L’électromobilité, étalon de la nouvelle donne industrielle mondiale (Y. Harrel)

La Vigie fait le point du secteur entre une industrie autommobile européenne étranglée, des Etats-Unis voulant se réindustrialiser et des Chinois maîtrisant la chaîne de valeur de la mobilité électrique
L’électromobilité, étalon de la nouvelle donne industrielle mondiale (Y. Harrel)
Photo by Matt Bloom / Unsplash

Les quelques mois écoulés depuis la première édition de mon ouvrage Électromobilité : des mines aux batteries, paru chez Nuvis début 2025, ont été le théâtre d’une accélération de tendances annoncées. En première ligne, la souffrance de toute l’industrie automobile européenne, étranglée à la fois par un corpus normatif abscons et pléthorique et par un renchérissement du coût de l’énergie. En seconde ligne, la volonté des États-Unis de se désendetter tout en se réindustrialisant, renforçant une guerre tarifaire avec de nombreux pays dans le monde, tout en incitant les acteurs productifs de ces pays à s’installer en Amérique. Et enfin, en troisième ligne, la maturité avérée de la chaîne de valeur industrielle chinoise dont les succès commerciaux inquiètent grandement plusieurs dirigeants politiques et économiques occidentaux.

La présente analyse offre l’opportunité de faire le point sur ces éléments. En premier lieu, de relever combien le succès des électromobiles chinoises ne se dément pas ni sur le plan domestique ni à l’international en raison d’une maîtrise industrielle devenue mature I) ; en second lieu, de bien expliciter l’attrait rationnel des autorités américaines pour les ressources minérales, essentielles pour leur industrie civile comme militaire II) ; en troisième lieu, de souligner la précarité de l’industrie européenne qui doit malgré tout continuer à répondre à des normes de décarbonation tout en maintenant son savoir-faire industriel III); en quatrième lieu, de dresser les perspectives des puissances du futur où le contrôle de la chaîne de valeur des mobilités 3.0 sera central IV).

I)                La persistance du succès des véhicules électriques chinois :

Depuis 2024, les ventes de véhicules électriques (BEV) ont connu un fléchissement notable, marquant un tournant après plusieurs années de croissance soutenue. En 2024, le marché mondial des électromobiles avait atteint un pic impressionnant avec environ 17,1 millions d’unités vendues, soit une hausse de 25 % par rapport à l’année précédente, portée principalement par la Chine. Cependant, cette dynamique s’est essoufflée dès la fin de l’année et s’est prolongée jusqu’à aujourd’hui (en avril 2025), révélant des défis structurels et conjoncturels.

En Europe, l’un des marchés clefs pour l’électrification, les ventes ont commencé à stagner dès mi-2024, avec une chute particulièrement marquée en août (-33,3 % en France, par exemple). Cette tendance s’est confirmée en 2025, où la part de marché des véhicules électriques a reculé dans plusieurs pays. En France, les immatriculations des électromobiles neuves ont baissé de 2,6 % sur l’ensemble de 2024 par rapport à 2023, stabilisant leur part de marché à 16,9 %, loin des 22 % visés par les normes européennes pour éviter des sanctions aux constructeurs (cf règlement (UE) 2019/631 avant sa révision par le règlement (UE) 2023/851). Au premier trimestre 2025, des données préliminaires indiquent au mieux une poursuite de cette stagnation, voire un léger déclin supplémentaire.

Plusieurs facteurs expliquent ce fléchissement.

D’abord et surtout (comme je l'avais déjà précisé dans mon ouvrage sur l’électromobilité), la réduction des incitations financières a joué un rôle majeur. En France, la réforme du bonus écologique en décembre 2024 a diminué les aides, passant de 5 000 à 4 000 euros pour les ménages aisés et les supprimant pour les entreprises, freinant ainsi la demande. En Allemagne, la décision de mettre fin aux subventions en décembre 2023 a également amoindri les ventes (la mesure fiscale portait sur 4 500 € pour tout véhicule électrique de moins de 40 000 €). Ensuite, l’offre de modèles abordables tarde à se concrétiser pleinement : bien que des véhicules comme la Renault 5 E-Tech ou la Citroën ë-C3 aient été accompagnés par un battage médiatique sur différents canaux, leur impact reste limité face à un attentisme des consommateurs attendant des prix encore plus compétitifs. L’inflation des années 2022, 2023 et 2024 a laissé des traces sur les habitudes de consommation (+9,2% sur les prix en 2022 au sein de l’Union européenne et +26,25% sur la période 2020-2025).

