Sur les ruines d'un mausolée nucléaire, la nouvelle instabilité (Th Lamidel)

Avant même les déclarations de D. Trump, la reprise des essais nucléaires était à l'ordre du jour.
Sur les ruines d'un mausolée nucléaire, la nouvelle instabilité (Th Lamidel)
Crédit Reporterre

Donald Trump a évoqué cette semaine à Séoul la reprise d'essais nucléaires américains. Il évoquait probablement les essais de vecteurs, comme nous l'avons précisé à Public Sénat le 30 octobre (ici). Mais la question des essais s'inscrit dans une perspective plus large, retracée ci-dessous par Thibault Lamidel. Merci à lui; LV

Le mausolée nucléaire est l'édifice politico-militaro-juridique (1992 – 2025 dans le cas français) établi au lendemain de la cession des essais nucléaires. C'était l'idée de la fin de la mise à l'étude d'armes nucléaires, toujours plus optimisées que les précédentes. Une certaine stabilité nucléaire paraissait devoir se déployer.

Selon un phénomène lié, les arsenaux avaient vocation à se réduire sans cesse. Étions-nous engagés dans la poursuite « de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace », comme le dispose l'article 6 du Traité de Non-Prolifération (TNP) ?

Ce mausolée pourrait s'être écroulé. La République populaire de Chine n'offrait pas la moindre pierre à sa construction. Les décisions britanniques (16 mars 2021) et françaises (18 mars 2025) semblent définitivement saper ses fondations. Jusqu'à une « prochaine « reprise des essais nucléaires ?

Une quatrième base aérienne à vocation nucléaire française

 Le 18 mars 2025, Emmanuel MACRON, président de la République ouvrait la porte à une des très rares ruptures militaires françaises depuis 1945 : une augmentation de l'arsenal nucléaire français. C'est le sens pouvant être donné à la décision de créer une quatrième Base Aérienne à Vocation Nucléaire (BAVN) à Luxeuil, tournée vers l'Est de l'Europe et donc le front de l'Alliance atlantique. Par l'interview[1] accordée au Frankfurter Allgemeine Zeitung, le président insiste à nouveau sur le renforcement de la composante aéroportée, à l'occasion du programme ASN-4G (Air-Sol Nucléaire de 4ième Génération) et devant entraîner logiquement une cible plus haute de sa charge « spéciale » (TNA 2).

Suspension des essais

Au terme d'une séquence politico-stratégique initiée par les deux « Grands » dans le courant des années 1980, l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) s'engageait, selon la déclaration du 05 octobre 1991 de Mikhaïl GORBATCHEV, Secrétaire général du Comité central du Parti communiste de l'Union soviétique, dans un moratoire unilatérale suspendant les essais nucléaires.

Le 02 octobre 1992, soit trois jours avant l'expiration du moratoire soviétique, George H. W. Bush, 43ième Président des États-Unis d'Amérique, signait la Fiscal Year 1993 contenant l'amendement Hatfield-Exon-Mitchell. Celui-ci dispose que « no underground test of nuclear weapons may be conducted by the United States after September 30, 1996, unless a foreign state conducts a nuclear test after this date, at which time the prohibition on United States nuclear testing is lifted. »

Le 08 avril 1992, François Mitterrand,alors Président de la République, décidait de l'établissement d'un moratoire sur les essais nucléaires français. Le dernier datait du 15 juillet 1991. Et le programme Simulation fut lancé – brillamment et avec grand succès – en catastrophe.

Le Traité d'Interdiction Complète des Essais (TICE) Nucléaires (TICEN) ou en Anglais Comprehensive Nuclear-Test-Ban Treaty (CTBT) était adopté, le 10 septembre 1996 et ouvert à la signature le 24 septembre 1996. Il n'a toujours pas reçu le nombre nécessaire d'instruments à sa ratification : seules 36 reçues à ce jour, sur les 44 nécessaires.

Le mausolée nucléaire français

Nous trouvons pourtant dans cette période (1991-1996) la 1ère pierre du mausolée nucléaire français car c'est à partir de cette rupture historique qu'est abandonné l'idée de supériorité nucléaire : les essais servaient, outre aux sujets de sécurité et de sûreté nucléaires, à « optimiser » les armes nucléaires et donc à suivre la courbe de leur modernisation, accroissant d'autant leur efficacité militaire. En ce sens, la dernière campagne (13 juin 1995 - 29 janvier 1996) brisait, certes, le moratoire français mais ne servait qu'à achever la conception de la TN 75 et les travaux sur les charges robustes (les futures TNO et TNA). La TN 100 était bel et bien abandonnée en faveur de la future TNO. En ce sens, il s'agissait d'une épreuve anachronique devant achever le programme Simulation et non pas d'une rupture politique d'avec les positions diplomatiques des autres puissances nucléaires.

