Bilan n° 113 du 6 juin 2025 (guerre d’Ukraine)

Malgré la belle réussite de l’opération Toile d’araignée contre des bases russes, l’Ukraine rencontre des difficultés accrues sur le terrain. Les négociations ne servent à rien.
Bilan n° 113 du 6 juin 2025 (guerre d’Ukraine)
Source Poulet Volant ici

Malgré la belle réussite de l’opération Toile d’araignée contre des bases russes, l’Ukraine rencontre des difficultés accrues sur le terrain. Les négociations ne servent à rien.

Déroulé des opérations militaires (point au 4 juin matin)

Front sud : Quasi rien à Kamianske (carte). Pas de changement à Orikhiv (carte)

A l’ouest de Grand Novosilka, les Russes ont pris Zelene Pole (carte) et progressé à l‘ouest de Bahatir (carte).

Front de Donetsk : De petites avancées se poursuivent au nord-ouest d’Andrivka avec la prise de Troitske (carte). Le secteur de Pokrovsk reste stable avec une avancée russe à Lysivka (carte).

Entre Pokrovsk et Toretsk, grosse progression russe le long de la H32 et de la D20 (carte). Les Russes abordent Poltavka, dernière ligne de défense fortifiée des Ukrainiens dans le secteur. La poche ukrainienne entre Zora et Romanivka est quasiment réduite (il est probable qu’il n’y reste plus d’unités ukrainiennes mais qu’on manque de confirmation géolocalisée).

A Toretsk, sans changement notable (carte) même si de premières indications laissent voir une poussée le long du canal.  

Front de Bakhmout : progression russe au nord de Chasiv Yar (carte).

Front de Svatove/Koupiansk. Secteur de Siversk : les Russes sont entrés dans le village de Verkhnokamianske (carte). Ouest Kreminna : la tête de pont sur la Zherebets a été agrandie, les Ruses ayant atteint Rikdokub et la rivière Nitrius (carte). Ils peuvent atteindre bientôt l’Oskil et menacer Lyman par le nord. C’est probablement le développement le plus dangereux de la quinzaine.

Secteur de la Zerhebets : Pas de changement à Svatove (carte). Sans changement à Pischane (carte)

Secteur de Koupiansk : Pas de changement à l’est de Koupiansk (carte). La tête de pont sur l’Oskil sans changement (carte). Secteur Topoli sans changement (carte).

Front de Kharkiv : RAS (qq frémissements à Vovchansk, pas de carte récente).

Front de Soudja : Au nord, les Russes agrandissent leur zone tampon à l’ouest de Loknia (carte), sachant qu’ils ont probablement plus avancé que les confirmations géolocalisées ne l’annoncent (elles prennent plus de temps depuis quelques semaines). A l’ouest de Soumy (Tektino) sans changement (carte). A l’est de Soumy, les Ukrainiens ne tiennent plus que quelques km² (carte). Plus à l’est, la petite prise ukrainienne vers Belgorod est lentement réduite (carte synthèse)

Opération Toile d'araignée

Dimanche 1er juin, les Ukrainiens ont lancé l’opération toile d’araignée (qui suivait des attaques ciblées d’infrastructures ferroviaires russes). Préparée pendant un an et demi par le SBU, ce coup d’éclat frappe par son imagination. Des drones ont été introduits clandestinement en Russie, installés dans des camions lanceurs anonymisés, déployés à proximité de cinq bases aériennes russes : Belaïa, Diaguilevo, Ivanovo Severny, Olenia et Oukrainka. 117 drones ont été activés en même temps, ciblant des avions stratégiques russes. Si les Ukrainiens ont revendiqué 40 avions détruits, l’analyse des dommages suggère un bilan certes important mais plus limité, surtout à Olenya dans l’oblast de Mourmansk et à Balaia dans celui d’Irkoutsk. Un bilan provisoire fait état de 8 Tu 95MS, de 4 Tu 22M3 et d’un avion de transport An12 qui auraient été touchés (on ne connaît l’étendue des dégâts ni la capacité de réparation des appareils : par le passé, des appareils comptés comme détruits ont été réparés ; seuls les Russes connaissent l’amplitude exacte des dommages). Les analystes discutent de l’éventuelle frappe de deux A-50 (équivalents des AWACS américains) mais les avions ciblés semblaient déjà hors d’usage et au rebut.

