Bilan n° 122 du 26 octobre 2025 (guerre d’Ukraine)
Le front craquèle un peu partout avec une situation ukrainienne toujours plus difficile. Les négociations semblent se dérouler, même si l’on n’en observe que de rares reflets difficiles à interpréter.
Le front craquèle un peu partout avec une situation ukrainienne toujours plus difficile. Les négociations semblent se dérouler, même si l’on n’en observe que de rares reflets difficiles à interpréter.
Déroulé des opérations militaires
Les frappes dans la profondeur se poursuivent.
Front sud : Maigre changement à Plavni (carte). A Orikhiv, poussée russe contre Maia Tikmacha qui reste disputé (carte). A l’est d’Huliapole, les Russes ont franchi la rivière Yanchul et pris Poltavka et Okhotychne (carte).
Un peu plus au nord, ils ont progressé sur la hauteur jusqu’à Pryvilla, menaçant la route T 401 qui approvisionne Houliapole depuis Pokrovske (carte). Une manœuvre d’encadrement de Velikomikhailivka est en cours, avec infiltration à Oleksiivka (O) et prise de Novoselivka (E). Entrée russe dans les premières maisons d’Ivanivka, la Vovcha est franchie à deux endroits ce qui présage des développements ultérieurs peu encourageants pour les FAU. Pas encore d’action contre Novopavlivka (carte)
Front de Donetsk : Le sud de Pokrovsk paraît désormais très contesté et la représentation de Deepstate très optimiste et sujette à caution (carte). Premiers combats à Myrnohrad où la situation logistique ukrainienne parait très dégradée (carte). Rodynske est revendiquée par certains comptes, à tout le moins très contestée (carte). Les deux grandes pénétrantes logistiques vers la poche, la M30 au sud et la T 515 au nord, sont toutes deux sous le feu russe.
Au nord-est, la situation du saillant reste très confuse depuis près de douze semaines. Les Russes qui y étaient, n’y étaient plus, y étaient à nouveau, en auraient finalement été évincés de Kucheriv Yar cette semaine. Cependant, à partir de zones qu’ils ne contrôleraient pas, ils continueraient de faire pression contre Shakhove. Un peu plus loin, Deepstate annonce la reprise ukrainienne de 12 km² ce qui paraît extrêmement surprenant, surtout que ce serait juste au nord de Rodynske (carte). Les représentations variables de DS depuis trois mois dans ce secteur laissent l’observateur prudent extrêmement circonspect.
Front de Kostiantynivka : Situation inchangée au sud du réservoir qui ne suscite plus de combat : on s’interroge sur les troupes ukrainiennes qui y sont théoriquement... Les combats se sont déplacés au nord-est avec une poussée russe directe contre Kostiantynivka avec de premières incursions russes dans les faubourgs de la ville (carte). La liaison avec le secteur de Chasiv Yar est probable à court terme (Predtechyne, Stupochky).
Front de Siversk & Lyman : Pas de changement majeur autour de Siversk même si la représentation proposée par Deepstate entre Serebianka et Dronivka paraît furieusement improbable (notamment le « contrôle » ukrainien d’une bande de 500 m de large sur 5 km de long le long de la rivière : absurde !). Mettons que les Ukrainiens contrôlent encore Dronivka au nord et Zvanivka au sud et donc des pénétrantes logistiques vers la ville (carte).
Secteur Lyman : A l’est, poussée russe vers Yampil et à l’ouest de Zarichne. Situation inchangée au nord, Drobysheve reste sous contrôle ukrainien (carte).
Front de Svatove/Koupiansk. Secteur de Pischane : Sans changement au nord (carte) ni au secteur Kruhliakivka (carte du 10/10)
Secteur de Koupiansk : La ville serait en grande partie investie par les Russes, malgré des poches de résistance. Les Ukrainiens tiendraient (le mot reste très ambitieux) encore le carrefour central et le pont. Ils auraient par ailleurs contre-attaqué vers Kindrashivka au nord de la ville. La situation reste très confuse (carte). A l’est de la rivière, Oskil, infiltration russe jusque Kurylivka. Les troupes ukrainiennes sur ce versant de la rivière paraissent en mauvaise posture avec des approvisionnements parcellaires (points de franchissement détruits).
