La souveraineté minérale américaine, une constante des administrations Trump (Y. Harrel)
La politique extérieure américaine de D. Trump peut être notamment expliquée par son appétit pour les ressources minières : Ukraine, Canada et Groenland l'illustrent.
Le mercredi 30 juin 2025, à Washington, a été signé l’accord sur l’exploitation minière du sous-sol de l’Ukraine par les États-Unis. Un document dont la signature était initialement prévue pour le 28 février 2025 lors d’un entretien entre les dirigeants américain et ukrainien avant que le ton ne s’envenime au sortir de l’échange, notamment avec le vice-président James D. Vance. Annulé, jugé inéquitable ! mais pressée ensuite par les autorités américaines, la présidence ukrainienne décida de céder en quelques points tout en prétendant sauvegarder la souveraineté nationale sur ses richesses souterraines.
Si les clauses exactes de cet accord ne sont pas encore connues [1], les grandes lignes dévoilées laissent apparaître que les États-Unis disposeront d’une préséance sur tout autre État concernant la prospection, l’exploitation et la valorisation du sous-sol ukrainien.
Médiatisée à l’étranger en raison d’une diplomatie fort volontaire, cette politique débute pourtant par le territoire national et puise sa source à la première présidence de Trump en 2016, reflétant une volonté d’autonomie énergétique et de puissance géoéconomique par les matières premières.
Une stratégie énergétique domestique
Pour comprendre l’insistance du président américain, il faut impérativement revenir à son discours d’inauguration du 20 janvier 2025 :
« The inflation crisis was caused by massive overspending and escalating energy prices, and that is why today I will also declare a national energy emergency. We will drill, baby, drill.
America will be a manufacturing nation once again, and we have something that no other manufacturing nation will ever have — the largest amount of oil and gas of any country on earth — and we are going to use it. We’ll use it.
We will bring prices down, fill our strategic reserves up again right to the top, and export American energy all over the world…
With my actions today, we will end the Green New Deal… » [2].
Et si factuellement les ressources minérales n’ont pas été mentionnées directement, l’obsession pour les ressources énergétique (fossiles dans le cas présent) ouvrait largement la porte aux ressources minérales. Ce sera formellement le cas le 20 mars 2025 dans un ordre exécutif portant spécifiquement sur ce thème.
D’emblée, le propos est sans ambages :
« Our national and economic security are now acutely threatened by our reliance upon hostile foreign powers’ mineral production. It is imperative for our national security that the United States take immediate action to facilitate domestic mineral production to the maximum possible extent…
The Secretary of Defense shall utilize the National Security Capital Forum to facilitate the introduction of entities to pair private capital with commercially viable domestic mineral production projects to the maximum possible extent.
Further, within 30 days of the date of this order, the Secretary of Defense shall add mineral production as a priority industrial capability development area for the Industrial Base Analysis and Sustainment Program. »
On relèvera que secteurs civils et militaires seront mis à contribution pour atteindre au plus rapidement les objectifs [3].
Suppléée par un activisme diplomatique constant depuis 2016
Si l’accord sur les minerais ukrainiens défraie actuellement la chronique, l’insistance sur les ambitions territoriales canadiennes et groenlandaise (sous tutelle danoise, rappelons-le) ne saurait être une spécificité de l’administration Trump. Ainsi, comme je le relatais en 2019 suite à la première proposition américaine d’acheter le Groenland au Danemark :
« Pour scandaleux que celui puisse paraître, il n'en apparaît pas moins que le propos - du point de vue américain - se justifie amplement par une histoire fondée sur l'appropriation puis l'aménagement du territoire au travers de la conquête militaire... et des cessions.
Certaines d'entre elles le furent au travers d'une transaction commerciale : territoire contre versement numéraire. Ainsi furent cédés la Louisiane en 1803 (entendue au sens très large puisqu'elle débordait sur treize états actuels) ; l'extension de l'Arizona et du Nouveau Mexique en 1853 (prévu initialement pour favoriser le chemin de fer transcontinental) ; l'Alaska en 1867 (opérée par le Tsar pour des raisons de difficultés logistiques en cas d'agression par les États-Unis ou le Royaume-Uni) ; Porto Rico en 1898 (suite à la guerre victorieuse contre l'Espagne mais la cession s'est opérée malgré tout avec une compensation financière) et enfin les Îles Vierges en 1917. Ce dernier exemple doit être souligné au regard de la présente proposition puisque ces territoires maritimes appartenaient justement au... Danemark (oui, il y eut une colonisation scandinave et balte en zone Amérique du Nord et Caraïbes mais ceci est une autre histoire). » [4].
