La troisième chaise

A l’heure de la fuite américaine, et pour ne pas se tromper dans un choix qui nous engagera pour les dix ans à venir, l’urgence n’est pas de savoir qui a tort et qui aura eu raison : il s’agit de conclure au mieux de nos intérêts
La troisième chaise

A l’heure de la fuite américaine, et pour ne pas se tromper dans un choix qui nous engagera pour les dix ans à venir, l’urgence n’est pas de savoir qui a tort et qui aura eu raison : il s’agit de conclure au mieux de nos intérêts stratégiques et pour cela d’avoir le bon logiciel. Car mal nommer une guerre serait ajouter au malheur de la France, n’a pas dit Albert Camus.

La guerre en Ukraine est devenue l’impasse prévisible et annoncée [1] dont les Etats-Unis s’extraient : s’installer sur le Don ne les intéresse plus. « La guerre en Ukraine est une chose terrible, mais ce n’est pas notre guerre, nous n’avons pas commencé », a dit le secrétaire d’Etat Marco Rubio le 18 avril 2025. Derrière ce lâchage en règle et en toute bonne conscience se devine la seule question qui vaille, tout autant pour les Américains que pour les Français : quel intérêt avions-nous à promettre aux Ukrainiens leur intégration et à étendre l’OTAN jusqu’aux marches russes au risque, non d’une guerre européenne, mais de ce redécoupage des frontières que nous allons finalement concéder comme naguère à Munich ?

Il fut un temps où la France avait clairement indiqué quels étaient ses intérêts stratégiques [2]. Mais depuis le revirement de février 2023 et quoiqu’elle soit la seule puissance nucléaire du continent avec la Russie et elle-aussi membre permanent du Conseil de sécurité, elle a revêtu l’armure du vassal, posture qui a fini par agacer le suzerain américain lui-même [3] parce que la France est inutile quand elle se contente de n’être que la mandataire de l’Union Européenne. Qu’il se soit permis ou non de l’éjecter sous le nez des caméras et à quelques mètres du linceul de l’évêque de Rome, le résultat reste que cette chaise désormais vide nous revenait de droit et que nous n’avons pas su nous y assoir d’autorité.

Car cette guerre n’est jamais qu’un banal commerce de rois, comme écrivait le poète anglais John Dryden, un classique affrontement clausewitzien de choc de volontés et non la fatalité hobbésienne et déterminante d’un continent qui aurait cru la conjurer. Elle doit être comprise au prisme des jeux de pouvoirs car s’il y a côté russe une volonté agressive de regain de puissance et la nostalgie d’une grandeur perdue, il y a, côté américain, le désir de finir 80 années de Guerre froide par une victoire sans appel. On ne pourra dès lors qu’être consterné que la France ait confondu ses intérêts vitaux avec les obsessions de l’Oncle Sam.

Nous n’aurons été que le hochet d’une Amérique-Don Salluste, le pion avec lequel elle fait joujou. Sauf que si les Etats-Unis ont la folie des grandeurs, leurs caprices sont nos problèmes lorsqu’ils abandonnent leurs vassaux comme ils l’ont déjà fait avec les Vietnamiens, les Irakiens ou les Afghans. Mettons-nous à la place des Ukrainiens, des Baltes ou des Polonais qui attendaient le Dieu Cargo de l’Article 5 : les Ricains ne sont déjà plus là ! Car le plus terrible n’est pas que l’Amérique fasse ses guerres par procuration, c’est qu’elle ne les termine jamais.

Jean-Philippe Immarigeon

La chute de la maison OTAN (J-Ph Immarigeon)
Contributeur régulier de La Vigie, maître Immarigeon nous livre ici son analyse de la situation stratégique européenne. Merci à lui. LV L’OTAN souffle ses soixante-quinze bougies et le débat a repris sur l’Europe de la défense ou plutôt la défense de l’Europe, provoqué tout autant par la

[1] Voir « La chute de la maison OTAN », 13 avril 2024, et « Le monde remis à l’endroit », 1er mars 2025.

[2] Déclarations d’Emmanuel Macron des 12 octobre, 3 décembre et 21 décembre 2022.

[3] « America doesn’t want a vassal continent », entretien du 15 avril 2025 avec Sohrab Ahmari pour le site UnHerd, où le vice-président américain J.D. Vance - qu’il faut décidément écouter ne serait-ce que parce qu’il sera un jour dans le Bureau Ovale - poursuit sa révision décapante de l’histoire des relations atlantiques commencée à Munich le 14 février 2025, évoquant ici notamment deux épisodes : oui, les Etats-Unis ont eu tort en 2003 d’envahir l’Irak, mais ils avaient également eu tort en 1956 de contrarier l’intervention franco-britannique sur Suez.

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