Déblocage libanais (LV 274) (gratuit)

Les nuages s'éloignent du Liban qui peut entretenir quelques espoirs de sortie de crise.
Déblocage libanais (LV 274) (gratuit)
Photo by Charbel Karam / Unsplash

Curieusement, La Vigie n’a jamais consacré de numéro au Liban. Elle s’y est intéressé, a dédié quelques lorgnettes ou billets mais aucun numéro de synthèse. Il était temps de corriger cette lacune, d’autant que l’actualité y attire notre regard.

Un pays bloqué

Le public français connaît à gros traits les caractéristiques du pays et l’attachement traditionnel que lui porte la France : l’antique Phénicie d’où partit jadis la princesse Europe passa sous le contrôle de diverses puissances et notamment celle de l’empire ottoman. La fin de la Première guerre mondiale mit en place des mandats de la Société des Nations et le pays passa, à la suite des accords secrets Sykes-Picot de 1916, sous protectorat français. Paris dessina les frontières du nouvel État libanais qui obtint son indépendance en 1943.

Les premières années sont belles : le Liban gagne le surnom de Suisse du Moyen-Orient. Cependant, la question israélo-palestinienne déborde peu à peu à la suite des accords du Caire (1969) et de Septembre noir (1970) qui entraînent l’installation de l’OLP de Yasser Arafat dans le pays (1971). Une guerre civile intercommunautaire éclate en 1975 et dure jusqu’en 1990. Dès 1976, l’armée syrienne s’installe dans le pays. En 1982, le Liban est envahi par Israël (Paix en Galilée) ce qui suscite la création du Hezbollah chiite, soutenu par l’Iran. L’accord de Taëf (1989) met fin officiellement à la guerre civile. Rafiq Hariri est Premier ministre à partir de 1992 et lance un plan de reconstruction avec le soutien séoudien.

Cependant, le Hezbollah prend le prétexte de la dispute des fermes de Chebaa pour conserver ses armes et devenir, de facto, un État dans l’État. Il lance des roquettes vers Israël, poussant ce dernier à déclencher en 1996 l’opération Raisins de la colère. Beyrouth tente de désarmer la milice en 2004, sans succès. R. Hariri est alors assassiné et si les soupçons désignent les services syriens et déclenchent la révolution du Cèdre et le retrait des troupes syriennes du Liban, le Hezbollah aurait eu sa part dans l’attentat.

Une nouvelle crise politique éclate de 2006 à 2008 alors que le Hezbollah s’oppose une nouvelle fois à Israël (guerre des 33 jours) qui aboutit à la résolution 1701 des N-U. La vie politique libanaise se bloque (LV 94). En 2012, la guerre civile syrienne éclate. Elle provoque l’engagement du Hezbollah au profit de Damas à compter de 2014. Simultanément, un afflux de réfugiés syriens submerge le pays : 1,5 Mh au moins s’ajoutent au 6 M de Libanais.

Le pays est alors complètement bloqué, tous ses appuis (Arabie, France) s’en étant retirés. Deux graves explosions accidentelles ruinent ensuite le port de Beyrouth en 2020, aggravant une crise économique terrible. Le pays ne sort plus du chaos (LV 185).

Coup d’arrêt au Hezbollah

Le Liban a souffert d’avoir eu des voisins encombrants : Israël, qui n’a jamais hésité à montrer sa force et à intervenir dans le pays, considérant l’État trop faible pour faire régner l’ordre intérieur et garantir la sécurité extérieure, notamment à sa frontière méridionale ; la Syrie, qui n’a jamais vraiment accepté le découpage du protectorat et a toujours rêvé de la Grande Syrie, notamment sous Hafez el Assad. Elle a donc saisi le moindre prétexte pour intervenir dans le pays voisin, jouant des conflits communautaires et des divers séides disponibles pour avancer ses pions ; enfin, l’Iran lointain qui a utilisé le Hezbollah en flanc-garde dans son conflit avec Israël. Les vagues de réfugiés, d’abord palestiniens puis syriens, ajoutaient de la confusion.

Or, ces données ont peu à peu évolué.

Tout d’abord, le Hamas a lancé ses attaques contre Israël le 7 octobre 2023. Si le Hezbollah n’a pas participé directement à ces attaques, il a ensuite donné son soutien en lançant régulièrement des roquettes pendant onze mois du Liban sur Israël. En septembre 2024, Tel-Aviv réagit. Une première opération (explosion de bippeurs) décapite l’organisation tandis que le dirigeant du Hezbollah, H. Nasrallah, est tué dans un bombardement ciblé (billet). Outre les frappes, l’armée israélienne entre au Liban jusqu’en novembre 2024. Un cessez-le-feu est signé le 27 qui prévoit un retrait du Hezbollah au nord du fleuve Litani, tandis que l’armée libanaise et la Finul doivent assurer la paix dans le sud.

La chute d’Assad et de l’arc chiite

Juste après, le régime syrien de Bachar el Assad tombe le 8 décembre 2024. Une coalition islamiste venue du Nord de la Syrie chasse le maître de Damas. Le Hezbollah n’a rien pu faire mais surtout, il perd une liaison territoriale avec l’Iran. Si ce départ a été orchestré en sous-main par la Turquie, Israël, les États-Unis et probablement la Russie, le grand perdant est évidemment l’Iran. Le fameux « arc chiite » qui polarisait la région depuis des années se disloquait.

