C’est curieux chez les diplomates ce besoin de faire des phrases (Cadet 111)
Quand on ne sait pas négocier, on ne négocie pas.
« C’est avoir tort que d’avoir raison trop tôt », écrit Marguerite Yourcenar dans les Mémoires d’Hadrien. C’est surtout inutile, personne ne s’en souvient lorsque les évènements valident l’intuition.
Alors à celles et ceux qui ne savent pas l’inconsistance de l’Amérique et tentent de s’absoudre de leur inconséquence en prétextant l’inconcevable, voici, second d’une série qui débuta au lendemain de la visite au Kremlin d’un président français qui ne comprit pas que Poutine s’adressait à lui « en tant qu’ordonnateur du feu nucléaire français et non d’une présidence européenne ni comme membre de l’OTAN [1] », ce que le Cadet publiait déjà :

Poutine avait dit : « Ce n’est pas nous qui avançons vers l’OTAN, c’est l’OTAN qui avance vers nous ». Sauf qu’en ce mois de mars 2022 ce sont les Russes qui ont fait un bond en avant au contact de l’Alliance, huit cent kilomètres à l’ouest de ce que les brillants esprits du Pentagone avaient envisagé. C’est Bagration bis.
L’Ukraine, quoiqu’il advienne, n’a plus aucune chance d’intégrer l’OTAN sauf guerre continentale, la nucléarisation de la Biélorussie est entamée, l’oblast de Kaliningrad tient sous son feu la Pologne […] et la Crimée est devenue un gigantesque porte-avions. Si on s’en tient là, la Russie a son glacis et les Etats-Unis marchandent en ce moment un nouveau Yalta sur le dos des Européens.
Or lorsque Moscou proposa un accord de sécurité, la France aurait dû porter les bases d’une négociation pour un no-man’s-land militaire courant du nord au sud du continent : discutons de la Finlande, des Etats baltes et de l’Ukraine mais aussi de Kaliningrad, de la Biélorussie et de la Crimée. Brelan contre brelan, même un gamin de cours de récré sait négocier son chef indien en plastique contre trois billes de verre. L’Histoire jugera très sévèrement ceux qui n’ont pas saisi cette opportunité pour lui préférer la guerre, laissant le joueur de poker du Kremlin agir en primitif et prévoir en stratège (René Char) [2].

Il faudra qu’un jour le Quai d’Orsay nous explique pourquoi tous se réunir pour discuter des mémorandum Lavrov et de la sécurité globale en Europe était impensable en décembre 2021 mais devient un impératif catégorique quatre ans plus tard : car il suffisait de regarder une carte pour comprendre comment cela finira, avec ou sans les Européens [3].

Quant aux « hommes sans poitrine » (C.S. Lewis), nouveaux bourgeois de Calais qui nous ont précipités dans le ridicule d’un possible Munich, ces dévots de l’obédience atlantique comme les appelait de Gaulle, qui n’ont même pas la tragique lucidité d’un Daladier ni mauvaise conscience – ont-ils l’ombre du soupçon de l’ébauche d’une conscience ? –, devant quelle idole défaillante vont-ils bien pouvoir désormais se prosterner ?
Le Cadet
[1] « Le retour de Folamour » (Le Cadet n° 88, 12 février 2022)
[2] « Leur joueur de poker et nos joueurs de billes » (Le Cadet n° 89, 3 mars 2022)
[3] « Borodino, Episode VI » (Le Cadet n° 94, 7 septembre 2022)