L’infrastructure de recharge, bien qu’en progrès en Europe (183 000 points de charge aux Pays Bas, 160 000 en Allemagne, 160 000 en France en avril 2025), reste perçue comme insuffisante, notamment pour les longs trajets, ce qui continue de décourager les acheteurs potentiels. S’y ajoute aussi la problématique de leur maintenance (à la fois par le coût financier et par la disponibilité technique 24/7). Par ailleurs, la concurrence des hybrides rechargeables et non rechargeables s’est intensifiée pour les véhicules à batterie. En France, les hybrides (HEV) ont vu leurs ventes bondir en 2024 (+38,7 % en novembre), captant une part croissante du marché au détriment des électriques purs (BEV), ce qui confirme la volonté des constructeurs de conserver le plus longtemps possible leur savoir-faire dans les motorisations à combustion interne et la volonté des consommateurs de privilégier une modalité de transport qui correspond à leur besoin réel en terme d’autonomie.

Enfin, des géants comme Tesla, malgré leur domination passée, ont vu leurs ventes fléchir. En Europe, la part de Tesla dans les ventes de véhicules électriques est passée de 18,4 % en 2024 à 7,7 % début 2025, reflétant une perte de terrain face à des constructeurs locaux et surtout chinois comme BYD. Ce ralentissement global soulève la question de la capacité de l’industrie à atteindre les objectifs ambitieux de décarbonation, alors que 2025 marque une année charnière avant l’entrée en vigueur de normes CO2 plus strictes. Si des prévisions optimistes tablaient sur un rebond cette année, les premiers mois de 2025 suggèrent que la transition vers l’électrique pourrait nécessiter des ajustements politiques et industriels plus audacieux, ce que l’élaboration précipitée du Clean Industrial Act a laissé entrevoir.

En Chine, les ventes de véhicules électriques (BEV) et hybrides rechargeables (PHEV ou NEV pour New Energy Vehicle, 中国新能源汽车 au niveau local, que nous avions déjà évoqué au sein de mon ouvrage) ont continué leur ascension fulgurante en 2024, avec des données récentes montrant une dynamique qui se prolonge en 2025. En 2024, les ventes au détail de ces véhicules ont atteint un record de 10,9 millions d’unités, soit une hausse de 40,7 % par rapport à 2023, selon la Fédération chinoise des constructeurs de voitures individuelles (CPCA). Cela représente 47,6 % des 22,9 millions de véhicules vendus dans le pays cette année-là. Les électromobiles 100 % électriques ont capté environ 28 % du marché, tandis que les hybrides rechargeables et à prolongateur d’autonomie (EREV pour Extended Range Electric Véhicle où le moteur thermique sert uniquement à recharger la batterie et n’a aucun action motrice contrairement à aux HEV et PHEV) ont complété le reste.

Cette croissance est largement attribuée aux subventions gouvernementales, bien que celles-ci aient été réduites ces dernières années, et à une guerre des prix intense entre constructeurs, notamment BYD qui domine avec plus de 4,27 millions de véhicules vendus en 2024 (soit environ 40 % du marché des NEV). En juillet 2024, les NEV ont dépassé pour la première fois les ventes de véhicules à combustion interne, atteignant plus de 50 % des immatriculations mensuelles. Les prévisions pour 2025 restent optimistes : ainsi la Deutsche Bank anticipe une augmentation de 3 millions d’unités supplémentaires, portée par des prix compétitifs (les électromobiles coûtent désormais moins cher que les thermomobiles en moyenne en Chine) et une demande soutenue, où 97 % des acheteurs chinois envisagent un véhicule électrique pour leur prochain moyen de locomotion.

Dans l’Union Européenne (UE), la situation des véhicules électriques chinois est plus contrastée, marquée par une montée en puissance freinée par des mesures protectionnistes. En 2023, environ 20 % des BEV vendus en Europe étaient fabriqués en Chine, part qui a grimpé à 25 % en 2024 selon Transport & Environment (T&E), incluant des modèles de marques chinoises (BYD, MG, Nio) et occidentales produites là-bas (Tesla, BMW, Dacia). Les marques sous capitaux chinois, comme BYD et MG, ont vu leur part passer de 7,9 % en 2023 à environ 11 % en 2024, avec des projections atteignant 14 % en 2025.

Cependant, depuis mi-2024, les ventes ont été impactées par des droits de douane supplémentaires imposés par la Commission européenne, allant jusqu’à 38 % (en plus des 10 % existants), en réponse aux subventions chinoises jugées déloyales. Ces taxes, entrées en vigueur en octobre 2024, vont très certainement ralentir l’élan initial.

