du 5 juin s’est dite disposée à « accompagner le processus de transition » tout en affirmant être « sur les mêmes positions » que les militaires.

Le nouveau gouvernement mis en place en octobre 2020 comporte peu de personnalités de l’ancien régime et ouvre trois ministères à des personnalités issues du Mouvement du 5 juin mais il s’agit de personnalités secondaires à des postes ministériels nécessitant à leur tête des civils (la Communication, l’Emploi et la Refondation). Le Mouvement du 5 Juin se retrouve marginalisé et divisé entre ses multiples chefs auxquels s’ajoutent l’imam Dicko et Soumaila Cissé libéré par les djihadistes. Cette division profite pour l’instant à l’actuel gouvernement de Transition.

  1. Les médias, tu épargneras

Lors du putsch, les militaires n’ont pas pris le contrôle des médias d’information (presse, site web, Office de la radio et la télévision publiques du Mali de l’ORTM, réseaux sociaux). Ils ont diffusé, par l’ORTM, la déclaration de démission du président IBK. La junte devra apprendre à vivre avec les critiques des journalistes. La tentation serait de vouloir les museler.

Les officiers putschistes ont alors mis en place avec les journalistes un modus vivendi sur la critique acceptable par la junte et celle qui relève de la diffamation et de l’action en justice. Le Journal officiel du Mali a publié, le 27 août, l’acte fondamental du CNSP en évoquant dans l’article 4 « la liberté d’opinion et d’expression » et dans l’article 7 « la liberté de la presse », ce qui devrait normalement éviter les tensions entre le pouvoir politico-militaire et le pouvoir médiatique pacifique. Mais à l’ère des réseaux sociaux, il sera difficile à la junte de maîtriser entièrement la parole publique sur leur bilan politique.

  1. La communauté internationale, les pays voisins et les puissances, tu séduiras

Le 19 août 2020, le Conseil de sécurité de l’ONU a condamné à la demande de la France et du Niger le coup d’Etat au Mali. Le Niger, à la tête de la présidence tournante de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDAO), a d’autant plus porté la demande que le putsch malien pourrait très bien donner des idées à son armée aigrie par ses échecs contre les groupes djihadistes et qui fait les frais des scandales de détournement de fonds lors de l’achat d’armement. La junte des officiers maliens a autorisé la MINUSMA, puis la CEDEAO à rencontrer IBK au moment de sa détention, ce qui a été une concession importante à la communauté internationale et aux pays de la région.

Dès l’annonce du coup d’État, la CEDEAO a condamné, le 20 août, « fermement » le putsch et a demandé le rétablissement « immédiat » du président déchu. https://www.ecowas.int/wp-content/uploads/2020/08/DECLARATION-DES-CHEFS-D-ETAT-SUR-LE-MALI-200820.pdf

Certains ont appliqué immédiatement des sanctions économiques, comme la Côte d’Ivoire (son président Alassane Ouattara a modifié la constitution pour se lancer dans un 3e mandat présidentiel le 30 octobre 2020, et redoute un putsch) et la Guinée (le chef d’Etat Alpha Condé, ami d’IBK, brigue un troisième mandat qui est menacé par l’ancien chef de la junte Moussa Camara populaire en cas de retour dans son pays) avec la volonté de saisir la Cour pénale internationale. Le Burkina Faso (qui a renversé le président Compaoré) et le Sénégal sont réticents à l’égard des sanctions économiques vis-à-vis du Mali (un embargo sur les produits pétroliers et la fermeture des frontières) qui risquent de l’asphyxier sur le plan économique et d’affaiblir les FAMa (Forces armées maliennes) dans leur lutte contre le terrorisme. Le CEDEAO a décidé de suspendre les importations et les exportations du Mali, à l’exception des produits de premières nécessités, des médicaments et des produits pétroliers.

La négociation immédiate de la junte avec la délégation de la CEDEAO montre que les officiers putschistes ont cherché à obtenir l’assentiment des chefs d’Etat de la région. https://www.youtube.com/watch?time_continue=37&v=GWw54eNj3jY&feature=emb_logo

La CEDEAO et la junte ont procédé à d’âpres négociations. La junte propose une « transition de trois ans », alors que la CEDEAO réclame un an de transition politique, comme on a pu le voir lors des coups d’Etat au Niger en 2010 et au Burkina Faso en 2014. Le comité militaire a alors concédé une transition de deux ans, ce qu’a refusé la CEDEAO. Le marchandage s’est terminé sur une période de 18 mois.

