La prolifération nucléaire (2/2) JD

2ème de deux articles des années 2000 sur la prolifération
La prolifération nucléaire (2/2) JD
Photo by Casey Horner / Unsplash

LA PROLIFERATION EN QUESTIONS 

La thèse qui suit suggère d’étudier comment passer du concept de plus en plus décalé de lutte contre la prolifération des armes de destruction massive à de nouveaux concepts, prioritaires ceux-là, comme celui de soutien à la stabilité stratégique et celui de lutte contre la prolifération des armes spéciales du terrorisme stratégique. Aujourd’hui ces différentes pistes semblent brouillées et interférer négativement.

Cette réflexion n’est pas vraiment nouvelle et le débat est actif depuis le temps des origines atomiques. Mais il semble qu’une nouvelle fracture stratégique en matière d’armes spéciales se soit produite et que nous tardons à l’identifier Ne sommes-nous pas arrivés à un plateau d’évolution de ces armes de supériorité stratégique qu’étaient les armes nucléaires développées pendant la guerre froide ? Ne sommes-nous pas à la fin d’un cycle en matière de non-prolifération ? Le danger ne vient-il pas d’ailleurs ? Quel est le nouveau chantier en matière de sûreté stratégique ? 

Non-prolifération : fin du cycle des armes nucléaires de la guerre froide.

En ces temps-là, la prolifération verticale et horizontale des armes nucléaires, avait pour principal objet un surclassement militaire dont l’effet principal fût de neutraliser toute forme de bataille ouverte entre les Grands. Or les temps héroïques et dangereux de la « deterrence » que chacun connaît sont aujourd’hui révolus même si « l’ombre portée » sur la sécurité du monde par les arsenaux nucléaires stratégiques résiduels (et conséquents) conserve toute son importance stabilisatrice. Mais c’est pour réguler cette approche, atomique, de la supériorité stratégique qu’a été progressivement établi le cadre des traités et régimes qui, depuis 1968, a entrepris d’enrayer la prolifération des armes nucléaires, tout au moins toute prolifération incontrôlée hors du cercle des propriétaires autorisés, et dotés, qui se trouve recouper exactement celui des membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies.

Même si des programmes cachés ont établi trois nouveaux acteurs nucléaires stratégiques de facto (Israël, Inde, Pakistan), l’effort de non-prolifération a largement porté ses fruits et beaucoup de pays tentés par cette capacité unique censée sanctuariser leurs intérêts, y ont renoncé sous la pression générale. Certains ont exercé un chantage en la matière et monnayé habilement leur retenue ; d’autres enfin s’en sont tenu à une sage réserve et en ont développé une puissance virtuelle.

Mais pour des raisons explicables mais critiquables, nous n’en finissons pas de confondre capacités scientifiques, aptitudes technologiques, fabrication de matières sensibles et constitution de forces ; nous amalgamons ensemble sans discernement, les recherches, le prototypes, les armes et les outils notamment balistiques qui les délivrent. Un rideau de fumée masque cette réalité objective : la prolifération nucléaire stratégique n’est plus une réalité. Convenons-en enfin et surtout tirons les leçons des efforts fructueux effectués.

Parmi-celles-ci, il convient tout d’abord de maintenir la pression pour éviter toute nouvelle flambée de dissémination cachée des technologies susceptibles de conduire aux armes nucléaires. Il faut pour y parvenir sans doute encore sophistiquer les régimes existants, introduire des clauses nouvelles de non-prolifération dans les relations internationales, coordonner les différentes activités qui en traitent. Il faut enfin éviter à tout prix, y compris à celui de l’action préventive, l’accession d’acteurs non-étatiques aux arsenaux nucléaires. Cette éventualité aujourd’hui écartée peut se produire, notamment en cas de défaillance d’un Etat doté. Il faut y être attentif et s’y préparer. Mais il faut aussi reconnaître sagement, sinon publiquement, les vertus des programmes cachés mais finalement légitimes qui, à défaut d’être légaux, ont permis de stabiliser des équilibres stratégiques nouveaux (notamment en Asie du Sud). Sans autre souci que l’efficacité d’une régulation stratégique régionale, il faut introduire ces partenaires (et sans doute quelques autres aussi) dans le jeu géostratégique ouvert et l’encadrement juridique des différents régimes existants. On avance bien sûr avec grande prudence sur ce dossier sensible mais qui ne peut plus être durablement tenu à distance si l’on veut véritablement garantir les équilibres de la planète au XXIème siècle Des recherches sur la stabilité régionale « assistée » doivent être entreprises.

Enfin, il convient de faire évoluer la terminologie et de renoncer à mélanger indistinctement les armes nucléaires, chimiques, biologiques et leurs vecteurs de délivrance dans ce qui est aujourd’hui un amalgame qui fait écran à la réalité des dangers et ne permet pas d’adopter une posture adaptée permettant de contrer dangers et risques, notamment ceux du terrorisme stratégique. N’utilisons plus l’expression fourre-tout « arme de destruction massive » pour parler des armes nucléaires, parlons plutôt des « armes de supériorité stratégique » et préservons leur rôle potentiellement stabilisant.