Malgré cela, les constructeurs chinois s’adaptent stratégiquement en implantant des usines en Europe (ex. : BYD à Szeged en Hongrie, qui devrait être opérationnelle en fin d’année 2025) pour contourner les taxes et maintenir leur compétitivité. En outre, les électromobiles chinoises restent attractives grâce à leurs prix (souvent de 10 à 20 % inférieurs aux modèles européens) et à une offre diversifiée, mais leur progression dépendra de l’évolution des tensions commerciales et des capacités de production locale.

La tendance contemporaine est la suivante : la Chine poursuit la consolidation de sa mainmise domestique, tandis que l’UE oscille entre ouverture au marché et protectionnisme, tâchant de trouver une solution à un phénomène où l’industrie européenne, fragilisée par des décisions inconséquentes, peine à lutter à armes égales avec un concurrent en plein essor.

Il faut impérativement rappeler le rôle majeur des producteurs de batteries connectées quant à l’actuelle percée des électromobiles chinoises.

Ainsi, CATL, le leader mondial de la fabrication de batteries pour véhicules électriques, fournit un grand nombre de constructeurs automobiles européens en raison de l’urgence de la transition vers l’électromobilité imposée par l’Union européenne. L’entreprise chinoise domine le marché des batteries lithium-ion avec environ 37 % de part de marché mondial en 2024, et son expansion en Europe s’est accélérée grâce à des partenariats stratégiques et à la construction d’usines locales, comme celles en Allemagne (Erfurt), en Hongrie (Debrecen) et en Espagne (Saragosse). En attendant, elle fournit nombre de constructeurs européens comme BMW, Stellantis, Mercedes-Benz et Volkswagen. Se rendant de la sorte difficilement dispensable pour toutes ces marques dont la maturité technologique sur le créneau des batteries connectées n’est pas au même niveau (même si, par exemple, Volkswagen tente de diversifier ses fournisseurs avec LG Energy Solution).

Yann Vincent, le PDG d'ACC (pour rappel, une co-entreprise de batteries entre Stellantis, TotalEnergies et Mercedes-Benz), dans un échange rapporté publié par Reuters le 6 mars 2025, alertait les dirigeants de l’Union européenne en reconnaissant que « Nous savons que CATL est très en avance technologiquement et en termes de capacité de production. Ils ont une position dominante sur le marché mondial, et il est difficile pour les acteurs européens de combler cet écart rapidement.» (“We know that CATL is far ahead in terms of technology and production capacity. They have a dominant position in the global market, and it’s challenging for European players to close that gap quickly”).

Le couperet normatif de 2035 a par conséquent précarisé tout le secteur européen qui ne peut pas rivaliser en quelques années avec des industriels étrangers mariant compétences technologiques matures et coûts de développement comme de production compétitifs.

II)              Le difficile équilibre européen entre décarbonation et industrialisation :

Mon ouvrage sur l’électromobilité a démontré que l’évolution vers l’Automobile 3.0, en tant de démonstrateur privilégié de la double transition, risquait de provoquer sur le continent européen de sérieux remous industriels en raison de la difficulté pour les acteurs du secteur de respecter des normes draconiennes, notamment en matière de respect d’émission de gaz à effet de serre sur l’ensemble des séries produites.

Est visée très spécifiquement la norme CAFE (Corporate Average Fuel Economy) intégrée au corpus juridique européen par le règlement UE 2019/631 précité, lequel impose que la moyenne des émissions pour les voitures particulières neuves doit être inférieure à 81 g/km de CO2 depuis 2025 (il était de 95 g/km auparavant). L’ire des constructeurs tient surtout au fait que les pénalités sont lourdes : 95 € par gramme de CO2 dépassé, multiplié par le nombre de véhicules vendus. Concrètement, prenons l’exemple d’un petit constructeur qui aurait vendu 100 000 véhicules en 2025, avec une moyenne de 90 g/km au lieu des 81. Cela fera 9 g de différence, multiplié par les 100 000 véhicules en cause, ce qui à raison de 95 € d’amende pour chaque gramme en infraction, donnerait une sanction à régler de l’ordre de 85 500 000 €. Cet exemple est très sous-estimé puisque les constructeurs européens ont des volumes de plusieurs centaines de milliers de véhicules, dont certains dépassent allégrement les 81 g CO2/km. L’on peut saisir l’effroi desdits constructeurs, d’autant que comme nous l’avons vu , le marché de l’électromobilité automobile s’est singulièrement tassé depuis 2024, rehaussant mécaniquement la moyenne d’émissions de gaz à effet de serre.