Secteur de Dvorichna et Milove : sans changement notable (carte).
Front de Kharkiv : Les Russes ont repris l’activité à Vovchansk et poussent à l’ouest de la ville, jusque Synelnykove (carte). Sans changement à Lyptsi (carte)
Front de Soudja : Micro-ajustements (carte),
Remarque méthodologique
Officiellement, d’après les relevés de Poulet Volant, les Russes ont pris 40 km² en S42 et 82 km² en S43 soit 8.7 km² par jour (baisse). Les Ukrainiens ont repris 25 km² en S42 et 37 km² en S41, soit 4.4 km² hebdomadaires (hausse).
J’émets cependant une circonspection, non sur son travail mais sur sa source primaire, Deepstate, que j’ai déjà mentionnée au cours des quatre ou cinq derniers bilans. Indirectement, elle suscite de l’agacement chez Poulet ou Majakovsk (lui aussi cartographe se fondant principalement sur DS) face au travail d’autres osinters qui, sans reprendre au comptant les communiquées de victoire des blogueurs russes, montrent un front beaucoup plus abîmé que celui dépeint pas Deepstate (parmi eux, certains ne cachent pas leurs sympathies pour l’Ukraine, comme Playfra ou Clément Molin). Or, la différence devient désormais trop flagrante pour ne pas être relevée.
On a ainsi l’impression que toute zone disputée qui n’est pas clairement infiltrée par les Russes et donnée en « contrôle » aux Ukrainiens, que toute zone où il y a infiltration russe est au contraire minimisée, que la moindre contre-attaque ukrainienne est accordée comptant quand les progrès russes attendent d’être dûment vérifiés par des confirmations officielles de Kiev. Bref, la source DS paraît se biaiser.
A cela des raisons objectives, d’autres subjectives. Parmi les raisons objectives : la guerre des drones qui rend la notion de « contrôle de terrain » extrêmement fugace (mais dans ce cas-là, pourquoi être plus indulgent pour les Ukrainiens que pour les Russes ?) ; de même, la manie des deux parties d’envoyer une petite escouade s’infiltrer pour aller déployer une photo du drapeau dans un endroit improbable qui sera photographiée par drone, le lieu étant dès lors « revendiqué » : les deux parties l’ont abondamment pratiquée même si aujourd’hui, la progression étant ce qu’elle est, les Russes en font plus (mais les Ukrainiens en font autant, cf. leurs innombrables reconquêtes de Kucheriv Yar). Bref, je suis bien conscient qu’il faut demeurer prudent et ne pas tout prendre pour argent comptant.
Mais les raisons subjectives interviennent aussi et on peut soupçonner Deepstate de ne pas être aussi indépendant (ou bien informé) qu’on les créditait par le passé. Ils doivent subir des pressions et s’ingénier à valoriser la situation, à la dépeindre sous des traits moins déplaisants que ce qu’elle est en réalité. J’ai pointé dans la section précédente quelques absurdités (Serebianka, Koupiansk voire Kucheriv Yar) qui expliquent mon insatisfaction (et je ne suis pas le seul). Bref pour tout un tas de raisons, ça grogne un peu sur la question.
Tout ceci rend mon propre travail plus compliqué puisque par méthode, je m’appuie principalement sur l’analyse cartographique des opérations. Ainsi que je l’ai déjà indiqué, je conserve les relevés de Poulet volant, tout d’abord parce que je ne doute absolument pas de son intégrité (et je devine qu’il y a des choses qui lui déplaisent aussi), ensuite parce que par méthode, je garde la mesure du thermomètre qui indique des tendances, en espérant que sa régularité (même dans l’erreur) permet d’approcher une réalité qui est de toute façon très brouillée ; Enfin parce qu’une approche minimaliste évite les grandes embardées et des conclusions trop définitives.
Analyse militaire
Pour dire les choses simplement, le front craque de partout, même avec la représentation ultra prudente de Deepstate.
Si le secteur de Soumy est calme, on note une reprise de l’activité au nord de Kharkiv mais aussi le long de la frontière qui mène au front de Koupiansk.
La ville de Koupiansk est en passe de tomber et sa chute entraînera avec elle la réduction de la tête de pont ukrainienne à l’est de l’Oskil. Au-delà, cela permettrait aux Russes de progresser le long de la rive occidentale de la rivière en direction d’Izioum pour tenter de peser à revers sur le nord de Sloviansk.