Élément complémentaire qui peut expliquer partiellement cette intérêt prononcé : le Groenland renfermerait 25% des réserves mondiales de terres rares (17 métaux critiques utilisés dans les technologies de pointe), sans compter les minerais renfermant du cuivre, de l’or ou du zinc. Encore faut-il bien préciser que nombre de chiffres avancés dans les médias sont des extrapolations et non des confirmations [5].
Si l’appropriation des ressources estimées (et fantasmées) du Groenland est pour l’heure une perspective lointaine, l’Ukraine avec son récent accord est une démonstration avérée du succès des « coups de butoir » diplomatiques américains. Puisque ce dernier consacrerait les États-Unis comme co-gestionnaire du sous-sol, et si l’Ukraine resterait nominalement souveraine de son territoire et de ce qui se trouve dans le sous-sol, la vérité est que les États-Unis auront un pied sur les terres et surtout dans les mines ukrainiennes. Lithium, graphite, titane, manganèse, terres rares : les métaux stratégiques n’y manquent pas. S’y ajoutent des quantités de gaz et de pétrole dont l’exploitation est rendue pour l’heure compliquée par la présence ou la proximité des troupes russes et, en corollaire, l’incertitude sur la délimitation des zones territoriales post-conflit.
Pour le Canada, ce voisin si singulier des États-Unis, l’entente n’a pas toujours été cordiale au fil de leur histoire, malgré leur proximité géographique. Les Européens sont souvent ignorants par exemple de la tentative ratée d’envahir le Québec en 1775 par les toutes jeunes forces américaines (l’indépendance sera déclarée formellement en 1776), ainsi que de la guerre de 1812 qui se déroula sur les deux territoires, actant le refus des sujets canadiens de quitter le giron de la couronne britannique et mettant en sommeil le rêve d’une Amérique du Nord débarrassée de toute ingérence européenne. Le traité de Washington en 1871 permit de rasséréner les deux parties en réglant les différends territoriaux encore en suspens. Le XXème siècle fut celui du rapprochement, notamment sur les plans militaire (exemple du NORAD, North American Aerospace Defense Command en 1958) et commercial (NAFTA, North American Free Trade Agreement en 1994). Avant un retour des frictions au début du XXIème siècle, illustrées par l’annulation du projet Keystone XL ou le statut du passage du Nord-Ouest, mais plus encore par la constante rhétorique de faire du Canada le 51ème État des États-Unis d’Amérique.
Le 7 Janvier, alors que sa prise de fonction n’était pas encore effective, Trump déclara notamment ceci :
« You get rid of that artificially drawn line, and you take a look at what that looks like, and it would also be much better for national security. Don't forget, we basically protect Canada. But here's the problem with Canada. So many friends up there, I love the Canadian people. They're great, but we're spending hundreds of billions a year to protect it. We're spending hundreds of billions a year to take care of Canada. We lose in trade deficits. ».
Visions militaire et financière sont officiellement mises en avant mais la réalité minérale, obsédant la nouvelle présidence, ne peut être absente en raison de réserves prouvées (exemple : les 500 000 tonnes d’uranium des mines du Saskatchewan). Quant aux ressources fossiles, plus particulièrement le pétrole, les 171 milliards de barils paraissent bien alléchants pour un chef d’État dont le discours fut précisément de soutenir la politique d’extraction d’icelles.
Une diplomatie minérale frontale
Si la politique internationale de Biden a été une parenthèse plus édulcorée de la politique trumpienne (et encore faut-il souligner la signature de textes malgré tout très contraignants pour les partenaires économiques des États-Unis comme l’Inflation Reduction Act ou le CHIPS and Science Act en 2022), le retour revanchard de son prédécesseur a signifié un volontarisme diplomatique appuyé pour assurer à son pays un accès à des ressources fossiles et minérales à moindre coût, voire à leur possession.
Cette politique peut cependant susciter de vigoureuses contre-attaques, à commencer par son concurrent direct, la Chine, courroucée par la guerre tarifaire lancée par son homologue d’outre-Pacifique.
