La « russification » du monopole français de la violence légitime (Th. Lamidel)
Mettre en place un Service national : pourquoi pas ? Encore faut-il que ce soit subordonné à une vraie conception stratégiqueEmmanuel Macron, président de la République, déclarait jeudi 27 novembre 2025 avoir décidé la fin de la suspension du Service national qui avait été annoncée par Jacques Chirac, le 22 février 1996 et était entrée en vigueur par la loi du 28 octobre 1997. Cet empilement de strates militaires, sans mission ni unification du commandement devrait – enfin ? - interpeller, voire même inquiéter.
C'est en ce sens qu'il y a une « russification » d'une Défense nationale où la peur d'engager des appelés à l'Est tient le pays rétif à la « Nation en armes », mais qui admet un échange nucléaire consécutif à un bousculement, encerclement et destruction d'un corps expéditionnaire français. La France se préparerait à faire l'économie d'une ascension aux extrêmes et d'une escalade stratégique.
Nous voici face à une énième strate militaire des engagements dont l'utilité opérationnelle n'est ni foudroyante, ni renversante. Le Président de la République n'a rien de moins annoncé qu'un nouveau « Service national », long de dix (10) mois, pouvant servir comme année de césure et peut-être même de brassage social. Pour composer une Armée (de Terre) « de masse », qu'est-il donc possible de former en si peu de temps ? N'importe lequel des métiers, n'importe laquelle des spécialités exige des mois d'instruction, de formation et d'entraînement. « Seulement, de nos jours, il y a de moins en moins de techniciens pour le combat à pied. L'esprit fantassin n'existe plus, c'est un tort »[2].
Nous avions récemment eu le Service National Universel dont l'opérationnalisation est un échec complet. Il y avait également eu la Garde nationale qui rassemble sous sa tutelle toutes les réserves opérationnelles des trois Armées et de la Gendarmerie nationale. N'oublions pas la réforme de ces mêmes réserves opérationnelles ni le Service Militaire Adapté (SMA) fonctionnant dans les Outre-mers et dont il avait été extrapolé, déjà, un Service Militaire Volontaire (SMV). Gardons-nous enfin d'omettre les réserves citoyennes, les cadets des différentes Armées et les préparations militaires, toujours par Armée.
Il y a désormais ce Service national. Pourquoi faire simple quand il est possible de faire compliqué ?
Un esprit cabotin aurait pu s'attendre à une densification des grandes unités grâce à une préparation militaire dispensée au profit de jeunes citoyens, afin de les préparer physiquement et intellectuellement au service militaire, sur la base du volontariat. Ils auraient eu le choix d'exercer un engagement actif dans les forces ou bien de s'inscrire dans une démarche au long cours dans une réserve opérationnelle. Un parcours n'étant pas exclusif de l'autre. La crise de l'engagement aurait été progressivement largement résorbée.
Aussi, un engagement plus long avec une visée professionnelle aurait pu s'appuyer sur le couple SMA/SMV afin de densifier les Armes du Génie et du Train, étendre les compétences et donc les capacités opérationnelles, afin de permettre à des divisions d'être réellement en mesure d'exercer une bascule géographique sans précédent depuis l'Ouest vers l'Est de l'Europe.
Un autre engagement, tout aussi long, pour les plus désireux de rejoindre les régiments dits de « mêlée », leur aurait permis de rejoindre des compagnies, escadrons ou batteries de réserve, appelées à compléter de grandes unités d'actives mais incomplètes ou bien à voir celles-ci pouvant se diviser en deux. L'ordre de bataille aurait été plus ou moins doublé.
Un service national au sein d'une « Garde nationale » aurait dû permettre depuis l'origine – car cette institution a été conçue pour la protéger les populations – de densifier tous les services de secours, d'aide à la personne et quelques unités territoriales, mais aussi d'assurer gardes statique et dynamique d'opérateurs d'importance vitale et autres infrastructures civiles et militaires critiques. Le tout aurait été placé sous le commandement des zones de défense et de sécurité.
Ainsi, nous n'aurions rien de moins que reconstitué la 1ère Armée (1944 – 1993) du conflit Est-Ouest (1947 – 1991). Son rôle principal était bien de se porter, telle une avant-garde, au contact de divisions soviétiques mises en mouvement afin de tester leurs intentions. Et en cas de poursuite de l'offensive, de s'opposer jusqu'à l'ouverture du feu nucléaire.
De l'autre, nous aurions peut être eu – enfin ? – l'occasion de conceptualiser une nouvelle définition de la « sûreté territoriale » alors que nous sommes visés par une offensive stratégique « à outrance » et d'opérationnaliser, à nouveau, la défense opérationnelle du territoire.
L'organisation proposée est banale mais efficace, cohérente entre les politiques intérieure et extérieure et pouvant bâtir une Défense nationale.
Au lieu de cela, qu'avons-nous ? Une désorganisation manifeste de la Défense nationale, à tel point qu'il nous faut proclamer face à tant de désordres que « cette unité n'est pas commandée ». Il faut et il suffit de comparer avec l'organisation du Ministère de l'Intérieur autour de la notion centrale d' « ordre public » dont il est le seul architecte et vers lequel remonte toutes les questions, les actions de l'administration. Les Armées n'auraient-elles pas été dépossédées, en comparaison ?
Par ailleurs, l'empilement des strates pré-citées nous oblige à nous demander si nous ne faisons pas œuvre culturelle de « russification » : autant de dispositifs pour éviter d'envoyer des appelés « au front ». Comme en Russie. Autant de dispositifs sans mission et vidant les mots de leur sens, faisant fi des éternelles critiques quant au mythe du brassage social lors du service militaire. Comme en Russie. Un désacouplage, voire même des fissures dans le monopole de la violence légitime avec autant de dispositifs dont les administrations devant « commander » ne répondent pas à la logique politique d'unification de la lutte par l'efficacité opérationnelle. Comme en Russie.
Il faut et il suffit d'entendre et lire les réactions au propos du général d'armée aérienne Fabien MANDON, Chef d'état-major des Armées – pour se rendre compte, non seulement que la peur nationale existe mais qu'elle repose sur des préceptes curieux : Il faudrait tout bonnement ne pas se défendre car on risque d'y perdre la vie. Et défendre quoi ? Un pays qui ne répond pas exactement à la vue de l'esprit de chacun de ses 68 millions d'habitant ? Ah, les Français : quel peuple politique ! Il ne manquerait plus qu'ils aient les idées claires.
C'est pourquoi nous attendons tous Godot. Et nous n'avons pas peur de sa venue. Qui a peur d'un échange nucléaire avec la Russie ? Personne, en France. C'est bien parce que nous refusons d'adapter nos forces conventionnelles à la réalité des risques et menaces militaires imposées et à l'Est (Moscou) et à l'Ouest (Washington) et d'assumer d'être le pôle nucléaire de l'Europe que nous assumons implicitement d'être à court d'arguments et d'en venir à l'ultima ratio regum : l'ouverture du feu nucléaire.
Thibault Lamidel
Voir aussi :

[2]Venantino VENANTINI in Georges LAUTNER, Les Tontons flingueurs, Paris, 1963, Gaumont.
