Bilan n° 124 du 23 novembre 2025 (guerre d’Ukraine)

Les Ukrainiens cèdent un peu plus de terrain face à une pression russe qui ne cesse pas. Trump a proposé un plan de paix en 28 points qui ouvre une nouvelle phase de négociations, beaucoup plus visible.
Bilan n° 124 du 23 novembre 2025 (guerre d’Ukraine)
Source Poulet Volant

Déroulé des opérations militaires

Les frappes dans la profondeur se poursuivent.

Front sud : Sans changement à Plavni (carte) ni à Orikhiv (carte). La ville d’Huliapole est désormais aux prises avec les premières troupes russes dans une situation locale qui s’est nettement dégradée. La rivière Yanchul a été franchie et les villages de Vysoke, Zelenyi Hai, Vesele, Yablukove, Rivnopilia et Solodke saisis. Les Russes progressent en direction de la rivière Haichul pour couper la pénétrante nord d’Houliapole et coiffer le bourg par le septentrion (carte).

Un peu plus au nord, les infiltrations russes se poursuivent : Danylivka (qui coupe la route 401), Hai, Tykhe, Orestopil (carte). Grosse infiltration russe à Novopavlivka (carte).

Tous ces combats se déroulent dans les oblasts de Zaporijia et Dniepropetrovsk.

Front de Donetsk : A Pokrovsk la situation ukrainienne est très dégradée, les Ukrainiens ne contrôlant plus aucune part de la ville. Les incursions se poursuivent à l’ouest de la ville en direction de la M30. Au nord de la ville, les Ukrainiens sont repoussés au-delà de la rivière et, un peu plus loin, repoussés de Rodynske. Ils ont simultanément abandonné toute la partie sud de la poche de Myrnohrad (Sukhyi Yar, quartier de Hostunyy Dir). Les troupes résiduelles se battent encore dans le centre-ville de Myrnohrad (carte).

Au nord-est les Russes ont pris les deux villages de Pankivka et de Volodymyrivka, dans la vallée de la Kazenyyi, et font pression contre Shakhove (carte).

Front de Kostiantynivka : Les Ukrainiens ne sont plus au sud du réservoir. Les Russes poussent à Pleschivka et Ivanopila (carte). De premières infiltrations ont lieu dans les quartiers sud-est de Kostiantynivka (carte). Reprise d’initiative russe au nord de Chasiv Yar (carte).

Front de Siversk & Lyman : Le secteur de Siversk est nettement dégradé. Les Ukrainiens ont abandonné le contrôle de Zvanivka (sud), Dronivka et Platonivka (nord). De premières infiltrations ont lieu dans la ville (carte). Au nord-ouest, les Ukrainiens ont perdu le contrôle de Yampil et donc de la route 513. Dans Siversk, il reste au maximum les éléments avancés d’une brigade.

Secteur Lyman : à Lyman, infiltration de premiers éléments russes au nord de la ville (Stavky, Novoselika). Drobysheve reste sous contrôle ukrainien (carte).

Front de Svatove/Koupiansk. Secteur de Pischane : Prise de Seredne outre Nitrius (carte). Petite progression dans le secteur de Svatove vers Borova (carte).

Secteur de Koupiansk : Les Ukrainiens ne contrôlent quasiment plus de secteur à l’ouest de l’Oskil : quelques combattants isolés y sont peut-être encore. Les combats vont se déporter dans les quartiers situés sur la rive orientale (carte).

Secteur de Dvorichna et Milove : progression russe de 30 km² (carte). Carte générale du secteur nord-est.

Front de Kharkiv : Sans changement rapporté par Poulet Volant à Vovchansk (carte). Sans changement à Lyptsi (carte)

Front de Soudja : Sans changement (carte),

Analyse militaire

Toujours d’après les relevés de Poulet Volant qui se fonde principalement sur Deepstate, ROSO ukrainien particulièrement conservateur, les Russes ont pris 155 km² en S46 et 113 km² en S 47 soit 19.1 km² par jour (en hausse). Les Ukrainiens ont repris 5 km² en S46 et 1.4 km² en S47 soit 0.45 km² par jour (baisse).