Prenons pour exemple symptomatique la suspension officielle de la production du robot humanoïde Optimus (dénommé aussi Tesla Bot) en raison de l’embargo – ou plutôt de la politique de licences d’exportation – imposée par la Chine sur les aimants au néodyme-fer-bore (Nd2Fe14B), cruciaux pour l’alimentation des moteurs miniaturisés dudit automate. Or, même les États-Unis sont dépendants de tels éléments manufacturés. Cet effet collatéral est d’autant plus marquant que le PDG de Tesla, Elon Musk, est aussi un très proche conseiller de Donald Trump. Pour les autres exemples, je renvoie à mon étude sur la Chine comme puissance métallurgique affirmée et revendiquée [6], ce qui incidemment conforte l’exécutif états-unien dans son obsession pour la captation de nouvelles sources d’approvisionnement et de relocalisation d’activités métallurgiques [7].
La politique de souveraineté minérale très offensive de l’administration Trump pourrait-elle s’essouffler et être amendée à terme ? À la marge, oui, dans le souci d’éviter des effets de bord préjudiciables pour l’économie américaine plus que pour ménager les susceptibilités des pays concernés. Il y a cependant tout lieu de conjecturer que jusqu’à sa fin de mandat, le président actuel va s’attacher à se garantir des accès – directs et indirects – à un maximum de ressources, aux meilleurs prix et par des voies logistiques amicales ou « amicalisées » comme l’exprime sa pression sur le groupe hong-kongais CK Hutchison présent aux deux embouchures du canal du Panama [8].
Le caractère tonitruant du nouveau dirigeant américain ne doit aucunement masquer une réalité, celle de l’impérative maîtrise de la chaîne de valeur, du berceau au tombeau, de toutes les technologies contemporaines et en gestation pour les puissances du futur.
Yannick Harrel : Docteur en Sciences de l'Ingénieur, Master en Droit, Enseignant et conférencier sur les thématiques de la Cyberstratégie (Souveraineté industrielle numérique) et de la Géocyberéconomie (Énergie et matières premières). Auteur de l’ouvrage Electromobility : from the mine to the batteries aux éditions Nuvis en 2025.
[1] Le media The Kyiv Independent a délivré le 1er Mai une version de ce texte qu’il convient de considérer avec prudence, en attendant une version intégrale officielle par les exécutifs respectifs liés par l’accord. The Kyiv Independent, The full text of the US, Ukraine minerals agreement, 1er Mai 2025, Lien : https://kyivindependent.com/the-full-text-of-the-us-ukraine-minerals-agreement/
[2] Donald J. Trump, The Inaugural Address, The White House, 20 Janvier 2025, lien : https://www.whitehouse.gov/remarks/2025/01/the-inaugural-address/
[3] Donald J. Trump, Immediate Measures to Increase American Mineral Production, The White House, 20 Mars 2025, lien : https://www.whitehouse.gov/presidential-actions/2025/03/immediate-measures-to-increase-american-mineral-production/
[4] Yannick Harrel, Achat du Groenland par les États-Unis : une continuité géohistorique [Purchase of Greenland by the United States: a geohistorical continuity], Researchgate, 12 Octobre 2019, lien : https://www.researchgate.net/publication/387059404_Achat_du_Groenland_par_les_Etats-Unis_une_continuite_geohistorique
[5] Les gisements de terres rares, comme ceux de Kvanefjeld (1,1 milliard de tonnes de ressources estimées, contenant 11,1 millions de tonnes d’oxydes de terres rares) et Tanbreez (28 millions de tonnes de ressources) sont des ressources estimées et non des réserves prouvées. De la même manière que le gisement de fer d’Isua est censé renfermer environ 1 milliard de tonnes de ressources estimées, mais non confirmées à ce stade.
[6] Yannick Harrel, L’affirmation de la Chine comme puissance métallurgique, 14 Mars 2025, La Vigie, lien : https://www.lettrevigie.com/laffirmation-de-la-chine-comme-puissance-metallurgique-y-harrel/
[7] L’agence fédérale US Geological Survey produit annuellement des comptes-rendus sur la production, la consommation et l’importation de matériaux stratégiques par les États-Unis ainsi qu’une liste mise à jour des matières premières critiques. Lien : https://pubs.usgs.gov/publication/mcs2025/
[8] Op. Cit.