Le Cadet nous a quitté brutalement, sans prévenir, sans rien préparer. Derrière ce pseudonyme se cachait (à peine) maître Jean-Philippe Immarigeon qui publiait également sous son vrai nom, à La Vigie ou dans d’autres revues. De son métier d’avocat, il avait le goût de la formule et la méticulosité : nous attendions toujours son troisième repentir avant de publier ses textes car il les amendait sans cesse, ciselant autant qu’il pouvait les mots et les phrases ; car un polémiste doit écrire court, qualité si rare et exigeante qu’il maîtrisait à la perfection.
D’une culture prodigieuse et d’une gaîté sans frein, il demeurait un solitaire épris de liberté, se détachant des choses, parcourant une sorte de vie de bohême sans s’exclure de la société. Frayant dans les cercles les plus divers, il y était partout apprécié et les rares fâcheries ne duraient jamais longtemps, tant il était drôle. Comme souvent, cela cachait une profonde angoisse devant une civilisation qui part en lambeaux et des libertés publiques qui s’évanouissent.
Le Cadet avait débuté sa carrière à la Revue Défense Nationale. En juin 2018, les circonstances nous permirent de l’accueillir, comme nous le présentions dans son numéro 50 : « Durant cinq ans, chaque mois de 2011 à 2016 (lien), le Cadet fut une sentinelle perspicace dont les billets accompagnèrent la Revue Défense Nationale. Il monte aujourd’hui à l’échelle pour scruter du haut de La Vigie un horizon incertain. Il a du style et de l’impertinence même s’il n’est pas Gascon. Il reviendra pétiller tous les mois. Merci à lui ».
Nous avions édité en 2024 un recueil de ses cinquante numéros où nous évoquions ses « billets d’humeur (de mauvaise humeur, convenons-en) pleins d’esprit - de mauvais esprit, convenons-en également) ».

Il connaissait parfaitement l’Amérique dont il se plaisait à démonter les défauts existentiels ; il se moquait allégrement de nos élites européennes et françaises, suiveuses et sans imagination, incapables de pensée stratégique ; il pointait tel ou tel précédent historique pour mettre en relief l’impéritie de la conduite publique ; il soutenait depuis longtemps la reconnaissance de la Palestine, au nom du droit et de la décence ; ses connaissances en histoire militaire lui permettaient de montrer bien des inconséquences aussi bien sur le plan opérationnel que capacitaire. Il nous étonnait toujours même si parfois il fallait le retenir, même - et surtout - quand c’était drôle. Nous riions beaucoup devant cette plume qui portait haut le drapeau de l’esprit français, celui qui aime se moquer pourvu que ce soit fin et élégant.
Un ami nous quitte en même temps qu’un polémiste, cette race devenue si rare aujourd’hui où l’on ne sait que mentir, insulter ou rabaisser. Il élevait ses cibles en leur donnant l’honneur de son épée, une simple plume affutée mais si aiguisée. Chaque époque a besoin d’une pertinente impertinence. Son départ nous laisse cruellement démuni.
Adieu l’ami. Ta dernière blague n’était pas drôle.
Olivier Kempf