Au cours de la quinzaine, les craquements se sont accentués. Vovschansk est presque entièrement sous contrôle russe. Les Ukrainiens résistent encore courageusement dans les faubourgs de Koupiansk sans espoir de reprendre la ville. Le bourg de Yampil a été perdu, ce qui menace simultanément Lyman à l’ouest et Siversk à l’est. Cette dernière ville voit les premières infiltrations russes, contrées seulement par des pluies de drones. De même, les premiers combats se déroulent dans les faubourgs de Kostiantynivka. Pokrovsk est tombée et Myrnohrad encerclée. La manœuvre d’encerclement d’Houliapole se développe.

L’augmentation des gains russes démontre l’effritement de la résistance ukrainienne, pour les raisons que l’on a déjà évoquées. La fragilisation de tous les secteurs du front est évidente. L’analyste militaire ne voit pas comment les Ukrainiens pourraient se rétablir, sans même parler de reprendre l’initiative. A Houliapole, les Russes ne sont qu’à soixante-dix km de Zaporijia. A l’ouest de Pokrovsk, aucune ligne de fortification ne paraît réellement solide. Surtout, le manque de troupes se fait cruellement sentir.

Le front n’est pas encore à s’écrouler mais on ne discerne aucune capacité de rebond. Au contraire, l’observateur a le sentiment que les pertes vont s’accentuer au fil du temps, la situation devenant de plus en plus difficile. Autrement dit encore, nous ne sommes plus dans le cas d’une résistance linéaire avec des pertes homothétiques d’une semaine sur l’autre. Tout donne l’impression qu’un point d’inflexion a été franchi et que l’accélération des pertes ukrainiennes s’établit.

Analyse politique

Que de coups de théâtre au cours de la quinzaine ! La semaine dernière, je concluais en disant que « la période des négociations a trouvé un terme, au moins temporaire ».

Succession d’événements

Puis il y eut la révélation d’une grave affaire de corruption à Kiev. Le 10 novembre, le Bureau national ukrainien de lutte contre la corruption (NABU) a annoncé qu'il avait découvert un système de corruption à grande échelle dans le secteur de l'énergie. Le cerveau de l’affaire serait Timur Mindich, un proche de V. Zelensky. Des ministres ont démissionné. L’affaire a soudainement fragilisé la position politique du président ukrainien, qui avait été élu sur un programme de lutte contre la corruption. Son chef de cabinet, Andryi Yermak, serait impliqué. V. Zelensky est donc en difficulté politique, d’autant qu’à la Rada (le parlement ukrainien), certains s’emploient à constituer un gouvernement alternatif et que quelques députés du parti du président ont rejoint l’opposition. Ceci explique la sensibilité de la question de l’amnistie dans tout plan de paix (nous y reviendrons).

Un peu plus tard, le président ukrainien se trouvait à Paris, accueilli par le Pdt Macron. Si les commentateurs ont surtout relevé la lettre d’intention pour des achats d’avions Rafale, peu ont relevé la fourniture de systèmes sol-air SAMP-T et surtout de plusieurs centaines d’A2SM (la version française des bombes guidées russes qui font tant de ravages), véritable appui militaire qui affectera quelque peu la situation immédiate sur le terrain. Pour Zelensky, ce soutien parvenait à point nommé par rapport à sa pression politique intérieure puisqu’il pouvait démontrer un appui européen persistant.

Puis les informations ont commencé à fuiter tout au long de la semaine jusqu’à la révélation par les Américains d’un plan de paix en 28 points qui, fait notable et exceptionnel, a été rendu public (ici) : cela est en soi significatif.

Qu’est-ce que cela signifie ?