L’année 2024 a de ce point vue été la confirmation relatée par l’ouvrage que les mois suivants seraient extrêmement compliqués pour les constructeurs européens. Certains ont même clairement et officiellement menacé de délocaliser leur production aux États-Unis.

La Commission Européenne, sans rien renier de ses errements et de son zèle, a décidé début 2025 de produire un nouveau texte amendant les dispositions antérieures afin de rasséréner les acteurs du secteur.

Plus que les amendements sur le CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) ou le CS3D (Corporate Sustainability Due Diligence Directive), c’est bien le Pacte vert (European Green Deal) qui a été dans le viseur des industriels du monde automobile dont l’activité est critique en cette année 2025. D’où l’empressement inhabituel de la Commission européenne à produire un nouveau document intitulé Pacte pour l’industrie propre (Clean Industrial Deal), censé théoriquement corriger les lacunes du document original.

Concrètement, qu’est-ce que le Clean Industrial Deal ? Référencé COM(2025) 85 Final, i a été présenté par la Commission européenne le 26 février 2025 durant les cent premiers jours du second mandat de la présidente Ursula von der Leyen. Le document est présenté comme une priorité stratégique afin de concilier compétitivité industrielle et décarbonation. Ce nouveau Pacte pour une industrie propre s’inscrit dans la continuité du Pacte vert européen (European Green Deal), mais avec un accent marqué sur le soutien aux industries face aux défis économiques mondiaux (sont visés la concurrence technologique chinoise et les mesures tarifaires américaines au travers de l’Inflation Reduction Act, mentionné au sein de mon ouvrage, ainsi qu’aux coûts énergétiques élevés (dont les causes sont escamotées, ce qui est passablement dommage). En somme le nouveau Pacte vise à réitérer l’objectif considéré comme majeur de la décarbonation tout en l’annonçant comme un moteur de croissance sans fragiliser l’avenir industriel de l’UE. L’on peut néanmoins s’étonner que le texte fasse part d’une intrication entre compétitivité et décarbonation, sans démonstration préalable, à l’instar de la double transition écologique et numérique dont on a, là aussi, omis de déterminer les interactions mutuelles et les réels bénéfices.

Le texte vise un soutien prioritaire aux secteurs clés que sont :

·        Les industries énergivores (métallurgie, chimie, cimenterie) nécessitant une aide urgente pour décarboner et électrifier leurs processus ;

·        Le secteur des technologies propres (appelés Clean Techs) que sont les énergies renouvelables, les batteries, l’hydrogène, la capture du carbone, etc., avec un objectif de produire 40 % des besoins européens en technologies zéro GES d’ici 2030.

Pour ce faire, l’Union européenne entend mobiliser plus de 100 milliards d’euros à court terme pour la fabrication de technologies propres, via des fonds existants (Fonds d’innovation, revenus ETS) et la création d’une Banque de décarbonation industrielle. S’y ajoutent 50 milliards supplémentaires pour le déploiement de technologies propres, de mobilité durable et de réduction des déchets, notamment via le programme InvestEU.

Il est fait mention d’une simplification réglementaire par la réduction de 25 % des obligations de reporting pour les entreprises dès mi-2025 (cf le CSRD évoqué précédemment), dans le souci d’alléger les charges administratives (économies estimées : 40 milliards d’euros).

D’autres pistes sont évoquées, dont il est encore bien compliqué d’entrevoir les modalités et encore moins les effets.

·        Lancement de l’Industrial Decarbonisation Accelerator Act (annoncé pour fin 2025) pour intégrer des critères de durabilité et de résilience dans les marchés publics et privés, favorisant les produits "made in Europe".

·        L’étiquetage volontaire sur l’intensité carbone des produits industriels (dès 2025 pour l’acier) ;

·        L’élaboration d’un Plan d’action pour une énergie abordable, visant à économiser 260 milliards d’euros d’ici 2040 grâce à l’électrification, à l’intégration des énergies renouvelables et des réseaux intelligents ;

·        La circularité (ou Économie circulaire spécialisée) au travers d’un Circular Economy Act attendu pour 2026, pour optimiser l’usage des matériaux rares et réduire les dépendances externes ;

·        La création d’une « Union des compétences » appuyée par 90 millions d’euros du programme Erasmus+ pour former une main-d’œuvre qualifiée dans les secteurs listés comme stratégiques.

