Syrie post-Assad (P Tran Huu)
une recomposition stratégique aux lourdes conséquences régionales
Le renversement du régime de Bachar El-Assad et l’ascension d’Ahmed El-Charaa à la tête d’une Syrie en transition opèrent un basculement géopolitique majeur, aux répercussions profondes pour l’architecture sécuritaire du Moyen-Orient.
À rebours de la fidélité historique de Damas à l’axe chiite (Téhéran–Hezbollah–milices transnationales), la nouvelle équipe au pouvoir multiplie les signaux de rupture : absence de condamnation des frappes israéliennes sur l’Iran, usage toléré de l’espace aérien syrien par Tsahal, arrestations de cadres pro-iraniens, contrôle resserré à la frontière libanaise.
Ce réalignement de Damas est à la fois idéologique, stratégique et opportuniste. Il marque le retour en grâce d’un certain nationalisme sunnite, jadis marginalisé par l’ascension des Alaouites au pouvoir. Il s’inscrit aussi dans une tentative assumée de réintégration régionale, en capitalisant sur les rivalités inter-musulmanes et en s’affichant comme partenaire crédible de Washington, Riyad, Doha et même Tel-Aviv. À Riyad, la poignée de main entre Ahmed El-Charaa et Donald Trump a scellé ce renouveau syrien – ou, pour ses détracteurs, cette “conversion atlantiste”.
Pour le Hezbollah et ses alliés palestiniens, la donne se complique. La Syrie, qui fut durant des décennies leur profondeur stratégique, devient désormais un glacis défensif. Privés de ce corridor logistique, acculés à une frontière désormais verrouillée, confrontés à une hostilité institutionnalisée à Damas, les miliciens chiites perdent en liberté d’action et en légitimité. Côté libanais, l’émissaire américain Tom Barrack, désormais en charge du dossier, plaide pour une “solution syrienne” : désarmement du Hezbollah, règlement frontalier avec Israël, et évacuation du prétexte historique des fermes de Chebaa.
En creux, c’est bien l’avenir de ce que d’aucuns appelaient encore récemment “l’axe de la résistance” qui se joue. L’effritement du croissant chiite ne relève plus du fantasme doctrinal, mais d’un réalignement pragmatique, soutenu par un bloc arabo-occidental en quête de stabilité – ou du moins de nouveaux équilibres.
À l’heure où les regards se portent sur les frontières syro-libanaises et irako-syriennes, où l’Iran affronte une campagne de frappes israéliennes sans précédent, il nous appartient d’observer avec attention l’émergence d’une Syrie revenue dans le jeu, non plus comme acteur aligné, mais comme pivot discret d’un nouvel ordre moyen-oriental.
Pascal Tran Huu
Chercheur associé à La Vigie