Ajoutons que le 3 juin, les Ukrainiens ont attaqué le pont de Kertch avec des drones sous-marins et peut-être du minage. Pour l’instant, les dommages ne paraissent pas significatifs et le pont de Kertch a surtout un rôle symbolique, l’essentiel de la logistique militaire passant par le corridor terrestre de l’oblast de Zaporijia.

Qu’inspirent ces événements ?

Tout d’abord qu’il s’agit de coups d’éclat, de grande valeur et de grande audace, mais difficilement reproductibles. Ils nécessitent une très grande préparation et engagent des moyens asymétriques et des frappes indirectes. Alors que beaucoup utilisent le concept de « guerre hybride » sans vraiment savoir ce que cela recouvre (voir les textes de La Vigie sur le sujet, par exemple ici), voici une opération de guerre clandestine qui est un vrai succès. C’est remarquable d’imagination et de préparation. Les Ukrainiens ont raison de clamer que ce genre d’opération est très complexe. Observons au passage que l’innovation à la guerre n’est pas simplement technique (qu’elle soit structurelle ou d’usage) mais qu’elle est aussi tactique : mais cela nous entraînerait dans d’autres développements qui n’ont pas leur place ici.

Ces louanges une fois dites, qu’en conclure ? Qu’il s’agit d’un succès tactique, certainement pas opératif et encore moins stratégique comme je l’ai lu chez des commentateurs imprudents, emportés par l’enthousiasme. Qu’on rappelle ici l’épisode de la poche de Soudja l’été dernier. Là encore, les commentateurs s’étaient emballés quand les gens raisonnables restaient prudents. On voit aujourd’hui qui a eu raison. Autrement dit, on peut applaudir les initiatives ukrainiennes (ce que je fais ici car sincèrement, cette opération est de belle portée) sans s’aveugler sur leur signification.

Car au fond, comme toujours quand il s’agit de coup d’éclat, l’objectif n’est-il pas d’abord de communication ? le moment de l’attaque n’est pas anodin. Il intervient alors que la poussée russe s’accroît, que les Ukrainiens sont à la peine sur le terrain, que les six premiers mois de négociation n’ont rien donné, que la deuxième rencontre directe avec les Russes avait lieu le lendemain à Istamboul et que les Occidentaux s’occupent désormais surtout de préparer le sommet de l’Otan à La Haye. Autrement dit, il fallait montrer que l’Ukraine avait encore des ressources, la volonté de se battre et la capacité de porter des durs coups à l’ennemi. De ce point de vue, le succès est total. L’enthousiasme démesuré des soutiens démontre paradoxalement leur profonde inquiétude face à une situation militaire dégradée. Quand on défend une cause qui a des difficultés, on en rajoute à la moindre bonne nouvelle. Cette fébrilité démontre l’anxiété.

Du point de vue russe, l’affaire a été mal vécue, assurément. Si la rencontre d’Istamboul s’est déroulée sans accroc (et sans résultat), observons qu’en Russie les commentaires ont été acerbes, critiquant le manque de protection des bases aériennes (qui se trouvent cependant à plusieurs milliers de kilomètre de la frontière, ce qui explique aussi que les Russes ne les aient pas plus protégées). Cela montre que la guerre n’est pas simplement aux frontières et va renforcer les faucons qui réclament des mesures de représailles. On observera ici que la Russie frappe elle aussi quotidiennement l’Ukraine dans la profondeur, avec beaucoup plus de masse et malheureusement de résultats.

Disons un mot des aspects nucléaires. Beaucoup de choses fausses ont été dites des deux côtés. Non, le traité New start n’a rien à voir dans l’affaire et dans le manque de protection de ces bases, tellement éloignées que les Russes ont cru la distance suffisante. Moscou ne respecte plus les clauses du traité qui d’ailleurs n’engage que les Etats-Unis, pas l’Ukraine. Non, 40 % de la flotte stratégique russe n’a pas été détruite et non, la troisième composante de la triade nucléaire russe n’est pas touchée (même si elle a été titillée, ce qui était l’intention probable des Ukrainiens). Il reste que l’affaire renforce les questions soulevées depuis des mois par cette guerre : comment protéger durablement ses installations stratégiques, y compris dans la profondeur ? La nécessité d’un dispositif de protection aérienne multicouche et anti-drones (y compris en meute) s’impose plus que jamais. Il ne s’agit pas simplement de moyens techniques mais aussi de moyens humains et continus dans le temps. Le défi reste de taille et ne se pose pas simplement aux Russes.