La CEDEAO a insisté sur le retour des civils au pouvoir au Mali : le président et le Premier ministre de la transition politique doivent être des civils, ce qui a été le deuxième point de blocage avec la junte. Le comité militaire souhaite que la transition soit dirigée par un militaire en activité alors même que la délégation de la CEDEAO souhaitait qu’elle soit dirigée par un civil ou un militaire à la retraite. Sur ce point la junte a choisi Bah N’Daw, un colonel à la retraite depuis quelques mois comme président de la Transition tandis que le chef de la junte le colonel Assimi Goita verrouillait le pouvoir en devenant vice-président. Moctar Ouane, un ancien ministre des Affaires étrangères, a été nommé Premier ministre chargé de piloter la transition politique. Trois autres protagonistes du putsch obtiennent des postes ministériels, le colonel Modibo Koné, ancien premier vice-président de la junte, devient ministre de la sécurité et le colonel Sadio Camara, ministre de la Défense et le colonel Ismaël Wagué, le porte-parole de la junte, ministre de la réconciliation nationale. Un sixième colonel, Abdoulaye Maïga, ancien responsable du groupe d’autodéfense Ganda Koy, a obtenu de ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation. Dans la nouvelle structure de transition, les militaires encadrent bien les civils qui n’ont pas de postes régaliens importants. La CEDEAO a levé l’embargo économique en octobre après avoir obtenu des concessions politiques a minima de la junte.

La France, malgré des condamnations de principe par le Quai d’Orsay et au Conseil de Sécurité, a peu de marge de manœuvre. La suspension du Mali de la francophonie n’a été qu’une décision symbolique. Le Mali est en effet au centre de la déstabilisation par les groupes djihadistes de la bande sahélo-saharienne avec le Burkina et le Niger. Le 24 août, la junte a assuré au commandant français de la force Barkhane qu’elle voulait « toujours travailler avec elle », démentant ainsi les analyses de nombreux journalistes français…  Jeune Afrique du 26 août a réussi à se procurer une note du Quai d’Orsay du 19 août destinée aux pays de la CEDEAO affirmant que la France est consciente qu’un retour au pouvoir d’IBK est à la fois « irréaliste » et « dangereux », ce qui veut dire que la France ratifie le coup d’Etat et qu’elle pense qu’il est nécessaire que la CEDEAO négocie au mieux la transition politique avec la junte. D’ailleurs, le président E. Macron s’est entretenu avec la tendance intransigeante (Côte d’ivoire) et modérée (Sénégal) de la CEDEAO pour présenter la position de la France. J.-Y. Le Drian, ministre des Affaires étrangères, évoque de son côté, le 27 août, sur RTL comme raison principale du coup d’Etat au Mali « une rupture de confiance entre le peuple malien et son président à la suite d’élections contestées pour une trentaine de députés » et affirme qu’il y a eu « des alertes nombreuses au président IBK » pour arrêter ses pratiques politiques de la part du président E. Macron dès la fin en juin et par les pays de la CEDEAO. « Le président n’a pas entendu », le ministre des Affaires étrangères a aussi condamné le coup d’Etat à Bamako.

L’UE a décidé de « suspendre » sa formation des FAMa (EUTM, force d’entraînement de l’UE au Mali) tout en se redéployant au Burkina Faso pour former les autres pays du G 5 Sahel, comme le prévoyait d’ailleurs son mandat. https://eutmmali.eu/fr/actualites/ Néanmoins, le général Lecointre, chef d’état-major des armées a souhaité la reprise de l’instruction en notant qu’il faut distinguer ce qui relève des décisions politiques de ce qui relève des décisions militaires (Barkhane)… Toutefois, la junte pourrait tout aussi bien proposer à d’autres pays, comme la Russie ou les États-Unis, de former son personnel militaire, le colonel Malick Diaw, ayant fait un stage en Russie ou le colonel Assimi Goita ayant fait un stage aux États-Unis, peuvent faire appel à un de ces deux pays en prétextant les limites de la formation des FAMa par l’EUTM.

  1. Les rebelles, tu vaincras

Après 8 ans de guerre civile et de combats contre les groupes armés sécessionnistes (puis autonomistes) et les katibas djihadistes, les FAMa n’ont pas réussi à s’imposer au Nord et ont réussi à perdre à nouveau le contrôle du centre du pays, comme en 2012.

Les groupes djihadistes n’hésitent plus à attaquer les forces maliennes, comme les casernes (40 soldats tués dans l’attaque du camp de Boulkessy en septembre 2019, 50 soldats tués au camp d’In Delimane en novembre 2019, 29 soldats tués au camp de Tarkint en mars 2020), les postes de gendarmerie (20 gendarmes tués au camp de Sokolo en janvier 2020), les prisons (Niono en janvier 2020, Kimparana en août 2020), les postes de contrôle (3 attaques à Sienso, Sanadaré et N’Gounjina en août 2020) et les patrouilles (30 soldats maliens à la frontière du Niger en novembre 2019, 24 soldats à Diabaly en juin 2020).