Surtout, le nouveau dirigeant syrien, Ahmed al Chaara, a suffisamment de difficultés à résoudre la transition politique et économique de son pays pour ne plus imaginer peser sur les destinées de son voisin. C’est la fin du rêve de grande Syrie. Cela ne signifie pas le départ de tous les réfugiés syriens même si quelques-uns le quittent. Quant au Hezbollah, il ne peut plus garder ses positions militaires au sud-Liban.

La relance du jeu politique

Moins d’Iran, moins de Hezbollah : les chiites ne peuvent plus bloquer le jeu politique. La trêve permet l’élection d’un président (Joseph Aoun) et la nomination d‘un Premier ministre (Nawaf Salam).

Plusieurs dossiers sont prioritaires.

Tout d’abord, le respect de la résolution 1701 qui prévoyait l’évacuation des milices armées du Sud-Liban et leur remplacement par la Finul et l’armée libanaise. Cependant, le retrait du Hezbollah pourrait n’être qu’apparent (il dispose encore des armes et a largement infiltré l’armée libanaise). Cela explique que depuis un an, Israël, maître du ciel libanais, continue de mener des frappes aériennes contre des positions du Hezbollah.

La relance de l’économie est un autre sujet primordial. Le pays est en ruine et ne vit qu’avec l’aide internationale. Les fonctionnaires sont mal payés ce qui fragilise évidemment l’État qui demeure sinon failli, du moins particulièrement faible et perclus de corruption. Il faudra beaucoup de temps pour remettre la machine en route. Le pays peut cependant mobiliser deux atouts. Tout d’abord, une diaspora nombreuse et affairiste qui permet au pays de survivre. Elle pourra être mobilisée et revenir peu à peu faire des affaires. Ensuite, le possible appui séoudien. Le Royaume avait aidé en son temps R. Hariri. Peut-être trouvera-t-il intérêt à relancer un pays qui lui sera plus favorable, maintenant que le poids chiite a chuté et que Riyad cherche de nouveaux points d’appui dans un Proche-Orient compliqué, notamment avec les démonstrations de puissance israéliennes.

L’enjeu de la FINUL

La Force intérimaire des Nations-Unies (Finul) est fort décriée par les durs du gouvernement israélien qui considèrent qu’elle entrave les opérations de Tsahal au Liban : d’une certaine façon, elle montre son efficacité. Les États-Unis considèrent quant à eux qu’elle est chère et inefficace. C’est pourquoi elle a été prolongée seulement d’un an par un vote du Conseil de sécurité, fin août : son avenir est donc en suspens.

Cependant, elle constitue la seule force organisée et relativement fiable qui puisse réellement s’implanter au Liban du Sud et remplacer les positions autrefois tenues par le Hezbollah. Il reste que ce rôle dépend beaucoup de la façon dont les Nations-Unies et le Département des opérations de maintien de la paix (DOMP) voudront s’engager. Les nations contributrices (notamment Italie et France) devraient s’investir en ce sens. Il faudra aussi surveiller un éventuel retrait israélien.

Toujours, le voisin israélien

En effet, Tsahal continue régulièrement de frapper les positions du Hezbollah. Celui-ci demeure puissant et il a évidemment le potentiel de relever la tête même s’il fait profil bas en ce moment. Mais il sert également de prétexte éprouvé aux actions préemptives régulières de Tel-Aviv. Il est donc assez logique que le gouvernement libanais cherche par tous les moyens à honorer la résolution 1701.

Il a ainsi présenté début septembre un plan pour désarmer le Hezbollah (ici) ce qui permettrait de rétablir la souveraineté de deux façons : d’une part en regagnant le monopole de la violence légitime (seules les forces de l’ordre étatiques devraient avoir des armes, ce qui suppose le désarmement des milices et tout d’abord de la milice chiite) ; d’autre part, si la condition est remplie, en poussant Israël à se retirer et donc à rendre à Beyrouth sa pleine souveraineté sur l’ensemble du pays.

Un chemin étroit

Le chemin est évidemment étroit. Néanmoins, un dernier atout vient d’apparaître. En effet, en bombardant la direction du Hamas au Qatar, Israël a suscité l’opposition de l’ensemble des pays arabes. Une réunion conjointe de l’Organisation de la conférence islamique (Oci) et de la Ligue arabe s’est tenue le 5 septembre à Doha. Il ne s’agissait pas de défendre la cause palestinienne mais de manifester le respect de la nécessaire souveraineté des pays arabes. Si le Qatar a été évoqué, chacun avait aussi à l’esprit les cas irakien, syrien et libanais. La grogne a été assez forte pour qu’elle émeuve D. Trump.

Les pays du Golfe ont un levier efficace sur ce dernier qui est le seul à pouvoir peser sur Tel-Aviv. Mais surtout, leur regard vers le Liban pourrait changer : il paraît moins inquiétant que la Syrie (où les islamistes font encore partie de la coalition) et son cas pourrait devenir emblématique à leurs yeux. Le soutenir serait le moyen de contrer, localement et indirectement, l’activisme israélien, d’autant que le danger chiite y a été muselé.

À Beyrouth, un faible espoir s’est levé.

JOVPN

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