 

Analyse militaire

Les Russes ont pris 139 km² en S21 et 133 km² en S22 soit 19,4 km² quotidien. Le rythme de progression a donc clairement augmenté. Ils ont conquis 447 km² en mai, à comparer aux 380 du même mois de 2024. Surtout, cette progression a lieu avec un nombre à peu près constant d'assauts (en moyenne, 5000 par mois depuis octobre). L'augmentation de l'efficacité va de pair avec une moindre usure du côté russe (décroissance des pertes) et une plus grande érosion du côté ukrainien.

Par conséquent, le système défensif ukrainien démontre une plus grande fragilité en de nombreux points, comme si les réserves ne suffisaient plus à compenser les brèches. Si le front sud de Zaporijia demeure encore stable, sa partie orientale vers Grand Novosilka s'effrite continûment. De même, au sud-ouest de Pokrovsk, le grignotage se poursuit. La ceinture de Pokrovsk tient encore mais les Russes ont réalisé une vraie progression entre la ville et Toretsk où le dispositif ukrainien est complètement déstructuré. La pression se poursuit également entre Toretsk et Chasiv Yar. Le siège de Kostantynivka se profile pour très bientôt.

En poursuivant vers le nord, la poche de Siversk se rétrécit. Vers Kamianka, les Russes ont opéré une percée à hauteur de Lyman, en mesure d'atteindre la rivière Oskil en un troisième point. C'est l'évolution la plus inquiétante à moyen terme. Enfin, les Russes ont repris leur activité sur tout le front nord, notamment dans le secteur de Soumy, constituant progressivement la zone tampon demandée par V. Poutine. Les dernières informations suggèrent une avancée rapide même si le siège de Soumy paraît improbable. Tenir le balcon qui domine la ville devrait rester l’objectif recherché avant que les FAR élargissent leur contrôle latéral le long de la frontière.

Ces développements confirment la fatigue du front ukrainien et le succès de la stratégie russe sur le terrain, désormais plus efficiente en hommes comme en matériel. L'objectif réside bien à casser l'armée ukrainienne, les gains territoriaux n'étant qu'une conséquence des opérations. Celles-ci restent concentrées dans l'objet de Donetsk même si on observe des actions secondaires dans les oblasts de Kharkiv, Soumy et Zaporijia.

L’offensive de printemps obtient déjà des résultats alors qu’on a l’impression que les Russes ont encore des capacités en réserve, là où les Ukrainiens semblent précisément ne plus en avoir. A l’orée de l’été, cette disparité est la plus inquiétante.

Analyse politique

Sans surprise, les négociations d’Istamboul n’ont rien donné. Leur raison d’être n’est pas vraiment de négocier entre les deux ennemis mais de donner l’apparence d’une négociation. Cela suffit à D. Trump qui est sorti du dossier et ne compte pas y revenir. Les Russes ne cherchent pas vraiment à obtenir moins que leurs revendications qu’ils pensent gagner sur le terrain. Les Ukrainiens y participent sans y croire, pour satisfaire leurs partenaires européens.

Quant aux Occidentaux, derrière les déclarations (de moins en moins fortes), ils se préoccupent d’autre chose, d’une vraie négociation celle-ci : ils préparent le sommet de l’Alliance atlantique à La Haye, à la fin du mois. Trump a mis haut les enchères : les Européens s’apprêtent donc à augmenter leur effort de défense (en pourcentage de PIB, quitte à tricher sur les dépenses décomptées) pour maintenir la garantie de sécurité américaine. Cela passera bien sûr, ne vous y trompez pas, par l’achat de matériel américain. Les discours sur l’Ukraine seront pour le théâtre et le boulevard fugace des médias et des réseaux sociaux.

La guerre va malheureusement durer.

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