PV CEM 9 : Tunisie et transition démocratique

CR CEM N°9 – Lundi 26 février 2018

Tunisie : où en est la transition démocratique ?

 

Peut-on comparer l’émancipation tunisienne à d’autres formes d’émancipation observées dans d’autres pays, comme la Révolution française ? Il n’y a pas de typologie de la révolution tunisienne : faut-il l’appeler révolution ou « thawra » ?

La situation en Tunisie est particulière : en 2017, le taux de croissance a été de 1%, la production industrielle a chuté de 6,6%, l’inflation a été de 7%, le chômage était de 15,5% (le chômage touchant surtout les diplômés de l’université, entre 20 et 40%). Le PIB tunisien est ainsi passé de 46 milliards de dollars en 2011 à 6 milliards en 2017.  Cette situation résulte de plusieurs facteurs.

En premier lieu, l’Etat ne parvient pas à redresser l’économie ni à combattre la corruption. Il existe une vingtaine de sociétés exportatrices en offshore dont 90% sont des sociétés écran qui n’emploient qu’une seule personne. Or l’Etat est dépendant des investissements des acteurs privés.

Le second facteur est sécuritaire : tant que la Libye sera en proie à des conflits violents, le sud de la Tunisie sera menacé par des groupes terroristes ou mafieux transnationaux. Par ailleurs, la faillite de l’Etat libyen a aussi conduit à la fragilisation de l’équilibre monétaire tunisien. Lorsque la monnaie libyenne perd en valeur, les moyens tunisiens diminuent car plusieurs fonctionnaires libyens vivent ou dépensent en Tunisie. Le trafic routier entre Tunis et Misrata démontre qu’il y a un mouvement de marchandise considérable entre les ports tunisiens et libyens.

Le troisième facteur est politique : il existe, dans le paysage électoral, plusieurs petits partis qui forment autant d’associations d’intérêts individuels ou semi-collectifs régionaux. Ennahda occupe une place unique. Il s’agit d’un parti qui parvient à lier des alliances avec différents groupes, mais il s’agit aussi d’un parti islamiste qui alimente l’intolérance sociale. De plus, Ennahada bénéficie d’un soutien financier du Qatar, ce qui met la Tunisie dans une situation diplomatique fragile vis-à-vis des EAU.

Afin de se redresser, la Tunisie espère le soutien actif de la France. La visite du président Macron en Tunisie a aussi alimenté cet espoir. Cependant, la Tunisie pour le PR Macron c’est d’abord les 600 000 électeurs franco-tunisiens. C’est pourquoi, malgré l’annonce d’une nouvelle politique tunisienne de la France, celle-ci demeure en retrait. Tandis que de nombreux entrepreneurs français ont quitté la Tunisie, le premier partenaire économique du pays n’est plus la France, mais l’Italie. Et le premier soutien, l’Allemagne.

Ainsi, l’équilibre de la Tunisie dépend pour le moment surtout de ses voisins maghrébins. Or pour de nombreux observateurs, ces pays ne souhaiteraient pas voir la révolution tunisienne aboutir sur une véritable transition démocratique, car cela menacerait leurs intérêts et leurs équilibres.

En dépit de toutes ces limites, la Tunisie parvient à se maintenir en tant qu’Etat et à ne pas faillir. Grâce au taux d’éducation relativement élevé de la population, et au travail de fonctionnaires bien formés dans le « middle management », et malgré la présence d’Ennahda, la Tunisie continue d’incarner l’Etat le plus laïc et le plus progressiste du monde arabo-musulman. L’obtention par les femmes du droit de mariage avec un non musulman, et l’ouverture d’un débat sur l’égalité du partage de l’héritage en sont de récentes illustrations probantes. La France semble considérer la Tunisie comme un Etat qui peut se stabiliser lui-même. Cependant, elle peut et doit intervenir davantage pour accompagner la transition démocratique et aider la Tunisie à reconstruire un véritable équilibre politique.

20180310