Bilan n° 119 du 14 septembre 2025 (guerre d’Ukraine)
Net ralentissement de la poussée russe. L’affaire des drones sur la Pologne entraîne des conséquences mitigées. On ne sait rien des négociations en cours ni même si elles se poursuivent.
Net ralentissement de la poussée russe. L’affaire des drones sur la Pologne entraîne des conséquences mitigées. On ne sait rien des négociations en cours ni même si elles se poursuivent.
Déroulé des opérations militaires
Les frappes dans la profondeur se poursuivent.
Front sud : Sans changement, les Russes sont à Kamianske (carte). A Orikhiv, les Russes ont un peu progressé au sud-est de la ville, atteignant les lisières de Mala Tokmachka (carte). Sans changement à Huliapole (carte).
A l’ouest de Grand Novosilka les Russes ont progressé en prenant, du sud vers le nord : Obratne (avancée jusqu’aux lisières de Novoivanivka), Ternove (et lisières de Berezove), Malievka, Vorone et Khoroshe, Yanvarske et l’entrée de Novoselivka (carte). Un peu plus au nord, ils tiennent Yalta et Novokharske (carte). VelykoMikhalivka et Ivanivka sont désormais les derniers verrous ukrainiens sur la rivière Vovcha. Pas de changement sur le petit secteur de Novopavlivka qui relie à Pokrovsk (carte).
Front de Donetsk : Au sud-ouest de Pokrovsk les Russes ont pris une partie d’Udachne. Les infiltrations dans la ville (au sud) se poursuivent sans grands effets (carte et carte).
A l’est, sans changement notable entre Myrne et Novoekonomichkoie, même si les Russes ont légèrement progressé en avant de Hrodivka. Au nord-est, le saillant de Zapodivne a été réduit par les Ukrainiens. Les Russes pèsent sur Rodynske et Sukhetske (carte). La zone de Poltavka est toujours disputée.
Front Kostiantynivka : Situation inchangée au sud du réservoir. Au sud-est de la ville, les Russes poussent contre Nelipivka et Oleksandro-Schutyne. Les Ukrainiens se retirent de la zone à l’ouest du canal (carte). Certaines sources signalent de premiers groupes russes à Predetchyne. Sans changement à Bakhmout (carte)
Front de Siversk : Secteur assez actif au cours de la quinzaine. Il n’y a plus d’unités ukrainiennes dans la forêt de Kaminka, au nord de la Donets et à l’est de la Zherebets. Serebrianka n’est toujours pas investie par les Russes. Les premières unités russes sont au contact des faubourgs de Siversk (carte)
Front de Svatove/Koupiansk. Ouest Kreminna : les Russes n’ont pas progressé dans Zarichne ; plus à l’ouest, les Russes ont atteint la rivière Nitrius à hauteur de Shandryholove et Derylove (carte et carte).
Secteur de Pischane : Sans changement (carte)
Secteur de Koupiansk : Le dispositif ukrainien se réarticule lentement à l’est de l’Oskil, préparant sans doute un retrait ordonné. Au-delà de l’Oskil, les Russes sont entrés dans Koupiansk. La zone à l’ouest est grise avec beaucoup d’incertitudes concernant Myrove et la présence probable de nombreuses incursions russes (carte).
Secteur Dvorichna et Milove petite progression à Krasne Pershe (carte).
Front de Kharkiv : Sans changement à Vovchansk (carte) ni Lyptsi (carte)
Front de Soudja : Qq ajustement pour l’Ukraine (carte), (carte synthèse du 13 septembre).
Analyse militaire
Les Russes ont pris 88 km² en S36 et 44 km² en S37 soit 9.4 km² par jour (baisse). Les Ukrainiens ont repris 5 km² en S36 et 10 km² en S37, soit 1 km² hebdomadaires (baisse).
Je rappelle la remarque du bilan bimensuel précédent sur l’irrégularité des sources qui s’est accentuée, avec des disparités. Le travail des cartographe ROSO et des analystes s’est fortement compliqué (sachant que c’est probablement aussi le cas pour ce qui concerne le front politique, nous y reviendrons).
Passons outre la tendance des deux belligérants à envoyer une escouade dans un point donné de façon à « prendre une photo » pour les réseaux sociaux. Cela abuse certains mais le procédé est désormais tellement flagrant et éculé qu’il ne devrait plus tromper personne. Les lignes ne sont plus tenues et la notion de « contrôle de territoire » devient donc très aléatoire, tout comme les succès revendiqués par les uns ou les autres. Nous conservons la prudence de Poulet volant, qui s’appuie sur Deepstate même si l’observateur sent que Deepstate rencontre lui-même de vraies difficultés. Les retards de publication entraînent des décalages par rapport à ce qui se passe sur le terrain.
Constatons tout d’abord un net ralentissement de la progression russe (et des reprises ukrainiennes, d’ailleurs), comme si l’ensemble du front se calmait globalement. Nous ne savons pas si c’est un effet de décisions prises par l’échelon politique ou si cela reflète les difficultés du terrain.
Notons ensuite que les Ukrainiens tiennent bien Pokrovsk, ont réussi à réduire le saillant au nord et ont dégagé Myhnograd à hauteur de Novoekonomichkoie : c’est incontestablement une réussite à porter à leur actif. Certains fronts sont devenus atones : Sumy, Kharkiv, Bakhmout, Huliapolje.