Non-prolifération : début du cycle des armes spéciales du terrorisme.

Observons pour commencer que les armes spéciales employées par les terroristes n’ont pas fait appel aux substances spéciales mortelles qui avaient été dénoncées par les Cassandre de service comme devenant les armes décisives de demain ; pas plus de substances radiatives, que d’agents toxiques biologiques ou chimiques dans les attentats stratégiques.

S’il faut se garder de tirer aucune conclusion rassurante de cette constatation factuelle, on doit en tirer quelques leçons que le bon sens suggère. D’abord celle que la facilité et la sûreté invitent les terroristes à utiliser des ingrédients banalisés dont la projection ou l’inflammation par substances explosives est hautement mortelle (clous, ferrailles, gaz ou fuel …) ; l’imagination mortifère n’a pas de limite pour ce faire. Ensuite que la manipulation des substances spéciales est assez technique, dangereuse et hasardeuse et ne permet donc pas de garantir les effets escomptés (Rappelons-nous que les « Scud chimiques » irakiens ne fonctionnaient pas lors de la guerre du Golfe). Enfin que les mesures de protection des populations prises par beaucoup de gouvernements occidentaux en particulier ont sans doute eu un effet dissuasif sur les velléités d’emploi des instruments de terreur comparables à ceux manipulés par la secte Aoun en 1996 ou plus près de nous par les fous de l’Anthrax aux Etats unis. Mais il est probable que les terroristes ont réfléchi aux moyens de doper par ces substances spéciales mortelles leurs bombes classiques.

Pour lutter contre la prolifération de ces armes spéciales du terrorisme aveugle, il faut d’abord pouvoir se faire une idée précise à la fois de leur degré de dangerosité mais aussi de leur capacité terrorisante et donc de leur impact sur l’intégrité de l’opinion publique. Des études, qui relèvent de l’analyse de la vulnérabilité physique et psychologique sont à conduire pour approfondir les données présentées ci-dessous.

C’est seulement après un travail scientifique sur ce sujet que des mesures de protection et des régimes de non-prolifération spécifiques pourront être adoptés. Il y a fort à parier qu’ils n’auront pas grand-chose à voir avec ceux qui ont cours aujourd’hui en matière de non-prolifération. C’est qu’en effet les dispositions prises en matière de convention chimique et biologique se réfèrent implicitement aux armes anciennes établies par les acteurs de la guerre froide dans leurs programmes cachés d’armes spéciales (gaz de combat, souches de maladies mortelles …). Le terroriste d’aujourd’hui pense à autre chose, de beaucoup accessible, de plus beaucoup plus banal et de moins sophistiqué.

C’est peut-être l’un des effets pervers d’une réussite certaine de la lutte contre la prolifération nucléaire que d’avoir dirigé vers les acteurs non-étatiques et les armes non-conventionnelles, spéciales, la conflictualité désormais trop bien régulée du monde de l’après-guerre froide.

La volonté de ne pas subir (« la liberté d’action ») multipliée par la capacité de nuire à moindre frais (« l’économie des moyens ») et combinée à « l’effet de surprise » forme le triangle de concepts classiques qui sous-tend ce terrorisme nouveau qui semble proliférer aujourd’hui.

C’est donc des parades nouvelles qu’il faut désormais adopter pour contrer cette prolifération-là. Il faut à la fois réduire les vulnérabilités existantes, diminuer les conséquences physiques et psychologiques d’une attaque par moyens non-conventionnels, détecter et réduire les acteurs principalement non-étatiques capables d’utiliser les armes du terrorisme aveugle. Pour y contribuer, il est évident qu’il faut mettre en place des régimes de contrôle des explosifs classiques et des matériaux sensibles susceptibles de doper les bombes à usage anonyme de destruction brutale. C’est aussi un champ ouvert à la contre-prolifération par destruction des arsenaux potentiels et des sources de financement criminel qui leurs sont en général associés, au premier rang desquels figurent les ressources de la drogue.

N’utilisons plus l’expression fourre-tout « arme de destruction massive » (WMD) pour parler des armes biologiques, chimiques et radiatives, parlons plutôt des « armes de la terreur aveugle » (WBT).

La communauté internationale a fait de la lutte contre la prolifération un élément du « stratégiquement correct » et lancé pour ce faire programmes, missions et même guerres préventives. Mais le réalisme et l’importance du danger actuel obligent à ne pas traiter le terrorisme stratégique nouveau avec les instruments anciens de la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive héritées des temps de la guerre froide.

La lutte contre la prolifération des armes de destruction massive (WMD) doit désormais être remplacée par une lutte pour l’encadrement politique des armes de supériorité stratégique (WSS) et pour l’élimination des armes de la terreur aveugle (WBT). Jean Dufourcq - 2004

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