Bécassine est de la revue (Cadet 110)
A propos de la "revue" soi-disant stratégique, le Cadet est en verve
« Contre la stupidité, les dieux eux-mêmes sont impuissants [1] » ; parvenir au terme de la centaine de pages de la Revue Nationale Stratégique 2025 relève au moins du treizième travail d’Hercule.
Copié-collé attrape-tout de dépêches compilées par le maréchal des logis Truchot pour le supplément géopolitique de Modes & Travaux, l’enjeu reste le même que dans les versions 2017 ou 2022, y placer le maximum de mots précieux et dans l’air du temps [2] : nucléaire (101 entrées), Russie (50), Ukraine (49) ou OTAN (47).
On n’y comprend toujours pas quelle menace durable ferait peser sur nous l’ex-URSS, et ce n’est pas la fausse citation de Poutine et les explications controuvées du CEMA qui peuvent nous éclairer. Tout ça reste confiné dans le bac à sable des copies de Sciences Po, à l’image d’un de ces zexperts qui ont leur rond de serviette sur les plateaux TV, passé de : « Le scénario le plus probable est celui de l’effondrement progressif de l’armée russe (23 août 2022) », à : « La Russie s’est transformée en machine de guerre qu’il serait même très difficile d’arrêter aujourd’hui (12 juillet 2025) ». A qui êtes-vous, Monsieur ? Encore deux ou trois ans et l’OTAN devra négocier son maintien même plus dans les seuls pays baltes ou en Finlande, mais en Roumanie et en Pologne comme l’avait rêvé le plan Lavrov de décembre 2021. Même les généraux de 1940 étaient meilleurs stratèges.
Et sur la Palestine, que dit la RNS 2025, là où la 2017 ne voyait qu’un problème de terrorisme et la 2022 restait muette ? Elle est évacuée en un paragraphe (point 51) : « Le 7 octobre a montré que la non-résolution de la question palestinienne demeurait une source de crise régionale. […] Dans ce contexte, la normalisation entre Israël et certains pays arabes, dans le cadre des accords d’Abraham, a été ralentie ». Reformulons ça en termes géostratégiques : le Hamas a remis au cœur de la question cet Etat palestinien que nos diplomates avaient glissé sous le tapis des accords d’Abraham. Or l’œil du cyclone oriental depuis 1967 est un enjeu désormais national bien plus urgent que la Ligne bleue du Donbass, face à une opinion solidaire de Gaza, et il y a davantage de clairvoyance et de proposition dans le récent rapport Frères musulmans et islamisme politique en France que dans la RNS 2025 : « La reconnaissance par la France d’un Etat palestinien aux côtés d’Israël pourrait être de nature à apaiser ces frustrations (p. 62) ».
Mais dès lors qu’une France inconséquente décide de ne pas faire jouer l’article 2 de l’accord UE-Israël, de ne pas reconnaître un Etat palestinien, de ne pas appliquer les mandats d’arrêt d’une CPI dont elle est cofondatrice et de sacrifier Mme Francesca Albanese sur l’autel de l’Atlantisme, qu’attendre d’un travail de courtisans sinon justifier l’inaction ? La RNS 2025 servira-t-elle au moins, dans la prochaine édition du Robert, d’incipit à l’expression « cucul-la-praline » ?
Le Cadet
[1] « Mit der Dummheit kämpfen Götter selbst vergebens », Friedrich von Schiller, Die Jungfrau von Orléans, III.6 (dialogue entre Talbot et Falstof), 1801.
[2] Voir J-Ph. Immarigeon, « Revue stratégique : la guerre du papier », La Vigie, 26 mai 2018.