Cependant, les secteurs ukrainiens de fragilité demeurent : pour contrer la pression russe à Pokrovsk, il a fallu retirer des unités ailleurs. Des villes sont en cours de saisie (Koupiansk) ou se préparent à une bataille très prochaine (Siversk voire Kostiantinyvka). Une lente manœuvre opérative se met en place autour de la conurbation qui va de Slaviansk à Kostiantinyvka.
Par ailleurs, comme signalé la dernière fois, un petit effort est fourni par les Russes au sud dans ce qui n’est plus le secteur de Grand Novosilka mais désormais celui de Vorone (si je reprends la désignation de PouletVolant). Le point le plus avancé du front russe est désormais à 21 km au nord-est d’Huliapolie et à 25 km à l’ouest de Grand Novosilka. Autrement dit, non seulement les Russes progressent à l’intérieur de l’oblast de Dniepropetrovsk mais aussi à l’intérieur de celui de Zaporijia. Coiffer Huliapolje par le nord constitue un de leurs objectifs évidents. Or, on observe peu de lignes d’arrêt sur cette jonction d’oblast, qu’il s’agisse de coupures d’eau, d’agglomérations ou de fortifications.
Nous avons tôt signalé que les Russes voulaient achever la conquête de l’oblast de Donetsk par les armes. Mais ils veulent aussi, simultanément, prendre tout l’oblast de Zaporijia. Rappelons qu’au 31 août (carte) ils avaient conquis 76% de l’oblast de Donetsk et 73,4% de celui de Zaporijia.
Analyse politique
La grande affaire de la semaine à été celle des drones qui ont pénétré en Pologne. Tout le monde est d’accord pour dire que leur fabrication est russe et qu’il s’agit de drones Gerbera d’une portée normale de 600 km. Ceux qui ont été employés n’étaient pas armés (les dégâts causés à une maison ne prouvent pas la présence d’explosifs) et sont donc considérés comme des leurres pour tromper les défenses aériennes. 19 drones (certaines sources évoquent 22) auraient pénétré, dans la nuit de mardi à mercredi, l’espace aérien de la Pologne. Trois auraient été abattus par la chasse polonaise (et un avion hollandais), les autres se seraient écrasés sans faire de dégâts.
Les Polonais ont immédiatement crié à une agression. Ils ont suscité la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord « au titre de l’article 4 » (celui de la consultation). L’Otan a déclaré vendredi mettre en place une « activité militaire » (donc ni une opération ni même une mission, selon les terminologies classiques de l’Alliance), Sentinelle orientale (Eastern Sentry, voir ici). La France a déclaré envoyer trois avions Rafale en mission en Pologne. L’Alliance a toutefois refusé de parler d’attaque ou d’agression.
Le président Trump a d’abord déclaré que cette incursion russe était peut-être une « erreur ». Son Secrétaire d’Etat, Marco Rubio, a déclaré que «la question est de savoir si les drones avaient pour objectif spécifique de pénétrer en Pologne. Si c'est le cas (...) alors il s'agit évidemment d'une escalade majeure », soulignant qu'il faudrait encore « quelques jours » pour en savoir plus. Il renvoie donc à l’enquête, comme s’il fallait encore établir les faits.
Plusieurs experts s’interrogent sur les conditions techniques de cette intrusion : le plan de vol des drones était curieux, la distance parcourue incompatible avec leur autonomie (ils ont normalement 600 km d’autonomie), plusieurs portaient des réparations en scotch qui suggéraient qu’ils avaient été réparés ou reconditionnés. Ce sont d’ailleurs ces bizarreries qui expliquent aussi la prudence américaine. Notons enfin que les déclarations de Moscou ont été réduites au strict minimum, ne témoignant pas d’un plan de communication préparé à l’avance, à l’inverse de ce que l’on a déjà pu observer dans des affaires similaires.
Malgré tout et quel que soit le décideur, l’Alliance a bien réagi : elle a réuni l’article 4, dénoncé les incursions de tout type et mis sur pied une « activité » Sentinelle orientale avec le renfort notamment des Rafales français. La bonne nouvelle est que tout le monde a joué le jeu, Américains comme Européens, en faisant la démonstration d’une vraie capacité de réaction, à la bonne mesure, ni trop ni trop peu. C’est très positif.
Il reste dès lors une question centrale : les négociations se poursuivent-elles en coulisses ? Le 12 septembre, le Kremlin a déclaré mettre ces discussions en pause (voir ici), indication que jusqu’à présent elles se déroulaient. La nouvelle n’a suscité aucun commentaire et rien ne dit que ces négociations soient effectivement définitivement arrêtées. Il n’est probablement pas anodin que cette déclaration intervienne après l’affaire des drones. Ainsi que nous le disions dans notre n° 272

un processus de négociations a été enclenché à Anchorage. Signe de son sérieux, on n’en sait rien et c’est une bonne chose. Cela ne veut pas dire qu’il est concluant, simplement qu’il est en route.
Pendant ce temps-là, les combats continuent et pour l’instant, l’Ukraine tient.
Billet précédent n° 118 :

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