N’ayant pas réussi à gagner la guerre, la junte doit désormais gagner la paix en mettant en pratique les Accords de paix d’Alger avec les ex-rebelles touaregs, dont l’application avait été bloquée par des hauts-gradés de l’armée, dont le général Moussa Diawara, directeur des services de renseignement et le général Keba Sangaré, ancien chef d’état-major des Armées, selon un rapport de l’ONU révélé par Jeune Afrique, le 14 août 2020. La junte a annoncé vouloir intégrer dans le processus de transition les groupes armés ayant signé les Accords d’Alger. Deux ministères ont été confiés des signataires des Accords d’Alger, le ministère de la Jeunesse à l’ancien porte-parole du MLNA (mouvement nationaliste touareg), Mossa Ag Attaher et le ministère de l’Agriculture et de l’Elevage à Mahmoud Ould Mohamed, cadre du CMA-MAA (mouvement nationaliste arabe).

La junte doit désarmer ou de mettre sous contrôle les milices ethniques d’autodéfense dogons ou d’autres ethnies, et faire cesser les exactions de l’armée à l’égard des populations peules ou d’autres ethnies (la MINUSMA a recensé 126 violations des droits de l’homme par les FAMa au 2ème trimestre 2020). L’imam Dicko a demandé aux milices peules et dogons de déposer les armes et de se réconcilier.

Sur le modèle de la Centrafrique ou de la Libye du général Haftar, les nouvelles autorités militaires pourraient avoir la tentation de se rapprocher de la Russie dont l’ambassadeur a été le premier reçu par la junte. La francophobie d’une partie du Mouvement du 5 juin-RFP pourrait être ainsi satisfaite en demandant l’aide militaire de la Russie pour moins dépendre de l’aide militaire française de l’opération Barkhane. Quelle pourrait être la nature de cette aide russe ? Le comité militaire pourrait demander des moyens d’observation autonomes de ceux des Américains et des Français (des drones ou de l’imagerie des satellites d’observation), des blindés légers, des conseillers militaires, des instructeurs militaires à la place de ceux de l’UE et des officiers chargés de la planification des opérations des FAMa.

Les FAMa ont besoin de victoires militaires après leurs nombreux revers pour que la junte puisse mettre sur la défensive les djihadistes et négocier en état de force leur reddition ou l’application des accords d’Alger. La libération négociée de Soumaïla Cissé avec trois otages (deux Italiens et la Française Sophie Pétronin) entamée par IBK et poursuivie par la junte est un succès indéniable pour elle, même si elle s’est effectuée en échange de la libération de 200 djihadistes (essentiellement des soutiens logistiques mais aussi une dizaine de chefs et d’artificiers) et d’une rançon de 10 millions d’euros. Ces libérations sont peut-être un moyen pour le nouveau pouvoir de négocier la paix avec le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), alliance de groupes jihadistes affiliée à Al-Qaïda au Maghreb islamique composés de Touaregs, d’Arabes et de Peuls djihadistes du nord et du centre du pays. Mais à moyen terme, la libération pourrait aggraver la situation sécuritaire du pays et remettre en cause plusieurs années de lutte contre AQMI. La lutte contre l’insécurité au Nord et au Centre est la partie la plus délicate pour les putschistes. S’ils échouent dans leur domaine de prédilection, la guerre, ils vont avoir du mal à convaincre de leur efficacité sur le front de l’action politique publique.

  1. Le temps, tu maîtriseras

Après l’euphorie de la chute d’IBK et de la libération de Soumaïla Cissé, passer les « 100 jours », le nouveau gouvernement de Transition risque de voir baisser l’enthousiasme suscité par leur venue et l’opposition renaître (les partisans d’IBK, d’ATT, de Cissé). En demandant à la CEDEAO et à l’opinion publique, 18 mois de transition avant de redonner le pouvoir aux civils afin de revoir « les fondements de l’Etat malien », c’est une prise de conscience que tout est à reconstruire au Mali, à la fois la forme de l’Etat, la formation et la sélection des élites, l’administration (la justice, l’école, les douanes), la gestion et le contrôle des finances, la crédibilité des partis politiques à gérer le pays, le partage du pouvoir avec les ethnies minoritaires du Nord et du Centre (Arabes, Touaregs, Peuls). Nous l’annoncions, en 2014 que la solution pour résoudre les causes du conflit au Mali passait par la nécessité de transformer un Etat centralisé malien inefficace en un État fédéral qui donne la parole à toutes les ethnies du pays et les fasse participer à la gestion régionale.

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Mais si les militaires se mettent en première ligne dans cette réforme politique et de réconciliation du pays, ils risquent, en cas d’échec, d’ouvrir la voie à un gouvernement civil proche des islamistes de l’imam Dicko… Les militaires sont donc condamnés à réussir alors que le sablier est déjà enclenché pour les 18 mois à venir ; désormais « le temps des colonels » est compté.

Gregor Mathias, chercheur associé à la chaire de géopolitique à Rennes School of Business

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