La décision de mars 2025

Emmanuel Macron révélerait qu'il a décidé d'une augmentation franche de l'arsenal nucléaire français (18 mars 2025), pour des considérations stratégiques relativement différentes de celles du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (16 mars 2021).

Après l'allocution prononcée devant la House of Commons par le Prime minister, M. Boris Johnson, le 16 mars 2021, a été publié Global Britain in a Competitive Age:the Integrated Review of Security, Defence, Development and Foreign Policy (2021, 114 pages). Au terme de nombreuses justifications, Londres déclare vouloir revenir sur la décision, entérinée par la 2010 Strategic Defence and Security Review, de réduire l'arsenal à 180 têtes nucléaires dont 120 déployées. « UK will move to an overall nuclear weapon stockpile of no more than 260 warheads » (p. 76).

Le Royaume-Uni est la première puissance nucléaire du Traité sur la Non-Prolifération des armes nucléaires (TNP) a augmenter - officiellement - le nombre de têtes nucléaires. C'est une rupture historique, fondée sur des considérations de crédibilité stratégique : la salve par Sous-marin Nucléaire Lanceur d'Engins (SNLE), soit 40 têtes, représentait, environ, la moitié de celle des SNLE américains et français.

Dissuasion élargie ?

La rupture française recèle un sens stratégique différent car, et comme vient de l'exposer, une deuxième fois déjà, le Président de la République : il s'agit d'abonder le volume du nombre de têtes, de vecteurs et de plateformes afin de matérialiser une dissuasion élargie, déployée au sein des sphères de l'Union européenne et fatalement de l'Alliance atlantique. C'est l'idée que la stricte suffisance suppose un volume de feu désormais supérieur, pour différentes raisons militaires qui touchent à la crédibilité d'une dissuasion élargie, en raisons de compréhensions européennes bien différentes de celles françaises quant à la crédibilité du feu nucléaire de Paris.

Pourquoi donc s'aventurer à prophétiser une reprise des essais, une idée paraissant de prime abord saugrenue à n'importe quel esprit formé à ces questions ? C'est en réalité contre-intuitif.

Il existe une divergence franco-américaine à ce sujet car Paris défendait l'équivalent d'une option « zéro ». Les États-Unis d'Amérique ne s'interdisaient pas une reprise des essais sous-critiques : faire détoner un dispostif jusqu'à l'amorce chimique mais sans une « amorce » contenant des matières fissiles. Le 34ème essai sous-critique fut conduit par les États-Unis le 16 mai 2024. En élargissant la focale, il y a eu des menaces de reprise d'essais nucléaires depuis l'invasion de l'Ukraine par la Fédéraiton de Russie (24 février 2022). Outre les protestations, l'Inde se disait prête à suivre. Et dans cette perspective : l'amendement Hatfield-Exon-Mitchell disposait bel et bien que « no underground test of nuclear weapons may be conducted by the United States after September 30, 1996, unless a foreign state conducts a nuclear test after this date, at which time the prohibition on United States nuclear testing is lifted. »

Qu'est-ce qu'un essai nucléaire ?

La remise en mouvement des arsenaux nucléaires amènera fatalement le sujet de la reprise des essais nucléaires :

–       soit car certains auront un trop grand retard à rattraper par rapport à l'état de l'art ;

–       soit car la pression stratégique les invitera à considérer de nouveaux vecteurs dont la crédibilité reposera sur une nouvelle optimisation des têtes ;

–       soit, et c'est plus pernicieux : les enjeux de la crédibilité, du point de vue de la certitude de la frappe et donc de la pression induite par les nouveaux systèmes d'interception (et pas seulement ABM), pourraient lourdement inviter à optimiser les têtes, afin de dégager des marges de manœuvre aux vecteurs en termes d'allonge et de manœuvrabilité. Une tête plus légère, ce sont des économies d'échelle sur toute la cinématique.

Alors, dans cette perspective : est-ce qu'une reprise des essais nucléaires, avec explosion selon la mécanique de la fission, voire de la fusion, vous paraît-elle désormais toujours aussi saugrenue ?

Thibualt Lamidel


[1] Von Michaela WIEGEL, « Emmanuel Macron im F.A.Z.-Interview: Russische Geheimarmee in Europa », Frankfurter Allgemeine Zeitung, 1ier octobre 2025, URL : https://www.faz.net/aktuell/politik/ukraine/emmanuel-macron-im-f-a-z-interview-russische-geheimarmee-in-europa-110712343.html, Consulté le : 02 octobre 2025.

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