Évolutions tactiques au cours de la troisième année de guerre d'Ukraine
Trois jeunes analystes présentent pour LV les modes de combat tactiques russes et ulkrainiens au bout de trois ans de guerre. Merci à eux.En février 2025, le Royal United Services Institute (RUSI) a publié un rapport sur les changements de tactiques au cours de la troisième année de guerre entre l’Ukraine et la Russie. Ce document a été rédigé par Jack Watling et Nick Reynolds, tous deux responsables du domaine « guerre terrestre » au sein du RUSI. Cet article est issu d’une note de recherche écrite à la suite d’un travail de terrain effectué entre novembre 2024 et janvier 2025.
- Contexte opérationnel et adaptations tactiques
Le rapport décrit que sur les 800 000 soldats ukrainiens (incluant la police, les gardes-frontières etc...), 75% furent affectés à des fonctions distinctes des opérations de combat. De ce fait, la défense d’une ligne de contact d’environ 1200 km traduit un rapport de force défavorable à l’Ukraine, situé entre 1 contre 2 et 1 contre 6 en faveur de la Russie selon les domaines du combat.
Tactique des forces armées ukrainiennes (FAU)
Les tactiques des FAU reposent sur la dispersion de leurs forces afin de limiter les pertes. Certaines unités choisissent de regrouper leurs effectifs, en misant sur leur capacité à se camoufler, à utiliser des leurres et à se replier rapidement vers des positions secondaires préparées à l’avance. D’autres, au contraire, optent pour une dispersion accrue, afin de se protéger des frappes ennemies. Les véhicules blindés sont camouflés à environ 3 km de la ligne de front afin de se protéger des drones. Selon le rapport, les brigades d’artillerie ukrainiennes disposeraient de bataillons ISR chargés des drones de reconnaissance longue portée.
Une section d’infanterie couvre généralement un segment de front compris entre 70 et 200 m. Les soldats y occuperaient des positions de combat espacées d’environ 50 m, regroupés en binômes ou trinômes. Une brigade aurait cependant indiqué qu’elle tenait un front de 27 km avec seulement quatre bataillons.
Afin de limiter les capacités russes à exploiter les brèches dans les lignes de défense ukrainiennes, les FAU ont cherché à maintenir les forces russes à distance sans toutefois expliciter les méthodes employées. Le rapport souligne que les forces armées russes (FAFR) n’ont pas trouvé de solution permettant d’infliger de lourdes pertes aux forces ukrainiennes sans s’exposer à de lourdes pertes matérielles et humaines en retour.
Méthodes de reconnaissance des FAFR
Les groupes de combat russes maintiennent généralement cinq orbites de drones de type Orlan et Zala pour la reconnaissance. Les drones et les munitions Lancet sont utilisés pour la recherche active de cibles et la confirmation des positions ennemies. Ces drones déclenchent souvent en riposte des tirs des unités ukrainiennes, révélant ainsi leurs positions.
Afin d’aller jusqu’au contact des forces ukrainiennes, les FAFR déploient d’abord des sections peu entraînées afin d’identifier les positions ukrainiennes. Lorsque leurs positions sont confirmées, elles sont ensuite cartographiées puis ciblées par l’artillerie, les MTO et les bombes planantes UMPK (Unified gliding and correction module).
Combat au contact
L’usage de bombes planantes poserait un dilemme pour les forces armées ukrainiennes : soit maintenir ses positions de défense statiques contre les drones et les tirs d'artillerie, soit conserver la mobilité des troupes afin d’échapper à la destruction des fortifications due aux bombes planantes. Selon le rapport, la Russie aurait augmenté sa production de bombes planantes de presque 50% par rapport à 2024 avec une commande d’environ 70 000 munitions pour 2025.
Les forces armées russes se sont progressivement adaptées et structurées autour de triangles offensifs reposant sur trois principes : fixer les forces terrestres ukrainiennes avec l’infanterie mécanisée, utiliser drones et artillerie afin d’empêcher les manœuvres ukrainiennes et infliger des dégâts, augmenter l’usage des bombes planantes UMPK contre les positions ukrainiennes. Le rythme des assauts russes serait d’environ 27 assauts par jour, mais tendrait à diminuer jusqu’à ce que la section ait subi 30% de pertes et soit relevée.
- Délivrer le feu et assurer la protection des forces
La défense aérienne doit faire face à deux défis principaux : la protection des forces et la protection du terrain.
Défense aérienne et protection des forces
La surveillance aérienne russe, avec 1 000 à 1 500 drones quotidiens signalés en août 2024, a considérablement entravé les efforts de l'Ukraine pour renforcer ses défenses aériennes. Toute tentative de déploiement de nouveaux systèmes de défense est rapidement détectée et ciblée par les missiles balistiques russes 9M723.
Quant à la protection électronique, elle est cruciale pour les deux camps afin de minimiser l'exposition des unités aux attaques de drones. La majorité des véhicules déployés en zone de combat sont dotés de brouilleurs visant à perturber les liaisons de commandement et les flux vidéo, afin de diminuer la précision des drones FPV.
Cependant, la guerre électronique provoque aussi des risques accrus de tirs fratricides, limitant l’utilisation continue des drones alliés. Le recours par la Russie à la fibre optique pour guider ses drones FPV pourrait aussi remettre en cause l’efficacité du brouillage sur le champ de bataille.
Défense aérienne et protection du territoire
Les artilleurs russes et ukrainiens espacent leurs canons de plus de 500 mètres et dissimulent les stocks de munitions, souvent à bonne distance des positions de tir. Celles-ci sont généralement creusées dans le sol et recouvertes de filets ou de plaques de protection. L’installation de positions d’artillerie demande d’importants travaux de terrassement.