L’on retrouve l’obsession pour la double transition, comme pour tous les textes majeurs depuis 2015 :

  • Écologique : le Clean Industrial Deal est une initiative pour accélérer la décarbonation industrielle et soutenir les objectifs de réduction des émissions (90 % d’ici 2040, neutralité carbone en 2050).
  • Numérique : le même document mise sur la digitalisation (exemple de la mention des réseaux intelligents, les Smart Grids, mais aussi les outils numériques autorisant la traçabilité des produits), dont la finalité est d’optimiser les processus industriels et énergétiques.

Depuis son dévoilement en février 2025, le texte de la Commission est en phase de discussion avec le Parlement européen et les États membres. Des plans sectoriels spécifiques (notamment l’industrie automobile) sont attendus d’ici fin 2025.

Incidemment, le Règlement (UE) 2023/1542 sur les batteries et les déchets de batteries, adopté le 28 juillet 2023 et en vigueur depuis le 17 août 2023 (le présent règlement remplace la directive 2006/66/CE, déjà mentionnée au sein de mes travaux dans Électromobilité : des mines aux batteries, et qui sera définitivement abrogée en août 2025) renforce les obligations de déclaration et de recyclage des batteries de véhicules électriques. Le nouveau document vise à rendre les batteries durables et traçables comme un élément clef de la transition écologique tout en amoindrissant son impact environnemental par rapport à la norme précédente.

Pour résumer, le règlement impose plusieurs conditions :

·        Depuis février 2025, les batteries pour véhicules électriques (VE) doivent déclarer leur empreinte carbone, avec des seuils maximums à partir de 2027.

·        Matériaux recyclés : Objectifs minimaux dès 2031 (ex. : 6 % pour le lithium, 85 % pour le plomb) ;

·        Recyclage : Taux de collecte de 65 % (2025) puis de 70 % (2030) pour les batteries lithium ;

·        Passeport numérique : Obligatoire dès février 2027 pour les batteries de véhicules électriques et industrielles (>2 kWh), avec données sur composition et état via QR code ;

·        Étiquetage par le marquage CE depuis août 2024, puis par un symbole de collecte séparée courant d’année 2025 ;

·        Responsabilité élargie : Les producteurs doivent organiser la collecte et le recyclage, avec des objectifs croissants ;

·        Due diligence : Depuis août 2025, audit des chaînes d’approvisionnement pour limiter les impacts sociaux et environnementaux (ex. : cobalt, lithium).

En définitive, les déclarations carbone pour les batteries des électromobiles sont effectives depuis février 2025, et les entreprises doivent s’adapter aux exigences de traçabilité. Les premiers rapports de conformité pour la Due diligence sont prévus mi-2025 mais en raison des turbulences liées au contexte géoéconomique, il faut attendre les prochaines décisions de la Commission européenne pour connaitre si les exigences seront maintenues en l’état, adoucies ou reportées.

III)             L’obsession minérale de la nouvelle administration Trump :

L’administration Trump depuis le retour du président au bureau ovale en janvier 2025, a manifesté un intérêt marqué pour les ressources minérales, motivé par des impératifs de souveraineté économique et de sécurité nationale face à la dépendance envers des importations, notamment chinoises.

Dès 2017, un décret présidentiel (Executive Order 13817, A Federal Strategy to Ensure Secure and Reliable Supplies of Critical Minerals) ordonnait la revitalisation du secteur minier américain, visant à réduire la dépendance aux terres rares et autres minéraux critiques comme le cobalt, le lithium ou le graphite, essentiels pour l'électronique, les batteries et la défense. Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche s’inscrit dans cette stratégie avec par exemple, pour l’Alaska, le décret de 2025 (Executive Order 14153, Unleashing Alaska's Extraordinary Resource Potential) qui lève les restrictions environnementales pour exploiter les ressources minérales et fossiles, au détriment des droits des communautés autochtones, dans le but de « débloquer ce butin de richesses naturelles » (Bounty of natural wealth).

De plus, l'intérêt pour le Groenland, évoqué dès 2019 et amplifié en 2025 au point de froisser les autorités locales et de tutelle (le Danemark), s'explique par ses vastes réserves de terres rares, estimées à 25 % des ressources mondiales, cruciales pour la transition énergétique et les technologies de pointe.

Enfin, un accord controversé avec l'Ukraine en 2025 illustre cette stratégie : Trump a négocié l'accès à 50 % des ressources minérales critiques ukrainiennes, incluant lithium et titane, en échange d'une aide militaire, visant à contrer l'influence chinoise qui domine 70 % de la production mondiale de ces minerais. Ces exemples témoignent d'une politique volontaire, souvent critiquée pour ses méthodes musclées et son impact environnemental mais justifiée par l'administration comme une nécessité géostratégique.

