Théorie du combattant (M. Goya)

Fiche de lecture par M. CUttier
Théorie du combattant (M. Goya)

Depuis la publication de sa thèse[1], en 2004, le colonel (ER) Michel Goya, bien connu des lecteurs de La Vigie, n’a cessé d’étudier le fait guerrier sous bien des angles sans négliger les conflits actuels tant au Levant qu’en Ukraine.

Il est certes un historien de la « chose militaire » comme disaient certains, sachant naviguer dans les archives mais ayant préalablement accompli une carrière opérationnelle dans des unités de Troupes de Marine, il peut mieux saisir le sens du combat. Entre-autres lorsqu’il présente la théorie du combattant où il décrit les combats du point de vue du fantassin, de celui qui est sur le terrain, au contact de l’ennemi.

Pour cela, il établit des parallèles entre les grandes batailles passées (la guerre du Péloponnèse), les plus récentes (l’Irak, le Sahel, Gaza) et les situations qu’il a affrontées comme chef de groupe, chef de section ou capitaine au Rwanda ou en ex Yougoslavie, au plus près du terrain.

Sans évoquer les 17 chapitres, retenons qu’il en consacre d’entrée deux (Un col trop loin, pp 9-27 et Stupeur et colère pp 28-45) à l’embuscade d’Uzbin, dans le district montagneux de Surobi, en Afghanistan, en août 2008. Il décortique le contexte, la mission, la préparation de la compagnie Carmin du 8e RPIMa et de la section Carmin 2, le combat et la stupeur produite à l’état-major de Kaboul, enfin les mesures pour secourir Carmin 2, le contact avec les survivants, l’intervention américaine sans oublier la fuite des soldats afghans et les qualités combattantes des attaquants et leurs erreurs. Il passe en revue toutes les failles et insuffisances de l’opération « Las Vegas » du 15 au 19 août : « une mission jugée sans véritable risque ».

Le second chapitre est consacré aux réactions en France.  Il est alors « assistant militaire en charge des affaires de doctrine » au cabinet du CEMA, le général Jean-Louis Georgelin[2]. Premier constat :  la confusion régnant parmi les décideurs politiques en vertu d’une doxa entonnée au Tchad en 1970, reprise au Liban, en 1983 selon laquelle la France n’est pas en guerre et n’a pas d’ennemi politique. Elle mène « la guerre contre le terrorisme ». Cela a permis à un hebdomadaire comme Paris-Match de se rendre auprès des talibans et de publier les photos des trophées pris aux soldats français. J’ajoute qu’il a fallu attendre les attentats de 2015 pour que le ministre de la Défense Jean-Yves le Drian publie : « Qui est l’ennemi ? ».

Le colonel Goya note la différence d’engagement entre le président Chirac, prudent et son successeur, le président Sarkozy qui, dans le même temps, réintégrait le commandement de l’OTAN.  Il relève un point commun dans le contexte post guerre froide et des « dividendes de la paix ». Avec le président Chirac, « tout était calculé au plus juste pour assurer une présence au moindre coût en soutien à l’arrière des zones de combat » (p 32) et avec son successeur, il fallait supprimer des milliers de postes pour faire des économies budgétaires (p 33) quitte à fixer « un chiffre rond d’effectif total à ne pas dépasser en Afghanistan ».

Second constat : les erreurs de jugement et les mauvaises décisions à tous les niveaux de commandement (p 34). Du point de vue de l’équipement, les soldats d’Uzbin ressemblaient à ses soldats à Sarajevo. Le programme FELIN, censé « augmenter » le fantassin s’annonçait juste quand s’imposaient, en plus des économies, les lourdeurs et les rigidités administratives (p 36, p 38) sans compter les procédures de la DGA. Il fallut attendre le bilan des pertes en 2011 pour que le chef des Armées ordonne de « prendre le moins de risques possible à l’approche des élections » (p 45) puis décide le retrait pour la fin 2013.  Un retrait annoncé par le président Obama dès 2008 puisque l’armée nationale afghane était censée prendre le relais. Finalement, le président Hollande impose le retrait fin 2012 alors que la situation se détériore au Sahel.

L’auteur consacre par ailleurs deux chapitres à la guerre en Ukraine (Guerre en Ukraine, phase mobile pp 328-353 et Guerre en Ukraine, phase immobile pp 354-376). Sans négliger le contexte politique depuis 1991, le mouvement d’Euromaïdan (le lecteur aurait aimé que l’auteur y évoque le rôle des Américains), la prise de la Crimée en 2014 suivie des accords de Minsk en 2014 et 2015, il s’applique à décrire les deux armées, héritières de l’armée Rouge, leur composition, l’évolution de leurs effectifs dans le contexte de fin de la guerre froide, des recrutements, de la formation des soldats, des pertes concentrées sur les fantassins (p359), de leurs matériels. Chacun profitant de l’aide de ses alliés[3]. A tel point que s’il y a une nouvelle armée russe, il y a une nouvelle armée ukrainienne (chapitre17). Et une innovation majeure avec l’emploi massif des drones dès 2024. La dronisation a mis à distance les systèmes de défense antiaérienne et l’aviation.

Les titres des chapitres indiquent l’évolution de la guerre : phase mobile, phase immobile. Il les concrétise par une chronologie à partir de « l’opération militaire spéciale » du 24 février 2022 où alternent les succès et les échecs des offensives de chacun. Et il établit un parallèle avec la Grande Guerre, celle de Corée de 1950 à 1953 et la guerre entre l’Iran et l’Irak de 1980 à 1988 (p 341). Comme en France, le front continu s’étend sur presque 900 Km, un front figé, difficile à contourner par des attaques aéromobiles ou aéroportées[4] (p. 342) afin de le rompre.

Dans un article récent[5], Michel Goya constate le « blocage de la manœuvre lorsqu’une ligne de défense couvrant l’ensemble d’un théâtre d’opérations s’avère à la fois résistante à des attaques directes et incontournable au sol. » Face à l’impossibilité de contourner et de percer, face au blocage tactique, il reste à réinventer la manœuvre.  

Martine Cuttier

Michel Goya, Théorie du combattant, Perrin, 2025, 428 p ici


[1] Michel Goya, La chair et l’acier, L’invention de la guerre moderne (1914-1918), Tallandier, 2004, 479 p.

[2] En 2006, il avait effectué une mission de Retex à Kaboul auprès d’une compagnie d’infanterie dont il avait observé les faiblesses.

[3] L’armée ukrainienne bénéficiant de l’aide des Occidentaux finit par devenir une sorte « d’armée patchwork » comme le sont les armées africaines avec tous les inconvénients de l’hétérogénéité pour la logistique et la maintenance.

[4] Jusqu’à une date récente, les TAP pouvaient réaliser des OAP dans la profondeur des lignes ennemies car les avions de transport pouvaient s’approcher de la zone en « vol tactique » à très basse altitude en passant sous les radars pour réaliser un « poser d’assaut » ou bien effectuer une remontée rapide le temps du largage. Avec les drones de surveillance et les satellites, plus rien n’échappe à ceux qui surveillent le théâtre d’opérations.

Dans le cas de la guerre en Ukraine, après l’échec du raid aéroporté sur Kiev, les Russes n’ont plus tenté la moindre opération d’assaut aérien.

[5] Michel Goya, « Retourner à la manœuvre », DSI, hors-Série, n° 104, octobre-novembre 2025, pp 72-76.

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