Que ce plan est le résultat de discussions préalables et secrètes. Il est le résultat d’un processus chaotique qui a duré des mois avec des réunions officielles, des échecs apparents, des revirements en tous sens mais qui, peu à peu, ont permis de progresser vers un document de base. Celui-ci est donc à la fois un aboutissement et un départ. L’aboutissement d’un travail long et patient qui n’aurait pas pu être présenté il y a quelques mois. Il est évidemment le résultat d’un dialogue américano-russe (notamment depuis la rencontre d’Anchorage) mais aussi américano-ukrainien dans un deuxième temps. Autrement dit, il n’est pas le résultat de trois jours de rencontres discrètes à Miami entre deux missi dominici, mais d’un mouvement plus long et plus travaillé, et surtout secret. D’ailleurs, D. Trump l’a tout de suite endossé, communiquant à son sujet.

Cela pose la question du calendrier et de la méthode de révélation. La situation sur le terrain militaire est, nous l’avons vu, extrêmement difficile pour les Ukrainiens. La situation à l’arrière l’est tout autant avec des infrastructures diminuées et une population civile fatiguée d’autant plus que nous entrons dans l’hiver et que les coupures d’électricité et de chauffage sont de plus en plus dures à supporter. Peu de commentateurs notent le départ discret mais continu d’Ukrainiens qui quittent le pays, toujours en soutenant le pays, simplement parce que la vie quotidienne est devenue trop ardue.

Le soutien à l’Ukraine rencontre lui aussi des obstacles, qu’il s’agisse de la fourniture d’équipements (de plus en plus rare) ou des transferts financiers (aujourd’hui, il s’agit du sujet le plus inquiétant et le moins observé : les Européens ont le plus grand mal à mettre au point un plan de financement pour 2026). Dans ce contexte très fragile pour Kiev, l’affaire de corruption ne semble donc pas une coïncidence surtout quand l’on sait que le NABU est très appuyé par les Américains. La révélation du scandale juste avant celle du plan Trump suggère qu’elle a été orchestrée pour mettre la pression sur le président ukrainien.

De même, il est tout sauf anodin que le détail du plan ait été rendu public. Il a été révélé à l’opinion publique ukrainienne de façon qu’elle connaisse les paramètres de départ. L’Ukraine est une démocratie et le peuple ukrainien devra approuver le résultat des négociations. Le plan est désormais ouvert au débat intérieur ukrainien ce qui est aussi une façon de donner des marges de manœuvre à la présidence. En effet, il n’y a officiellement pas de « parti de la paix » à Kiev même s’il y a une scène politique mouvementée et opaque. En mettant le plan de paix sur la place publique, un certain consensus peut se former et, s’il se construit, permettre aux dirigeants de l’approuver sans se faire accuser aussitôt de traitrise à la Nation. En effet, force est de constater que par rapport aux objectifs initiaux de la guerre (retrouver la souveraineté sur les frontières de 2011), ce plan est extrêmement en retrait. Seul le peuple ukrainien peut accepter un tel décalage. La publicité de ce plan est donc très démocratique.

Un aboutissement, donc, mais aussi une base de départ.

Certains commentateurs ont aussitôt dit qu’il était inacceptable. Ce serait certainement vrai si l’on compare aux objectifs initiaux de 2022 quand l’on croyait à une victoire, cela l’est beaucoup moins quand on prend en compte la réalité du terrain où cette victoire paraît impossible. D. Trump, avec sa brutalité habituelle, a déclaré que si l’on ne négociait pas autour de ce plan, la guerre continuerait sans l’appui américain (ici) (voir aussi la déclaration du VP Vance, ici). Vladimir Poutine n’a pas dit autre chose. Précisons que tant que durera la négociation, les combats continueront, augmentant de facto la pression sur la partie ukrainienne.