La guerre tarifaire entre les États-Unis et le reste du monde a accouché d’une rétorsion frontale de la part des autorités chinoises dont le pays est le principal visé en réalité en raison de ses compétences métallurgiques.

Ainsi, depuis le 4 avril 2025, la Chine a suspendu ses exportations de sept terres rares critiques (samarium, gadolinium, terbium, dysprosium, lutécium, scandium et yttrium) ainsi que des aimants permanents, en réponse aux droits de douane imposés par l'administration Trump, qui pouvaient atteindre jusqu'à 145 % sur les produits chinois. Cette décision, transformée en politique de licences d'exportation spéciales, plonge les industries américaines dans une crise potentielle, Pékin contrôlant environ 70 % de la production mondiale de terres rares et 90 % de leur raffinage. Poursuivant le bras de fer engagé par le nouveau chef d’État américain, le 9 octobre 2025, les autorités chinoises ont élargi cette liste à cinq autres métaux (holmium, erbium, thulium, europium, ytterbium). En outre, cette politique entend s’élargir à toute ressource minérale valorisée ou produit semi-fini en provenant de Chine qui concernerait un usage militaire par le pays client : ce qui est très souvent le cas en raison des applications duales.

Cet embargo s'inscrit dans une escalade de la guerre commerciale sino-américaine. La Chine, qui fournit 70 % des importations américaines de terres rares, utilise son quasi-monopole comme levier géopolitique, une tactique déjà employée en 2010 contre le Japon lors d'un différend territorial comme nous l’avions déjà évoqué dans mon dernier livre. Les nouvelles restrictions visent principalement les États-Unis mais pourraient indirectement affecter aussi l'Europe et le Japon, et sont susceptibles de se reproduire à l’avenir pour une durée, des secteurs et des pays clients différents selon un système d'autorisation encore en cours d'élaboration au moment de la rédaction du présent texte. Les entreprises américaines, notamment dans l’industrie militaire, l'aéronautique, l'automobile et la technologie, risquent de voir leurs chaînes d'approvisionnement gravement perturbées au fil de l’épuisement de leurs stocks.

Les terres rares sont essentielles à de nombreux secteurs de pointe. Dans l'industrie militaire, par exemple, un avion de combat F-35 nécessite plus de 400 kg de ces matériaux pour ses systèmes électroniques et moteurs. Dans l'aéronautique, les moteurs à réaction dépendent de composants à base de terres rares. Les semi-conducteurs, cruciaux pour l'électronique et les technologies de communication, sont également menacés. L'absence de stocks suffisants – car beaucoup d'entreprises américaines opérent en flux tendu – pourrait entraîner des arrêts de production sous 45 à 60 jours selon certains spécialistes en cas d'embargo persistant.

Le secteur automobile américain, particulièrement visé, fait face à une menace imminente. Les terres rares, notamment le dysprosium et le terbium, sont indispensables à la fabrication des aimants permanents utilisés dans les moteurs des voitures électriques et hybrides. Les constructeurs de Détroit, comme General Motors, craignent des ruptures de stock de moteurs électriques dans les semaines à venir, ce qui pourrait paralyser les chaînes de montage. Cette situation est d'autant plus critique que Trump avait promis de relancer l'industrie automobile via des droits de douane sur les véhicules importés, une stratégie désormais compromise par cette dépendance aux importations chinoises. De plus, l'absence de substituts viables à court terme aggrave la vulnérabilité du secteur.

Face à cette crise, les États-Unis cherchent à réduire leur dépendance. Leur Stratégie industrielle de défense nationale 2024 (National Defense Industrial Strategy 2024) vise à développer une chaîne d'approvisionnement intérieure complète d'ici 2027, avec des initiatives comme celle de MP Materials qui prévoit de produire des aimants au Texas. Cependant, ces projets nécessitent du temps, des recrutements de personnel qualifié et des investissements en outils de production et recherche/développement massifs, tandis que la Chine maîtrise des technologies d'extraction et de raffinage difficiles à reproduire rapidement. Comme déjà énoncé précédemment, certaines entreprises, ayant anticipé les tensions, disposent de stocks limités, mais la majorité des entreprises concernées restent vulnérables.

L'embargo chinois sur les terres rares, les machines-outils permettant le traitement d’icelles ainsi que les produits semi-finis, constitue une arme stratégique qui met cruellement en relief la fragilité des chaînes d'approvisionnement américaines en particulier, et occidentale de façon plus large. Le secteur automobile, pilier de l'économie américaine, risque des perturbations majeures, tandis que les industries de la défense et de la technologie feront face à des défis similaires. Cet épisode souligne l'urgence pour les États-Unis de diversifier leurs sources d’approvisionnement et d'investir dans des capacités domestiques, tout en naviguant dans une guerre commerciale aux conséquences imprévisibles.