C’est d’ailleurs cet objectif lointain qui explique les efforts actuels contre Lyman, clef défensive de Slaviansk au nord-est de la ville. Non loin, Siversk devrait également être bientôt assiégée ou tournée.
Plus au sud, maintenant que Chasiv Yar a été prise, Kostiantynivka est désormais sous pression. Avec Chasiv Yar, elle constitue la clef défensive de Kramatorsk au sud-ouest. Ceci explique aussi l’importance des affrontements qui ont lieu depuis maintenant plus de deux mois contre le saillant de Koucheriv Yar (pour les Ukrainiens) et de Shakove (pour les Russes) : il s’agit là de la base de départ d’une offensive sur-nord vers Droujivka, môle défensif au sud de Kramatorsk. Mais si les Ukrainiens empêchent cette base de départ, c’est au prix de la mobilisation des maigres réserves dont ils disposaient et qui ont été fixées dans ce secteur, laissant le champ libre partout ailleurs dans la stratégie des mille entailles.
La conurbation de Pokrovsk et Myrnohrad devrait tomber dans les prochaines semaines : les voies logistiques sont désormais trop ténues pour prolonger des combats utiles. La victoire sera d’abord symbolique (comme Andrivka) mais ouvrira en plus de vraies possibilités opératives aux Russes.
Pendant ce temps-là, ceux-ci poussent au sud et empiètent de plus en plus nettement dans l’oblast de Dniepropetrovsk et celui de Zaporijia. Huliapole devrait être bientôt abordée tandis qu’un peu plus à l’ouest, Orikhiv redevient actif. Imperceptiblement, les reprises de terrain effectuées dans la zone par les Ukrainiens en 2023 sont grignotées par les Russes.
Si l’on fait le décompte : Koupiansk est pratiquement tombée, Pokrovsk en cours de l’être ; Kostiantinyvka est abordée, Siversk en cours d’encerclement, Lyman, Huliapole ou Orikhiv menacés.
Par ailleurs, les villes qui étaient autrefois des zones fortifiées deviennent à l’heure des drones des espaces extrêmement difficiles à contrôler. Certaines ont été équipées (avec notamment de nombreux souterrains et fortifications, je pense à Kramatorsk et Slaviansk) mais cela ne suffit plus. A Pokrovsk, les groupes russes infiltrés peuvent se terrer en ville et perturber tous les mouvements des FAU (d’où la relativisation de la notion de « contrôle »). Les drones ne suffisent plus et l’insécurité règne (ici, quand DS donne encore la moitié sud de Pokrovsk sous « contrôle » russe, il méconnaît la réalité tactique).
En campagne, les FAU n’ont plus assez d’hommes pour tenir les tranchées. On parle par endroits de 20, 10 ou même 5 hommes au km linéaire ! Comme les lignes ne sont plus tenues, les infiltrations se font dans la profondeur, d’autant que les Russes appuient les progressions par des drones filaires (contre lesquels les UKR n’ont pas de contre-mesures) ou des FAB à la portée de plus en plus longue (150 km prouvés, on parle bientôt de distance de 200 voire 250 km). Ces infiltrations atteignent donc les équipes de dronistes ou d‘artilleurs situés à 10, 15 ou 20 km en arrière du front.
Pour dire les choses simplement et malgré les comptes-rendus optimistes des commandants d’unité UKR (le commandant en chef Syrski s’en est d’ailleurs récemment plaint), la réalité est simple : ça craque de partout.
L’Ukraine a fait le pari de tenir : elle est admirable et l’analyste reste, chaque semaine, époustouflé par le courage de ces soldats qui, démunis, résistent envers et contre tout. Le résultat est admirable au niveau tactique. Pour autant, reprenons la perspective : En 2022, les Ukrainiens ont repris de belles quantités de territoire, notamment vers l’Oskil ou la rive droite du Dniepr ; En 2023, ils ont lancé leur offensive au sud (Robotyne) qui a été raté, malgré quelques prises territoriales ; En 2024, ils ont lancé la fumeuse action contre Soudja, qui a été réduite à l’hiver ; En 2025, ils n’ont lancé aucune opération offensive (et que l’on ne me parle pas de la reprise de Kucheriv Yar comme un succès éclatant !).