De ce point de vue, la réaction du président Zelensky me paraît beaucoup moins catégorique que l’interprétation de certains. Dans un discours à la nation (ici), il parle d’un moment très difficile : « L’Ukraine pourrait se retrouver face à un choix très difficile. Soit perdre sa dignité, soit risquer de perdre un partenaire clef » (question de la garantie de sécurité). Il pose la question de la trahison dans une formule ambiguë : « Et je ne le trahirai jamais. L’intérêt national ukrainien doit être pris en compte ». Il annonce ensuite qu’il négociera « … je proposerai des alternatives, mais nous ne donnerons certainement pas à l’ennemi des raisons de dire que l’Ukraine ne veut pas la paix ». Ainsi, négocier aujourd’hui n’est pas trahir.

Il parle aussitôt de l’avenir en déclarant « qu’au moins deux points du plan ne soient pas négligés : la dignité et la liberté des Ukrainiens. Car c’est sur cela que repose tout le reste : notre souveraineté ». La phrase est importante car elle prend appui sur un des premiers points du plan : la souveraineté de l’Ukraine garantie, sous-entendant qu’à défaut, cette garantie tombe. Cela explique l’ajout : « Mais l’Europe et le monde entier doivent comprendre une autre vérité : les Ukrainiens sont avant tout des êtres humains (…). Nos concitoyens perdent chaque jour des proches. Nos concitoyens veulent vraiment que la guerre se termine ». Zelensky fait directement allusion à la fatigue des Ukrainiens qui pourtant soutiennent la guerre. Il appelle d’ailleurs à la cohésion nationale : « Il me sera beaucoup plus facile d’obtenir une paix digne pour nous et de les convaincre si je suis sûr à 100 % que derrière moi se trouve le peuple ukrainien ». La question démocratique est directement posée.

Enfin, notons qu’il évoque désormais non pas la justice mais la dignité, sur laquelle il conclut : « Nous allons travailler sur le plan diplomatique pour notre paix. Nous devons travailler ensemble à l’intérieur du pays pour notre paix. Pour notre dignité ». Nous sommes loin de la « paix juste et durable » qui avait été demandée tout au long de ces derniers mois.

Que l’on comprenne bien : la révélation publique du plan a été suivie d’une longue adresse à la Nation du président : cela confirme que désormais, nous sommes entrés dans une phase cruciale où le peuple ukrainien va devoir soutenir le résultat d’une négociation dont les résultats seront forcément insatisfaisants par rapport aux efforts consentis. Mais en aucun cas, Zelensky ne parle d’un refus immédiat du plan de paix. Certains expliquent que c’est une forme polie de refus, une manière de composer avec Trump à qui il ne faut jamais dire non de front. Je crains que nous ayons dépassé depuis longtemps ces techniques de négociation, compte-tenu de la gravité des enjeux. Le discours à la Nation en rend compte. Le document proposé est le cadre de la négociation. On ne s’en éloignera pas radicalement.

Et maintenant ?

Les négociations vont donc s’engager. Je ne suis pas sûr qu’elles portent principalement sur la question territoriale (cession du reste de l’oblast de Donetsk, donc avec Slaviansk et Kramatorsk ; gel de la ligne de front sur les oblasts de Kherson et Zaporijia ; rétrocession des zones occupées dans les autres oblasts de Dniepropetrovsk, de Kharkiv et de Soumy). En revanche, bien des aspects (garanties de sécurité, aspects économiques, amnistie réciproque) peuvent être amendés.

Cela prendra forcément quelques semaines (la date évoquée par Trump du 27 novembre est évidemment trop proche). En cas de réussite, les combats cesseront alors. En cas d’échec, la guerre continuera de longs mois.

Bilan précédent du 9 novembre :

Bilan n° 123 du 9 novembre 2025 (guerre d’Ukraine)
La bataille de Pokrovsk s’achève et les Russes progressent au sud. Les négociations semblent désormais à l’arrêt.

OK

Génial ! Vous vous êtes inscrit avec succès.

Re-Bienvenue ! Vous vous êtes connecté avec succès.

Vous êtes abonné avec succès à La Vigie.

Succès ! Vérifiez votre e-mail pour obtenir le lien magique de connexion.

Succès ! Vos informations de facturation ont été mises à jour.

Votre facturation n'a pas été mise à jour.