IV)            Les trois piliers des puissances du futur :

L’automobile 3.0 est à la confluence de deux transitions, écologique et numérique, tout comme à l’intersection de compétences très avancées. Sa conception, sa confection et son alimentation est la résultante d’un niveau civilisationnel élevé où les compétences requises sont de premier ordre. De manière plus large et connexe, les mobilités 3.0 – poussées par l’essor des drones terrestres, maritimes, aériens utilisés individuellement ou en essaim – s’imposent dans les activités civiles et militaires.

Dans un futur où la domination mondiale dépendra de la convergence des capacités algorithmiques, métallurgiques et énergétiques, les puissances contemporaines et émergentes seront celles qui sauront allier développement de l’intelligence artificielle, maîtrise et valorisation des métaux stratégiques et production d’énergie durable et fiable. Ces trois piliers, au cœur de la double transition numérique et écologique, redessinent les hiérarchies globales. Les algorithmes avancés optimisent l’innovation et la sécurité ; la métallurgie façonne les matières premières pour les outils technologiques et numériques ; et l’énergie durable et fiable assure l’autonomie face aux bouleversements de tout ordre en complément des solutions fondées sur les énergies fossiles. Parmi les nations capables de combiner ces forces de manière optimale, trois se distinguent : la Chine, les États-Unis et la Russie, bien que l’Inde mérite aussi une mention.

La Chine peut être considérée comme un champion incontesté dans cette perspective de puissance. Ses capacités algorithmiques, portées par des géants comme Tencent et Alibaba et les développements récents des intelligences artificielles comme DeepSeek (généraliste) et Qwen AI (spécialiste), rivalisent avec l’Occident, tandis que son quasi-monopole sur les terres rares (70 % de la production mondiale est le chiffre le plus communément admis) et son expertise en raffinage dominent la métallurgie stratégique. Énergétiquement, elle excelle dans le solaire et investit dans l’hydrogène, visant à diversifier ses sources au-delà du charbon (qui représentait encore 5 205 TWh en 2022, soit 61% de la production énergétique totale). En outre, elle investit aussi conséquemment dans le nucléaire (le 14ème plan quinquennal a mis l’accent sur de nouveaux projets comme la nouvelle génération de réacteur nucléaire Hualong One, 华龙一号). Ses projets reflètent une stratégie équilibrée : maximiser les énergies renouvelables (en visant la neutralité carbone en 2060), maintenir une base de ressources fossiles pour la stabilité économique et moderniser son parc nucléaire. Sa vision centralisée, ses conglomérats très actifs sur le plan de l’innovation technologique et ses ressources propres lui confèrent une avance notable.

Les États-Unis, quant à eux, s’appuient sur une suprématie algorithmique inégalée, grâce à l’écosystème de la Silicon Valley (GAFAM et NATU notoirement), qui domine l’IA et le marché du Big Data (datamasse). Leur métallurgie, bien que dépendante des importations, se renforce avec des projets comme l’exploitation du lithium dans le Nevada par Tesla et des partenariats internationaux (comme l’accord sur les métaux avec l’Ukraine ou avec la République Démocratique du Congo). Sur le plan énergétique, suivant le cadre du programme Unleashing American Energy, ils combinent des innovations comme les nouvelles batteries Tesla 4680 NMC, les progrès de l’éolien offshore avec des turbines de 9 MW par GE Vernova ou la nouvelle génération de courant continu haute tension (HVDC) par utilisation de carbure de silicium (SiC) et de nitrure de gallium (GaN). Mais ils entendent profiter aussi de leurs réserves de ressources fossiles abondantes, dont la politique interne récente (discours de Donald Trump en date du 20 Janvier 2025 précité) vise à prolonger leur emploi. Enfin, ce même gouvernement encourage fortement les SMR (Small Modular Reactors) au travers de subventions par le Département de l’Énergie (DOE) au profit de jeunes pousses innovantes comme Last Energy et Oklo avec l’appoint de l’intelligence artificielle en matière de conception et de gestion.

Petit nucléaire : au-delà de l’énergie, la souveraineté technologique (Y. Gavriloff)
Quelle souveraineté technologique pour les petits réacteurs nucléaires ?