Les places-fortes sont tombées les unes après les autres et aujourd’hui, elles ne suffisent plus à éprouver suffisamment la poussée russe. Il est à craindre désormais que les pertes soient aujourd’hui, en valeur absolue, plus élevées côté ukrainien que côté russe. Autrement dit, la stratégie consistant à dire : « on les tient dans les villes pour les y tuer » ne fonctionne plus. Elle est contre-productive.
Le drame est qu’on n’aperçoit aucune stratégie alternative. Militairement, je n’ai pas entendu l’expression d’un seul « chemin vers la victoire » plausible (même pas crédible) au cours de 2025. Tout le monde dit qu’il faut continuer, personne ne dit comment défaire les Russes sur le terrain. Les Européens n’ont plus rien à donner dans leurs arsenaux, ils ont tout vidé. Les Américains se retirent. Militairement, que cela plaise ou non, la Russie a l’avantage. Elle est de plus prête à continuer la guerre « quoiqu’il en coûte » pour atteindre ses objectifs. Elle se prépare à la prolonger tout 2026 et 2027 si besoin.
Juste une question : l’Ukraine peut-elle réellement poursuivre la guerre pendant encore deux ans ?
A cette question, Trump a répondu non. Les Européens ne veulent pas l’entendre et donc pas y répondre. Comme depuis trop longtemps, ils s’abritent derrière des mots.
Analyse politique
La quinzaine a fait l’objet de ces rebondissements médiatiques qui affriolent les médias et laissent l’analyste plus circonspect. On passera les commentaires définitifs sur le « retournement de position de Trump » qui prouvent seulement que leurs auteurs n’ont pas bien compris les choses.
Reprenons la séquence. Poutine a appelé Trump juste avant que celui-ci vienne le rencontrer à la Maison-Blanche. Le dirigeant ukrainien est reparti les mains vides. Trump a annoncé qu’il envisageait de rencontrer Poutine à Budapest. Les Européens ont tordu le nez (quid de l’inculpation de Poutine par la CPI ? quid d’Orban ?) mais s’y sont finalement pliés. A ce moment-là, Trump a dit que finalement il n’y aurait pas de sommet car il ne croyait pas Poutine prêt à faire des concessions. Les Russes ont également dit que rien n’était fait et qu’il fallait encore discuter. Cela a officiellement énervé Trump (cf. les commentaires préalablement cités) qui a dit qu’il allait prendre des sanctions. Celles-ci ont été annoncées contre deux compagnies pétrolières russes. L’UE a annoncé un 19ème paquet de sanctions. Trump a annoncé qu’il en parlerait à Xi en espérant que ce dernier incitera Poutine à négocier.
Que tirer de tout cela ?
Qu’il y a des négociations en cours dont nous ne savons rien et que ces éclats médiatiques font penser au reflet du soleil, au fond de la caverne de Platon. Nous voyons les ombres portées des marionnettes, nous ne savons rien de ce qui se passe à la sortie de la caverne. Quelques certitudes néanmoins :
Trump est décidé à arrêter la guerre car il juge que les Ukrainiens ont perdu. Ceux-ci ne peuvent l’admettre ouvertement mais ont besoin qu’un grand allié extérieur leur impose, d’une certaine façon, la fin des combats, seule issue admissible par la population après trois ans et demi de sacrifices. Poutine sait qu’il a gagné le principal mais pas obtenu tous ses objectifs. Il sait qu’il peut tenir encore longtemps même me si les sanctions comment à le grattouiller. Il cherche donc à obtenir plus de gains territoriaux (au moins le reste de l’oblast de Donetsk) et la levée d’une grande partie des sanctions.
Le temps qui passe met donc en parallèle : les gains territoriaux sur le terrain et les sanctions économiques qui, à défaut de faire « s’effondrer l’économie russe », la gênent malgré tout. Cependant, les conquêtes sur le terrain vont un peu plus vite que l’effet des sanctions et surtout, elles semblent plus proches du point de bascule (effondrement localisé) que dans le domaine économique.
Nous en sommes là. Ça peut déboucher dans trois semaines ou dans trois mois. Ou trois ans, malheureusement.
OK
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