Quos vult perdere Jupiter dementat prius (Cadet 112)
De la nécessaire reconnaissance de la PalestinePourquoi ne pas avoir reconnu la Palestine au lendemain des accords d’Oslo ? Comment justifier cette erreur diplomatique qui fut une faute historique quand seront découverts des charniers sous les ruines de Gaza, excuser le silence de nos pantoufles pour citer Max Frisch, et rattraper le temps perdu après avoir tardé, beaucoup trop tardé ?
Il aurait fallu agir dès le 17 juin, comme cela avait été annoncé, sans attendre le retour d’une sauvagerie débridée et primitive perpétrée au nom d’une obscure idole ; si Dieu n’est pas mort à Auschwitz, il s’est suicidé à Gaza. Il fallait sanctionner cette folie de destruction qu’on n’avait pas vu depuis Palmyre ou les Bouddhas de Bâmiyân : des dizaines de milliers d’enfants ont été exécutés, nous dit-on, et ces verbes à la forme intransitive sont terribles dès qu’il s’agit des crimes de Tsahal. Pourquoi enfin imposer un Etat démilitarisé, privant la Palestine d’un attribut essentiel de sa souveraineté, et mettre une condition sans objet à l’ouverture de notre ambassade à Ramallah ?
Il fallait s’affranchir plus tôt des constructions artificieuses agencées au gré des humeurs, antisionisme – palestinisme – islamo-gauchisme, exercices de bouts rimés et ridicule anthologie de néologismes sassés et ressassés. Il fallait hausser les épaules aux pitreries dénonçant un transfert sur Israël de la culpabilité de nos propres crimes, quand ce ne sont pas les Palestiniens accusés de s’approprier la Shoah pour la retourner contre leur occupant. Car si on voulait se lancer dans la psychanalyse, comme dit Bernard Blier dans Le Cave, on pourrait tout aussi bêtement parler d’identification au bourreau d’hier et de reconstitution d’un ghetto loin d’une Europe sans Juifs, rêve partagé des sionistes et des antisémites.
Certains ont tenté de faire du droit sans être juristes et de l’histoire sans rien y comprendre. Nous avons été sommés de confesser : que l’identité palestinienne n’existe pas, comme si elle ne s’était pas forgée depuis l’occupation de 1967 ; que l’Etat de Palestine ne satisfait pas aux exigences de la Convention de Montevideo (population, frontières, gouvernement, diplomatie), en oubliant que les frontières ont été fixées par les accords de Rhodes de 1949 et que, même sous occupation, la Palestine a son drapeau sur les parvis de l’Unesco à Paris depuis 2011 et de l’ONU à New York depuis 2015 ; que ce drapeau serait celui du Califat alors qu’il n’est que le drapeau jordanien sans l’étoile symbolisant les sept versets de la Première Sourate ; et même que la Convention de San Remo et l’article 80 de la Charte de l’ONU auraient délégué la qualité de mandataire à l’Etat hébreu qui serait seul habilité à décider d’un Etat de Palestine, oubliant le Traité de Sèvres, le Livre blanc britannique et les résolutions SDN de 1922.
D’autres, qu’on espère momentanément égarés par la frustration et le sentiment d’échec, se réjouissent par avance de ce que la France connaisse des attentats genre Bataclan sur le registre « vous l’aurez bien cherché », comme si les islamistes les avaient attendus pour vouer aux gémonies la France des Lumières et de la Révolution. Ce qui confirme que, contrairement à l’adage, Jupiter ne rend pas seulement fous ceux qu’il veut perdre, il les rend surtout très cons.
Le Cadet