La Russie, souvent sous-estimée dans ce cadre, dispose d’atouts majeurs. Ses capacités métallurgiques sont impressionnantes : elle est un leader mondial dans le nickel (via Norilsk Nickel), le palladium et l’aluminium : des métaux cruciaux pour les batteries et l’électronique. Algorithmiquement, elle progresse avec des entreprises comme Yandex et Sberbank dans le domaine applicatif et de l’IA (YandexGPT) ou encore Kaspersky mondialement reconnue pour son expertise en cybersécurité, même si elle reste en retrait par rapport à la Chine ou aux États-Unis. Énergétiquement, ses vastes réserves de gaz et de pétrole, combinées à un potentiel encore extensible en  hydroélectricité et en nucléaire, lui offrent une base solide, et ce en dépit des sanctions par les puissances occidentales depuis 2014, renforcées en 2022.

L’Inde, en revanche, pourrait être une concurrente sérieuse mais avec des limites. Ses capacités algorithmiques sont en plein essor, grâce à une industrie tech florissante (Infosys, TCS) et une main-d’œuvre qualifiée en IA. Géologiquement, elle possède des réserves de fer et de bauxite qu’elle sait traiter métallurgiquement, mais dépend encore des importations pour les métaux rares comme le lithium ou le cobalt, mais sa dépendance au charbon et ses infrastructures inégales freinent son autonomie. L’Inde a le potentiel, mais sa montée en puissance nécessitera du temps à la fois pour la montée en gamme du personnel qualifié et pour le renforcement des infrastructures.

Au niveau de l’Europe, pourquoi pas l’Allemagne ? Si elle excelle en métallurgie industrielle (automobile, machines-outils) et manifeste un volontarisme énergétique (suite à ses efforts financiers colossaux pour les énergies renouvelables que sont le solaire et l’éolien au travers de l’Energiewende), elle manque de ressources minières propres et dépend des importations pour les métaux stratégiques. Sans compter que sa politique de se priver du gaz russe, abondant et bon marché, entrave inexorablement l’activité productive de ses entreprises ainsi que le pouvoir d’achat de ses ménages. Ses capacités algorithmiques, bien que solides dans l’industrie 4.0, ne rivalisent pas avec celles des géants sino-américains. Et la France ? Si elle a une réelle expertise et assise dans le domaine énergétique (principalement nucléaire, comme avec le succès de son EPR à Flamanville), les autorités ont délaissé au fil des décennies l’excellence de son écosystème minier (fer, charbon, nickel sur le territoire français mais aussi ailleurs comme en Afrique avec la bauxite en Guinée ou l’uranium au Niger) ainsi que métallurgique (baisse de la production d’acier depuis les années 2000, hausse de la facture énergétique depuis 2022 et baisse des subventions publiques). Au niveau algorithmique, la France peut s’enorgueillir d’accueillir Mistral AI et LightOn, cependant son écosystème est encore bien trop parcellaire et lacunaire pour espérer rivaliser avec les américains ou les chinois. Si aucune stratégie forte n’est déployée, avec des moyens techniques, financiers, humains conséquents, la Russie, avec ses matières premières abondantes, et l’Inde, avec son dynamisme démographique et technologique, pourraient ainsi la surpasser à long terme.

Ainsi, la Chine, les États-Unis et la Russie se positionnent comme les leaders potentiels de ce trio stratégique, combinant algorithmes, métaux et énergie avec une efficacité redoutable. L’Inde suit de près, mais devra surmonter ses faiblesses structurelles pour rejoindre ce peloton de tête.

Il est tout à fait envisageable que les partenariats industriels civil et militaire (civi-mili) se renforcent dans cette perspective. Il est à ce titre significatif que nombre d’industriels européens du secteur automobile, craignant pour leur activité, se soient déclarés prêts à honorer des commandes de leur État respectif pour convertir, du moins partiellement, leur outil de production à un effort industriel militaire. Tout comme des groupes du monde de l’armement, tels que  Rheinmetall ou Europlasma, ont proposé de racheter des usines produisant des automobiles pour les convertir en usines de matériel et munitions militaires.

Ce partenariat ou cette hybridation entre les secteurs industriels civil et militaire est une des pistes pour la convergence des capacités algorithmiques, métallurgiques et énergétiques dont les puissances du futur devront impérativement se rendre maîtresses pour dominer les enjeux technologiques et stratégiques à venir.

Auteur : Yannick Harrel, Docteur en Sciences de l'Ingénieur, Magister en Droit, Enseignant et conférencier sur les thématiques de la Cyberstratégie (gestion des ressources numériques du cyberespace) et de la Cybergéonomie (gestion des ressources géologiques du cyberespace). Dernier ouvrage bilingue en date : Électromobilité : des mines aux batteries / Electromobility : from the mine to the batteries aux éditions Nuvis en 2025.

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