Toutefois, les engins de chantier sont rarement déployés à moins de 7 kilomètres du front, ce qui contraint les unités à creuser manuellement la plupart de leurs emplacements défensifs. Face à la pénibilité et à la lenteur de ces travaux, les unités terrestres peinent à mettre en place des structures défensives solides. De plus, lorsque la rotation des unités est rapide, les soldats se contentent souvent de protections sommaires, faute de temps, de volonté et de ressources. Les bombes larguées par les petits drones peuvent endommager les pièces d’artillerie, mais superficiellement. En revanche, les canons changent régulièrement de position pour échapper aux bombes planantes.
La tactique aérienne offensive russe |
La défense anti-aérienne ukrainienne |
La Russie a adopté une approche à
deux volets. La première repose sur un harcèlement constant à l’aide de
drones Geran-2 et Gerbera, principalement opérés à haute altitude pour
minimiser les coûts d’interception. Ciblant aérodromes, zones
d’entraînement et installations industrielles, ces drones sont lancés en
vagues successives, les données du premier drone transmettant des
informations pour guider les suivants. Pour la
Russie, l’intérêt principal de ces frappes réside davantage dans la collecte
de renseignements sur les défenses ukrainiennes et dans l’épuisement de leurs
stocks, plutôt que dans les dégâts matériels causés. Simultanément,
la Russie lance des salves de missiles balistiques (comme le 9M723) et de
croisière (Kh-101), soigneusement planifiées pour éviter les défenses de
guerre électronique et maximiser les chances d’atteindre leurs cibles. Ces
frappes sont synchronisées pour approcher la cible depuis plusieurs
directions. |
L’Ukraine
s’appuie sur un réseau dense d’effecteurs de guerre électronique et de
capteurs pour détecter les menaces aériennes, et utilise principalement des
hélicoptères et des patrouilles aériennes pour abattre les drones Geran-2 et
Gerbera à haute altitude. La majorité des drones sont alors interceptés avant
d'atteindre leur cible. Cela réduit la pression sur les défenses immédiates
armées de mitrailleuses ou de canons. Cette méthode montre de bons résultats,
aboutissant à la neutralisation de la plupart des drones. |
La tactique aérienne offensive ukrainienne |
La défense anti-aérienne russe |
Bien que disposant de moins de
capacités de frappe, l’Ukraine mène une campagne de frappes longue portée
sophistiquée, optimisant les itinéraires de ses drones pour contourner les
défenses russes. Les frappes ukrainiennes ont
également pour objectif d’augmenter le coût de la guerre d’attrition pour les
Russes. De ce fait, ils visent principalement les raffineries de pétrole, les
stocks de munitions et les installations de la BITD russe. |
En réponse, la Russie a renforcé
la protection de ses sites sensibles avec des systèmes SA-22 Pantsir. Cependant, en lançant de grandes
salves de drones pour saturer les défenses, puis en envoyant des missiles ou
des drones plus puissants lorsque les défenses aériennes sont épuisées,
l’Ukraine parvient souvent à percer et à infliger des dégâts significatifs,
malgré un investissement important en drones. |
- Les défis de la logistique et du soutien médical
Stabiliser, évacuer et soigner les blessés est essentiel pour maintenir le moral des soldats et préserver l’expérience au sein des forces armées. Cependant, ces opérations se heurtent à la dispersion des unités sur un front étendu, compliquant la présence constante de personnel médical et exposant les secours à un risque accru de pertes supplémentaires. De même, la récupération des soldats tombés au combat implique des opérations complexes. Une étape pourtant indispensable pour que les familles ukrainiennes puissent recevoir une compensation.
Pour faire face à ces obstacles, diverses solutions ont été trouvées au cours des trois dernières années :
- La formation médicale des soldats, permet de soigner directement les blessures sur le terrain, sans attendre une intervention extérieure ;
- La mise en place d’une assistance par radio, avec des médecins guidant les soins à distance ;
- L’utilisation de drones pour livrer du matériel médical ;
- Le déploiement de robots (UGV) est une solution encore peu fiable et peu utilisée.
Près de 50 % des pertes ukrainiennes surviennent à l’arrière, en raison des attaques russes par drones, artillerie et bombes planantes. Ces menaces obligent les deux camps à adapter leurs tactiques, notamment lors des rotations, du ravitaillement et de la récupération du matériel endommagé.
La première réponse tactique consiste à limiter le nombre de rotations en prolongeant les périodes de déploiement parfois au-delà d’un mois. Cette stratégie, appréciée par les forces ukrainiennes, repose sur l’idée que les risques liés aux mouvements de rotation dépassent les bénéfices du repos. Les rotations sont appuyées par des tirs et des moyens de guerre électroniques et menées de nuit ou par mauvais temps afin de limiter la détection. Néanmoins, les périodes de visibilité réduite sont aussi propices aux assauts russes.
La seconde réponse tactique porte sur le ravitaillement des unités sur position, partiellement assuré par des drones transportant munitions et rations. Cependant, la capacité de charge limitée de ces appareils restreint une généralisation à grande échelle.
Pour le transport de munitions d’artillerie et de mortier, les Ukrainiens privilégient l’emploi de véhicules blindés comme les Humvees ou les M113, appréciés pour leurs rapidités et leurs mobilités sur des terrains difficiles. De leur côté, les Russes utilisent des véhicules légers comme les MTLB ou les BMP.
Annabelle Farcy-Caron
Yoann Poquet
Malo Sonneck