PV CEM 13 : Évaluation de la dynamique actuelle du Maghreb

Évaluation de la dynamique actuelle du Maghreb :

Effervescences internes et influences externes.

Un déjeuner de travail en petit comité a permis de dégager le 30 octobre les points suivants :

  1. Le climat stratégique des quatre pays du Maghreb central est plus que morose. Aucun ne semble aujourd’hui en mesure de faire face convenablement aux échéances internes politiques, sociales et économiques qui s’annoncent en 2019. Les peuples maghrébins ne se reconnaissent pas bien dans leurs élites politiques et leurs régimes respectifs et leur désenchantement individuel est aussi un mal collectif. Tous subissent de fortes pressions extérieures, en contre-coup des tensions qui fissurent les pays du Machrek, du Golfe et du Levant qu’accentuent la crise de confiance envers la monarchie séoudienne et les négociations relatives à la Syrie après l’éviction de l’EI.
  2. En résumé et en partant d’Est en Ouest, on observe une Libye avec sa quadripartition habituelle et où sont entrés en compétition des projets soutenus par l’Italie et la France ; une Tunisie qui cherche comment sortir de sa révolution de 2011 ; une Algérie dépressive qui s’achemine faute de mieux vers un 5ème mandat du Président actuel et un Maroc qui questionne directement son Roi et réclame un vrai progrès social. A l’arrière, la Mauritanie se perpétue efficacement par l’alternance au pouvoir de ses généraux frères ; le Mali se montre incapable de gérer simultanément son Sud agricole, ses Peuls éleveurs et les habitants de son septentrion désert que domine un monde de Touareg dispersés et en compétitions internes, de l’Algérie au Niger et au Burkina. La criminalité se généralise.
  3. En Libye, une quadripolarité durable semble s’installer entre un Nord sous influence multiple des pays du Moyen Orient (Turquie, EAU, Qatar principalement) et recueillant les résidus terroristes de l’EI, un Sud que se disputent les grandes tribus opposées (Ghadaffa et Ouled Slimane) qui enrôlent les supplétifs des rébellions des pays africains voisins et voisinent avec des résidus de l’EI ; un Ouest que se partagent Touareg et Toubous (qui s’agitent à Shaba et Oued Chat) et un Est où opèrent « l’armée nationale libyenne », des commandos égyptiens et tchadiens. Deux partis se sont formés qui chacun cherche à établir une légalité politique minimale pour reprendre le cours des affaires socio-économiques et des investissements lucratifs. L’un autour du Mal Haftar que soutient l’Égypte, les EAU et le Tchad avec une bénédiction qatarie et algérienne ; la France l’encourage. Il s’agit tout à la fois de s’imposer politiquement et militairement à Tripoli par la pression opérationnelle, de combattre les Daeshis débarqués de Syrie et d’éliminer les oppositions tchadiennes et soudanaises réfugiées dans le Sud. L’autre, poussé par l’Italie, autour du gouvernement fragile mais reconnu de Fayez Sarraj que soutiennent les USA et l’ONU qui vise à rétablir le modèle de gouvernance des Ghaddafi par coordination des intérêts de toutes les tribus du Nord intégrées dans l’exploitation des richesses pétrolières. La réunion de Palerme de mi-novembre va chercher une voie dans ce maquis. Les tensions devraient durer menaçant les élections prévues de fin d’année.
  4. En Tunisie, maillon faible du Maghreb central, la situation est cristallisée autour de l’affrontement radical entre un Nidaa Tunes qui se délite et Nahda qui se crispe. La situation économique est désastreuse. Le jeune PM pseudo-laïc n’a pas su relancer le pays ni trouver la voie politique de conciliation entre ces deux forces. Alors, un outsider du parti Hizb al Tahrir tenant du Califat pourrait créer la surprise lors des prochaines élections législatives. L’armée et la police qui se renforcent avec l’appui américain pourraient intervenir pour sauver la loi républicaine et un autre printemps arabe agiter la Tunisie.
  5. En Algérie, chacun se résigne à un cinquième mandat qui paraît inéluctable, faute d’avoir su trouver une solution capable de donner le change tout en sauvant le système en place. Les tensions à l’Assemblée nationale, la grande purge d’été à la tête de la police, du haut commandement militaire, du DRS résiduel et du corps préfectoral ont voulu écarter les tentations de coup d’état des forces constituées. Le prétexte en a été le grand nettoyage anti-corruption après le « Cocainegate » oranais. Tout au plus, ce nouveau mandat du PR sera-t-il consolidé par l’accession au poste de V-Pdt du général CEMA, Gaïz Salah qui a perdu sa garde prétorienne mais conserve la main sur l’appareil militaire via l’énigmatique générale-major F. Boudouani. Car une jeune garde d’une quarantaine colonels et généraux-majors modernes souvent formés à l’étranger pointe son nez sous couvert de lutte anticorruption. Les partis traditionnels sont dévalués et dépassés par la situation. Mais le fait nouveau est sans doute que la société civile bouge et s’impatiente comme le montrent les réseaux sociaux de plus en plus actifs avec un mouvement citoyen et des acteurs comme Amir DZ qui expriment une colère populaire devant la faillite ressentie de l’éducation, de la santé, des infrastructures et des logements… Une forme de printemps algérien comparable à celui d’octobre 1988 est latent que pourraient récupérer des personnalités indépendantes et expérimentées comme A. Benbitour voir l’éphémère PM Tebboune. L’absence de relais par une société civile constituée est un handicap pour l’Algérie alors que le souvenir obsédant des années de sang est un frein aux aventures.
  6. Au Maroc, ni sérénité, ni tranquillité non plus. Les partis politiques, normalisés par le Palais, ne sont plus de vrais acteurs de la vie publique si bien que le Roi se retrouve le plus souvent en première ligne. Les revendications populaires se multiplient devant la persistance de la pauvreté, du mal développement et le Palais est en passe de faire partie de la crise vécue par une population qui récuse le service militaire annoncé (contesté activement par une minorité de jeunes très actifs sur les réseaux sociaux) et doit recourir aux services privés pour pallier les insuffisances du secteur public. Un Maroc en colère rentrée pourrait faire évoluer la situation politique vers une monarchie parlementaire ou un gouvernement technocratique, options récusées par les islamistes. La royauté est toujours perçue par la majorité des Marocains comme faisant partie de leur identité et de leur histoire commune. Aujourd’hui elle devra resouder le nationalisme marocain contre les défis du Rif et du territoire du Sahara afin de continuer à jouer le rôle du dénominateur commun pour toutes les strates de la société. La question du Sud marocain semble toutefois se simplifier avec le départ du général commandant de la 3ème RM de Tindouf, l’ouverture d’un point de passage d’Algérie vers la Mauritanie, la fragilité du leader polisarien malade et la fin officielle de la juridiction légale de l’Espagne sur le Sahara Occidentale qui fait du Maroc la puissance administrative de fait de son grand Sud.
  7. De façon plus générale, bien des experts et soutiens extérieurs occidentaux aux pays du Maghreb pensent que ces pays ne sont pas encore prêts pour un système de démocratie parlementaire et pourraient préférer valider des formules de républiques autoritaires. A l’inverse, les pétromonarchies arabes du Golfe voient dans ces pays berbères du Dar el Islam des terres de mission naturelles pour leurs entreprises.

JDOK