Burkina Faso : qu’en penser ?

Les événements au BF n’ont pas manqué de surprendre. Voici donc un autocrate habile, qui avait su gagner une influence diplomatique certaine dans la région, qui n’était pas des plus sanguinaires, pas intéressé par la richesse même si son entourage n’avait pas forcément les mêmes distances envers l’argent qui salit. Certes, il ne remplissait pas les critères Occidentaux de notabilité mais dans la région, on connaissait pire – on connaît toujours pire. Voici qu’un mouvement populaire le met à bas. Voici une prise de pouvoir qui se déroule sans trop de heurts. Voici une transition qui respecte les formes. Or, ce côté apparemment bénin et pour tout dire conforme à nos standards suscite une certaine interrogation. S’agit-il vraiment d’un printemps africain, comme s’ébaudissent certains commentateurs enthousiastes ? n’y a-t-il pas autre chose là-derrière ce que certains esprits soupçonneux imaginent ?

Il est certain en tout cas que Blaise Comparoé avait négligé beaucoup de signes avant-coureurs qui lui disaient qu’il serait difficile d’obtenir un cinquième mandat. Inattention ou, comme souvent, syndrome du « vieux chef » qui souffre de plusieurs défauts : l’auto-persuasion conduisant à croire que « cette fois encore, on réussira à dominer les événements », moins de contacts avec la société (isolement du pouvoir) et donc moindre compréhension (raisonnée ou intuitive) des attentes réelles, âge tout simplement qui obscurcit le jugement, concentration sur les affaires de l’Etat, à l’intérieur comme à l’extérieur (les affaires étrangères ont toujours été au cœur de l’attention de Blaise, il y montra d’ailleurs un vrai talent), la liste pourrait être allongée encore mais elle est finalement « classique ». Etrange destin que ces vieux dictateurs qui ne savent pas comment passer la main…

Voici donc les causes propres à la personnalité du président. Pour le reste, comment interpréter cette révolte ? Elle est incontestablement populaire et elle est fondée, comme quasiment toute les révoltes récentes, sur le rejet des inégalités et surtout de la corruption. Foin des lectures trop pratiques (ici attente de démocratie, là islamisme triomphant), le peuple burkinabé a d’abord exprimé sa lassitude. Constatons qu’elle intervient dans un pays pauvre et ethniquement homogène. QU’on sache qu’un tiers des Burkinabés travaille à l’étranger (notamment en Côte d’Ivoire) permet d’apprécier les difficultés du pays.

Pour autant, s’agit-il d’un « printemps africain » ? Voir un printemps en plein mois de novembre a d’abord quelque chose de curieux. Ensuite, l’allusion au « printemps arabe » est douteuse, tout d’abord parce que cette dernière expression est faussée : elle signifie souvent, dans la bouche de ceux qui l’emploient, un appel à la démocratie à l’occidentale, ce qu’elle a rarement été. Pour dire les choses plus précisément, il n’est pas sûr que ces sociétés soient très enthousiastes à l’idée de suivre le « modèle occidental » fondé notamment sur un individualisme exacerbé.

A observer ce qui  se déroule au Burkina, on est ainsi frappé par la méthode de résolution de la crise : très vite, un lieutenant-colonel d’apparence anodine prend la tête du « processus de transition » : on apprend qu’il est le numéro deux du régiment de la garde présidentielle, visiblement le seul centre de pouvoir, le seul détenteur du monopole de la violence, tirant de cela une légitimité qui lui est reconnu. La politique est d’abord rapport de forces. On aperçoit une de ses premières photos où il pose à côté du roi traditionnel et de l’évêque du lieu : ainsi, les structures locales d’intermédiation sont immédiatement associées, pour bien montrer que l’ensemble de la société sera incluse dans le processus. Dès lors, quelques jours plus tard, une conférence nationale peut réunir les représentants  de toutes les forces de la société pour désigner un président de transition. Chapeau l’artiste, voici une méthode « africaine » qui convainc.

Du moins si l’on se contentait d’une lecture purement burkinabé. IL est possible que d’autres acteurs aient agi en sous-main : les voisins (Côte d’Ivoire), la France, la « communauté internationale. Constatons toutefois que la mission de médiation envoyée par l’Union Africaine s’est fait poliment éconduire ; que la France ne paraît pas avoir été à la manœuvre même si elle a pu appuyer, ici ou là, tel moment du processus (et notamment l’évacuation, in extremis, du président déchu) : toutefois, on entend peu de rumeurs suggérant que les vieux réseaux ont été à l’œuvre. Quant à la communauté internationale, au-delà des discours habituels et finalement inaudibles, elle a certainement pressé en coulisse en faveur d’un déroulement pacifique mais le réalisme oblige à convenir que cela a souvent peu d’effets, n’en déplaisent aux complotistes.

Voici en fait la vraie surprise de cette affaire : qu’elle ait pu rester cantonnée à un seul pays et qu’on n’observe pas de débordement transfrontaliers ou d’imitation dans les pays voisins. AU fond, le respect d’un cadre national est la vraie bonne nouvelle de l’affaire : alors qu’on ne cesse de nous dire que les frontières issues de la décolonisation sont malvenues (sous-entendant ainsi qu’il faut les redécouper, sur une base ethnique et donc quasiment raciale…), le Burkina Faso nous rappelle d’une nation est d’abord un projet politique, résultat d’une volonté de vivre ensemble et qui peut adapter des déterminations traditionnelles à des constructions politiques.

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